Le renseignement militaire tsariste dans les Balkans : Son évaluation des guerres de 1912-1913
Gérald ARBOIT
Alors que la guerre russo-turque (avril 1877-mars 1878) battait son plein depuis trois mois déjà, un quotidien de Londres s'intéressait aux « attachés militaires en Europe », estimant que leur « position (…) était très délicate en ces temps de guerre » . Le propos du journaliste ne portait pas sur leur rôle dans le conflit en cours, mais sur leurs efforts d'information en matière d'armement et de réformes militaires. Bien que le terme ne soit pas écrit, l'article montrait bien les implications des attachés militaires en matière de renseignement. Son jugement était, évidemment, négatif : « Les gouvernements dont les agents se rendent coupables de telles pratiques sont ceux-là mêmes qui sont les plus susceptibles de contribuer à la conduite inconvenante des diplomates et des officiers accrédités à l'étranger » . Parmi ceux-ci figurait en bonne place l'Empire de Russie [1]. Trente-quatre ans plus tard, alors que se préparait une nouvelle guerre, dans les Balkans cette fois, les agents militaires ( voennye agenty) russes restaient en première ligne.
L'institution des attachés militaires, officiers placés auprès des représentations diplomatiques à l'étranger pour étudier les forces militaires des pays où ils étaient stationnés, était une création du début du XIXe siècle. Jusqu'au lendemain de l'époque napoléonienne, le renseignement d'intérêt militaire, comme plus généralement le renseignement, n'était pas le fait de personnels spécifiques. Diplomates, agents stipendiés, militaires en mission y pourvoyaient largement. Avec les attachés militaires, les Etats se dotaient d'« espions » à statut officiel. Comme les diplomates, qui voyaient d'un mauvais œil cette intrusion des militaires dans leurs prérogatives, ils étaient accrédités auprès des chefs de gouvernement étrangers et assistaient à toutes les cérémonies officielles. S'ils tenaient à conserver la protection inhérente à leur statut, leurs possibilités de faire du renseignement restaient limitées aux sources ouvertes : assister aux revues et manœuvres, s'entretenir avec les autorités civiles et militaires, voyager à travers leur pays d'affectation, recueillir et expédier toute documentation manuscrite et imprimée, cartographique et photographique. Cette dernière devait se restreindre aux questions purement militaires et, leur correspondance passant par la double « censure » de l'ambassadeur et de l'administration centrale des Affaires étrangères, en aucun cas elle ne devait se préoccuper de politique générale, ni même rapporter des informations de provenance clandestine. Pour cela, ils disposaient d'une correspondance directe avec un bureau de l'état-major de l'armée, celui qui, en fait, était en charge du renseignement.
Cette réalité, bien connue pour la France [2], la Grande-Bretagne [3] et l'Allemagne [4], était également celle existant dans la Russie tsariste [5]. Comme dans le reste de l'Europe, les Affaires étrangères ( Ministerstvo Inostrannyh Del , MID) voyaient d'un très mauvais œil l'intrusion du ministère de la Guerre ( Voennoe Ministerstvo ) dans leur domaine réservé. Comme ailleurs, les diplomates reprochaient aux militaires leur amateurisme, contraire aux principes de bonne diplomatie. Plus encore qu'en Europe, l'argument était fallacieux dans la mesure où les voennye agenty étaient choisis parmi les représentants de la même noblesse qui, habituellement, peuplait les missions diplomatiques et consulaires… Mais l'enjeu portait plutôt sur la maîtrise de l'information extérieure et la perception stratégique des intérêts de l'Empire tsariste. Aussi, au début des années 1860, les Affaires étrangères russes s'opposèrent-elles, paradoxalement, aux efforts d'acquisition de renseignement à l'étranger du ministre de la Guerre, mais regardèrent plus favorablement ceux des Affaires internes ( Ministerstvo Vnutrennikh Del , MVD) ; à cette époque, ce dernier commençait à mettre en place ses structures de centralisation de l'information et de la statistique. Ainsi, en Europe de l'Ouest, le combat contre les partis révolutionnaires russes devint une priorité, et le département de la Police d'Etat du ministère des Affaires internes ( Okhrana ) était autorisé à ouvrir, en 1882, à Paris, une agence extérieure ( Zagranichnia Agentura ) [6].
Le renseignement d'intérêt militaire russe et les agents militaires à l'étranger
D'emblée, les possibilités des militaires de faire du renseignement à l'extérieur s'en trouvaient limitées, d'autant que les structures de l'état-major général étaient récentes. La statistique militaire, entendue comme l'action de collecter, de classifier et de discuter des faits relatifs à une collectivité humaine, était une nouveauté des années 1840 ; elle avait été introduite par le comte Pavel Kisilev et Nicolaï Milyutin, frère cadet du ministre de la Guerre, Dimitri Milyutin qui, vingt ans plus tard, réforma l'armée impériale suite à la défaite de Crimée (1853-1856). Parmi ces mutations se trouvait l'organisation, dès 1863, d'une véritable Administration principale de l'état-major général ( Glavnoe Upravlenie General'nogo Shtaba , GUGŠ), nom qu'elle prit après la défaite de 1905 face au Japon. A cette époque, le renseignement d'intérêt militaire dépendait de la septième section du 2e Directoire du Quartier-maître général de l'état major général, commandée, de 1907 à la déclaration de guerre, par le major général Yuri Nikiforovič Danilov. Ce service, au demeurant peu important [7], gérait l'ensemble des activités d'analyse du renseignement extérieur, aussi bien celles des agents légaux, en fait les voennye agenty , que celles des illégaux, recrutés par l' Okhrana . Cette structure de renseignement international collaborait, au sein du 2e Directoire du Quartier-maître général, avec la première section, chargée de la statistique militaire.
Rattachée directement au 1er Directoire (ou Direction principale) du GUGŠ, une section des affaires spéciales ( Osoboe deloproizvodstvo ) assurait une fonction de coordination et de diffusion, mais également de sécurité de l'information. Dirigée par le colonel Nikolaï Augustovich Monkevits, véritable adjoint de Danilov pour tout ce qui se rapportait au renseignement, cette structure prit de l'importance après la décision de lui confier, à partir de 1912, les missions de contre-espionnage, jusque-là menées conjointement par l'Okhrana et la section des affaires spéciales [8]. Comparées à l'appareil français de renseignement militaire, les deux sections du Quartier-maître général correspondaient au Deuxième bureau, tandis que l' Osoboe deloproizvodstvo reprenaient les fonctions de la Section de statistique d'avant 1899.
Les structures du renseignement impérial russe 1904-1914
De même que les régions militaires en France, les treize districts militaires ( voennye okrug ) établis en 1892 disposaient de leurs propres sections de renseignement, qui opéraient selon des objectifs géographiques différents – l' okrug d'Odessa couvrait ainsi les Balkans -, souvent sans réelle coordination [9].
La défaite contre le Japon l'avait démontré aisément. Les différents services étaient entrés en campagne dans la plus parfaite indifférence les un pour les autres. Les premières défaites de 1904 les avaient ensuite poussés à faire preuve de plus de professionnalisme et à accepter de collaborer [10]. Les différentes mesures prises entre 1906 et 1912 veillèrent donc moins à améliorer l'acquisition du renseignement, qui était loin d'être performante, que la coordination des différents intervenants. Des séminaires annuels furent organisés par le GUGŠ, réunissant les voennye agenty et les officiers d'état-major ( genshtabisty ) en charge du renseignement au niveau des okrug . De nouvelles instructions furent élaborées pour permettre une meilleure acquisition en fonction des besoins d'information des différents états-majors. Cela passait aussi par une meilleure allocation budgétaire [11]. La réorganisation qui s'en suivit permit au chef de l'état-major allemand, le général Helmut von Moltke, de noter à l'intention du ministère allemand des Affaires étrangères que « le système de renseignement russe est bien ordonné, largement dispersé, doté de ressources financières considérables » [12].
Le budget de fonctionnement des services ne comprenait pas les allocations destinées aux opérations, qui se montaient en moyenne annuelle sur la période encore à 311 600 roubles pour les sept districts asiatiques, et à 203 600 roubles pour les six européens. Plus généralement, entre 1900 et 1914, le budget alloué au renseignement augmenta de 200 % [13], accompagnant la centralisation des activités au sein du GUGŠ et permettant un meilleur niveau d'information, les opérations de renseignement en Europe restaient subordonnées au bon vouloir du MID, au contraire de l'Asie qui n'entrait pas dans sa compétence. Ce manque de concertation entre les deux départements ministériels devait perdurer au-delà de la période tsariste et faire le jeu de l' Okhrana , dont diplomates et voennye agenty empruntaient les méthodes, expliquant ainsi le goût des services soviétiques pour les « mesures actives » [14] et les opérations de collecte de renseignement, par la pénétration, le déchiffrement, le vol de documents et de chiffres [15]. Ainsi les différents agents militaires russes dans les Balkans soutenaient-ils les actions terroristes de mouvements pouvant remplir leurs objectifs, comme l'Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne, en Bulgarie [16], ou la Main noire en Serbie…
Les agents militaires au service du renseignement
Les voennye agenty étaient les principaux vecteurs de ces missions. Recrutés parmi le corps des officiers de la Garde impériale, au sein des districts militaires européens de l'Empire, et plus particulièrement de Saint-Pétersbourg, ils représentaient assurément l'élite, dans toutes les acceptations du terme, de l'armée russe. Ils étaient issus des prestigieuses académies militaires, dont l'Académie de l'état-major général (ou Académie Nicolas). Par ailleurs, leurs origines aristocratiques les rendaient plus aptes aux fonctions de cour et de réception de la vie diplomatique qu'aux activités couvertes de la vie d'agent militaire [17]. Les réformes postérieures à la guerre russo-japonaise tentèrent bien de les rendre plus audacieux, sinon consciencieux, dans leur mission à l'étranger. Mais les grands noms de la profession s'élevèrent contre cette volonté de les abaisser à un espionnage ( agenturstvo ) qui n'était qu'occupation « sale » , tout juste bonne pour des politiciens en mal de publicité et autres « caractères besogneux » , comme le fit valoir l'un d'eux [18]. Ils arguèrent être trop surveillés pour faire quoi que ce soit.
Pourtant, les plus belles pénétrations russes furent certainement celles que menèrent des agents militaires. Alors que les agents de l' Okhrana apportèrent au cabinet noir des Affaires étrangères leur compétence dans le déchiffrement [19], le GUGŠ surveilla comme il le pouvait les deux ennemis occidentaux qu'étaient l'Autriche-Hongrie et l'Allemagne. La tâche était, comme l'avaient souligné les opposants à une systématisation des opérations couvertes de la part des agents militaires, des plus difficiles. Ainsi s'explique que le plus beau succès du renseignement militaire russe d'avant la Première Guerre mondiale fut à mettre au crédit, non de ces diplomates militaires, mais du chef dans le district de Varsovie, le colonel Nikolaï Stepanovitch Batyushin, qui retourna le colonel Alfred Redl, chef-adjoint de l' Evidenzbüro des Königliche und Kaiserliche Generalstabes , le service de renseignement militaire à Vienne (1907-1912), puis chef du renseignement du VIIIe corps d'armée à Prague (1912-1913) [20]. Mais, comme les colonels Mikhail Ivan Zankevich [21] et Pavel Aleksandrovich Barazov [22], la protection du statut diplomatique faisait qu'ils ne risquaient rien de plus que d'être raccompagnés à la frontière lorsque le contre-espionnage adverse brûlait leurs réseaux.
Les voennye agenty en poste à l'étranger ne prenaient pas autant de risque. Dans la hiérarchie des postes, au demeurant peu nombreux, Londres, Paris, Berlin et Vienne, n'étaient pas les plus courus par les rares officiers férus de renseignement, même s'ils recelaient une importance primordiale. La politique tsariste était résolument tournée vers l'Extrême-Orient jusqu'en 1905. La défaite face au Japon n'était pas seulement une surprise stratégique au niveau du renseignement ; elle ramenait l'Empire tsariste vers un destin européen, dont il ne savait que faire. A partir de l'été 1911, la montée de la menace allemande pour l'équilibre du continent rendit plus de lustres à ces grands postes. Mais les officiers les plus audacieux choisirent toujours les petites affectations scandinaves ou balkaniques. Après s'être illustré en Mandchourie contre les Japonais, le lieutenant-colonel d'état-major Alexis A. Ignatiev, futur agent militaire à Paris, dirigea ainsi, de 1908 à 1912, des réseaux sur l'Allemagne depuis son accréditation danoise. Mais, là encore, le choix devait sembler engager la mission qu'ils mèneraient, plus centrée sur la pénétration dans les premières, plutôt axées sur le recueil de l'information dans les secondes.
Dans les Balkans, ils étaient cinq, accrédités auprès des cours de Serbie, de Bulgarie, du Monténégro, de Roumanie et de Grèce. Leur séjour dans ces postes était de longue durée, seule une erreur, notamment un impair diplomatique en étant surpris par le contre-espionnage du lieu, était susceptible d'y mettre en fin. Nikolaï Mikhaïlovitch Potapov, trente-deux ans, arriva lieutenant-colonel à Cetinje en 1903 pour ne plus en repartir, nommé colonel en 1910, qu'à la déclaration de guerre, en juillet 1914. D'autres, comme le colonel E. A. Iskritsky, à Bucarest, ne furent nommés dans la région qu'en 1912. Les voennye agenty nommés dans les Balkans disposaient par ailleurs d'une continuité d'action puisque, lorsqu'ils étaient déplacés, ce n'était que pour aller dans un pays voisin. Ainsi, le colonel Mikhail Ivan Zankevich quitta la Roumanie, en 1912, pour l'Autriche, ou le colonel Mikhail M. Leontiev la Bulgarie (1901-1913) pour retrouver la Turquie, où il avait déjà servi (1900-1901) comme lieutenant-colonel ; cette suite de mouvement n'avait rien à voir avec le renseignement, mais simplement avec l'avancement, Leontiev gagnant dans ce dernier déplacement le grade de général de division [23].
D'autre part, le cas Redl le montrait bien, les voennye agenty transmettaient à leur successeur le soin de continuer leur pénétration et d'en gérer les évolutions futures. Souvent, ils étaient aidés par leurs adjoints, officiels ou non. Après l'assassinat de l'archiduc autrichien François Ferdinand et de son épouse, la duchesse Sophie de Hohenberg à Sarajevo, le 28 juin 1914, la presse russe nia l'implication de son pays dans cet acte, mais par-dessus tout, elle nia que le capitaine Alexander Werchovsky, pourtant en charge du poste pendant le déplacement italien de son titulaire, n'eût jamais tenu quelque emploi auprès de l'agent militaire. Et d'affirmer que le GUGŠ n'entretenait qu'un agent par pays [24], ce qui était évidemment faux ! Ainsi, l'agent militaire en poste à Athènes, le colonel Pavel Gudim-Levkovich, également adjoint de son supérieur en Turquie, était assisté d'un agent bulgare, Vilichkovky, et d'un domestique, Makar Gulitiaev.
Les instructions qu'adressait alors la septième section du 2e Directoire du Quartier-maître général du GUGŠ portaient essentiellement sur l'état militaire des pays où les voennye agenty étaient déployés. En 1911, la grande affaire était de contre-balancer l'influence allemande, croissante en direction de la Turquie, dans la foulée du BagdadBahn. La diplomatie russe tentait d'agir sur la Serbie pour relier « les pays slaves de la péninsule balkanique à la Russie » , tandis que l'état-major estimait préférable, depuis 1908 déjà, de renforcer les capacités ferroviaires dans le Caucase, de Borzhum à Kars [25]. Les agents militaires furent invités à formuler leurs conclusions stratégiques afin de nourrir les analyses du GUGŠ. Un rapport de la fin août 1911 résumait bien leur position : « Si la politique nous a jamais assigné l'objectif stratégique " d'empêcher l'invasion de la péninsule balkanique par le monde germanique " (…) l'existence d'un chemin de fer "panslaviste "reliant la mer Noire à l'Adriatique, la Bulgarie, la Serbie, la partie de la Turquie qui abrite une population serbe et le Monténégro, facilite une telle mission » [26] . Le projet devait néanmoins achopper face à la volonté serbe de ne pas déroger à l'orientation danubienne, c'est-à-dire vers le sud et la mer Méditerranée, de son réseau ferroviaire [27]. Les intérêts géopolitiques globaux de la Russie n'étaient pas compatibles avec ceux particuliers et contradictoires de la Serbie.
L'instabilité croissante dans la région, que les voennye agenty suivaient avec acuité, ne devait pas tarder à le montrer. Début 1911, l'agent militaire à Belgrade, le colonel Viktor Aleksandrovich Artamonov, se voyait demander de suivre « l'attitude politique adoptée à l'égard de la Turquie et de l'Autriche-Hongrie par suite de cette dernière en Bosnie-Herzégovine » [28]. A l'automne, l'invasion de la Libye par l'Italie ouvrit une possibilité d'entamer la puissance turque dans la région et de freiner l'implantation allemande. Tous les représentants du GUGŠ dans les Balkans avaient reçu l'instruction de se renseigner « sur les activités militaires menées par la Turquie le long de la frontière bulgare et dans le Bosphore » (Bulgarie), tout en suivant « la situation politique liée à l'insurrection albanaise et les plans offensifs de l'Autriche-Hongrie » (Monténégro). Plus classiquement, les préparatifs militaires, notamment les activités des instructeurs allemands, de la Grèce, de la Roumanie et de la Turquie étaient suivis [29].
Ces informations d'ordre politico-militaire nourrissaient les réflexions des genshtabisty du département Balkans de la septième section du 2e Directoire du Quartier-maître général de l'état major général qui suivait de près les événements de la région et les recoupaient par les informations recueillies dans les médias internationaux, spécialisés dans l'art militaire (comme le Militär Wochenblatt ou La Belgique Militaire ) ou seulement généralistes (comme The Times , The Morning Post , The Morning Leader , The Standard , The Daily News , The Daily Mail , The Daily Chronicle , The London Gazette , The Westminster Gazette , Die Kölnische Zeitung , Die Frankfurter Zeitung , Die Wochenschrift ou La revue des Deux Mondes ). Les matériaux les plus importants étaient ensuite traduits en russe, et compilés dans une publication périodique et secrète de la septième section, sur le modèle de la française Revue militaire de l'étranger , intitulée Collections des documents de l'Administration principale de l'état-major ( Sbornik materialov Glavnoe Upravlenie General'nogo Shtab ).
Les agents militaires russes et les deux guerres balkaniques
Le numéro de juin de cette revue estima que les menées militaires austro-hongroises ne visaient pas la Russie [30]. Il est vrai que l'information sur la double monarchie était particulièrement performante en raison des nombreuses pénétrations que les services russes, autant l'agent militaire à Vienne que le responsable du renseignement en poste à Varsovie, avaient réalisées au sein de l'état-major austro-hongrois, notamment dans la section russe et la Kundschafterstelle (opérations) de l' Evidenzbüro [31]. De plus, Vienne était aussi une position idéale pour recueillir de l'information sur les Balkans, mais aussi sur l'Allemagne et la Turquie [32]. Il n'était donc pas étonnant que le colonel Mikhail Ivan Zankevich, venant de Roumanie, remplaça en janvier 1912 le colonel Mitrofan Konstantinovich Marchenko… Par ailleurs, il était notoire que la double monarchie n'était pas, aussi bien militairement que financièrement, préparée pour une guerre [33]. Pour le GUGŠ, la véritable menace concernait la Turquie. Les rapports de l'agent militaire en poste à Constantinople, le général de division Ivan Alekseïevich Holmsen, voyaient les réformes militaires entreprises par les « Jeunes Turcs » comme autant d'indices. S'ajoutaient également ses rapports avec l'Allemagne.
Les rapports des voennye agenty couvrant les deux guerres balkaniques (1911-1913) insistaient sur la menace turque pour la stabilité de la péninsule. Alors que l'Albanie commençait à se soulever contre l'occupation turque, le colonel Potapov avertissait dès le 3 juin 1911 des risques d'embrasement régional. De même que dans le pays voisin, il avait « des raisons de croire que [c'étaient] les Monténégrins, et non les Turcs, qui s'efforçaient de trouver des prétextes pour déclencher la guerre » [34]. De Sofia, le tsar Ferdinand Ier était dans de pareilles dispositions, arguant de la menace turque en mer Noire [35]. S'ajoutaient encore, plus objectivement cette fois, les plans de conquête de la Sublime Porte dans le Caucase et au nord de la Perse [36]…
La « défaite militaire de l'Empire ottoman » face à l'Italie en Libye, claire dès les premiers jours de la guerre, après le 16 septembre 1911, inquiétait autrement les analystes russes. Dans ce climat de bellicisme, général en Europe depuis le coup d'Agadir, le 1er juillet, particulier aux Balkans depuis l'insurrection albanaise, une nouvelle révolution à Constantinople, après celle de 1908, donnerait « le signal d'un mouvement désorganisé entrepris contre la Turquie par ses voisins de la péninsule balkanique » et du « démantèlement des possessions turques en Europe » [37]. Incertains des capacités de la Russie de pouvoir profiter de la situation tant espérée, alors qu'elle commençait seulement à se réinsérer dans le jeu européen, les genshtabisty du département Balkans espéraient qu'un « gouvernement raisonnable » put éviter « d'adresser une déclaration officielle à la Turquie » [38]. Ils pensaient évidemment à la Bulgarie, leur seul point d'appui dans la région avec la Serbie. Mais les diverses informations qui leur remontaient des postes dans la région [39] n'étaient pas des plus encourageantes à la fin de l'été 1912.
Cette crainte des analystes russes répondait en fait au renforcement de la puissance allemande dans la région. L'ultimatum du chancelier Bernhardt von Bülow, le 29 mars 1909, dans la précédente crise bosniaque, avait suffit à rappeler l'ampleur du danger [40]. Le 14 janvier 1911, le colonel Marchenko, à Vienne, informait que le nouveau Premier ministre roumain, Peter P. Carp, était « un homme d'Etat germanophile borné qui nourri [ssait] ouvertement des sentiments hostiles à la Russie et aux slaves » [41]. Déjà, depuis la visite secrète du ministre de la Guerre, son pays était devenu une base avancée des services de renseignement du Reich [42]. Les démarches officieuses de l'ambassadeur allemand à Constantinople en direction de son collègue russe, en vue de prévenir la guerre qui menaçait par un avantageux partage pour toutes les parties (Belgrade pour l'Autriche-Hongrie, Varna pour la Russie) n'était qu'un indice supplémentaire de l'entregent allemand. La crainte qui agitait la communauté du renseignement russe était que « notre politique actuelle nous entraîne dans cette voie » [43].
Cette solution était d'autant plus tentante qu'un nouveau conflit dans la région risquait de nuire à la Bulgarie. D'autant qu'en octobre et novembre 1912, les jeux diplomatiques de ce pays étaient contraires à ceux de la Russie [44]. Un an plus tôt, le colonel Romanovsky avait pourtant averti qu'une défaite bulgare entraînerait un changement de gouvernement défavorable « aux partisans les plus sûr et les plus fidèles de la Russie » ainsi que des prétentions exorbitantes de la Roumanie en Dobroudja [45]. Et le prix d'une victoire, avec le déclenchement de la guerre, serait tout aussi défavorable, les genshtabisty du département Balkans estimant les revendications du roi Ferdinand Ier à ni plus, ni moins que Constantinople et Andrinople [46] ! Ces renseignements posaient clairement la question de la politique à tenir. Le 4 octobre 1912, le ministre russe de la Guerre, le général Vladimir Aleksandrovich Sukhomlinov, s'en était fait l'écho devant le Conseil ministériel. Il avait prédit qu'une réaction négative de la part de la Russie indisposerait inévitablement « les Etats slaves des Balkans (…) , ce qui [lui] permettrait difficilement de les compter parmi [ses] alliés en cas de confrontation armée avec l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie » [47]. Sans compter les inévitables conséquences dans le Caucase et en Asie. Une semaine plus tard, Anatoly Anatolevich Neratov, faisant fonction de ministre des Affaires étrangères, demandait à son collègue de se tenir prêt à mobiliser [48].
La question sous-jacente de ces considérations portait sur les capacités bulgares à soutenir une guerre. Bien que le tsar Ferdinand Ier soutint le « parti de la guerre » , son pays dépendait trop de l'aide financière et alimentaire extérieure pour mener une campagne longue [49]. Par ailleurs, il ne manquait pas d'ennemis dans la région. A commencer par la Roumanie, alliée de l'Autriche et dont « l'un des grands principes de [sa] politique étrangère » consistait « à empêcher tout renforcement de [la Bulgarie] sans un renforcement simultané de la Roumanie [50] . » Fin mars 1913, l'agent militaire à Rome, le colonel F. Boulganine informait « très confidentiel [lement] » le GUGŠ de « l'existence d'un accord secret entre la Serbie et le Monténégro, dirigé contre la Bulgarie » [51]. S'annonçait également un différent avec la Grèce au sujet de Salonique [52].
Au lendemain de la première guerre balkanique (8 octobre 1912-17 mai 1913), la réponse de cette question ne se trouvait plus à Sofia, mais à Belgrade. Pour un officier aimant la synthèse comme Romanovsky, il fallait dissuader la Serbie d'entrer en guerre contre la Bulgarie. Un démantèlement négocié et simultané des armées des deux camps était une solution pour maintenir la paix [53]. Naturellement, acquis de longue date aux idées du gouvernement auprès duquel il était accrédité [54], son collègue Artamonov soutenait un point de vue différent. Soutenant l'idée d'une inflexibilité bulgare [55] au lendemain du pacte secret entre la Grèce et la Serbie, il proposait un renouvellement de la Ligue balkanique, au besoin ouverte à la Roumanie, ramenée ainsi dans le camp de l'Entente [56]. Cet antagonisme entre les sources d'information du GUGŠ devait paralyser la diplomatie russe au cours de la seconde guerre balkanique (16 juin-18 juillet 1913). Et emporter son système défensif dans la région, avec la ruine de la Bulgarie et l'antagonisme serbe [57].
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Les guerres balkaniques correspondaient moins, pour le renseignement tsariste, en une préparation de la Première Guerre mondiale que d'une mise au point des avancées réalisées depuis la fin de la guerre russo-japonaise. Le GUGŠ, les services de renseignement de district et les voennye agenty avaient pu initier leur mutation avec la crise bosniaque, deux ans plus tôt. Mais l'imbroglio de la situation dans la péninsule avait amené les services de renseignement, dans le recueil de l'information comme dans son traitement, à affiner leur analyse. Dès son arrivée à Vienne, en provenance de Bucarest, dans les premiers jours de janvier 1912, le colonel Mikhail Ivan Zankevich avait noté que l'enjeu n'était plus régional, mais bien plus large. Ce n'était pas le sort de l'« homme malade de l'Europe » qu'allait jouer ces petits Etats de la péninsule, mais bien celui de l'équilibre continental, obligeant les grandes puissances, de la Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) comme de la Triple Entente (France, Grande-Bretagne, Russie), à se positionner clairement [58].
La centralisation du renseignement au sein de la septième section et sa bonne interface avec les organes de recherche du district d'Odessa avait fonctionné. Les informations étaient remontées à Saint-Pétersbourg. Elles avaient nourri la réflexion au niveau politique, parfois jusqu'au plus haut niveau de décision. Mais la rivalité entre les départements de la Guerre et des Affaires étrangères, autant que la propension des hommes du renseignement à s'enfermer dans un « complexe de sentiments – peur, envie et admiration » pour appréhender les situations [59] -encore un legs pour la période soviétique-, qui les amenait à se neutraliser l'un l'autre dans leurs évaluations, s'avéra un obstacle insoluble. Il devait emporter le régime dans la tourmente de juillet 1914.
- [1]. « Military attaché in Europe », The New York Times du 22 juillet 1877.
- [2] Encore que les études portent trop sur l'attaché naval [Geneviève Salkin-Laparra, Marins et diplomates : les attachés navals : 1860-1914 : essai de typologie, dictionnaire biographique (Vincennes, Service historique de la marine, 1990), Jean-Claude Montant, « Les attachés navals français au début du 20e siècle », Relations internationales , n° 60, p. 429-442, Philippe Lasterle, «Les attachés navals français (1940-1944) : mesure d'un rôle diplomatique », Relations internationales , n° 107, automne 2001, pp. 337-354, Virginie Paroutian, « Un marin français auprès de l'US Navy : l'attaché naval à Washington, de 1889 à 1939 », Relations internationales , n° 110, été 2002, p. 147-161 et Alexandre Sheldon-Duplaix, « Un marin du Second Empire au service du renseignement : le capitaine de vaisseau Pigeard et les programmes navals anglais et américains (1856-1869) » Revue historique des armées , n° 247, 2007/3, rha.revues.org//index2073.html] et sur l'après-Première Guerre mondiale, depuis l'étude majeure de Maurice Vaisse [ « L'évolution de la fonction d'attaché militaire en France au XXe siècle » , Relations Internationales , n° 32, hiver 1982, pp. 507-524 ; cf. aussi Armand Paul Beauvais, Attachés militaires, attachés navals et attachés de l'air ( Paris, Pédone, 1937), C. Carre, Les attachés militaires français 1920-1945, Maîtrise, histoire, Paris I, 1976, Roger Clery, « Réflexions sur les fonctions d'attachés militaires », Revue de la Défense Nationale , juillet 1969] jusqu'aux études centrées sur quelques conflits, comme l'Espagne [Dominique de Corta, Le rôle de l'attaché militaire français pendant la guerre civile espagnole , Maîtrise, histoire, Paris I, 1981, Anne-Aurore Inquimbert, Etude des relations entre haut commandement, société militaire et pouvoir politique à travers la carrière d'Henri Morel (1919-1944) , Doctorat, Histoire, Paris IV-Sorbonne, 2008 et son article « Les premiers mois de la guerre civile espagnole vus par le lieutenant-colonel Henri Morel, attaché militaire auprès de l'ambassade de France en Espagne », Revue historique des armées, n° 233, 2003/4, pp. 97-106, Jean-Paul Eyrard, « Attaché naval en Espagne pendant la guerre civile : l'itinéraire du lieutenant de vaisseau Raymond Moullec » Revue historique des armées , n° 251, 2008, rha.revues.org//index335.htm] en passant par des études plus générales [Roger Clery, « Les attachés militaires français depuis la Deuxième guerre mondiale », Contact , n° 18, septembre 1979, pp. 13-22, Yves Salkin, Présence et influence militaires françaises en Amérique Latine de 1919 à 1940 , Doctorat, Histoire, Paris I, 1983, Lothar Hilbert, « Les attachés militaires français : leur statut pendant l'entre-deux-guerres », Guerres mondiales et conflits contemporains , 2004/3, n° 215, pp. 25-33, Michel Roucaud, « Le dossier du général Victor Pétin » Revue historique des armées , n° 244, 2006, rha.revues.org//index6022.html, Christophe Midan, « L'action des attachés militaires français à Bucarest et leur perception de l'armée roumaine pendant la guerre froide (1948-1975) », Revue historique des armées , n° 244, 2006, rha.revues.org//index5972.html, Guillaume Humblot, « La puissance militaire soviétique vue par les attachés militaires français à Moscou (1945-1953) », Guerres mondiales et conflits contemporains , 2005/2, n° 218, pp. 101-114]. Pour l'avant-1914, il n'existe que la très bonne présentation de Thierry Sarmant [« Der alte Adler fliegt noch . Les attachés militaires français et la dislocation de l'Empire austro-hongrois, 1870-1914 », Revue historique des armées , n°226, 2002, www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/04histoire/articles/articles_rha/ attachesmilitairesfrancais.htm] et le très relatif livre de Jean Pailler [ La ligne bleue des Balkans: témoignages d'observateurs militaires , 1875-1876 (Paris, L'Harmattan, 1996)]
- [3] Cf. Lothar W. Hilbert, The role of military and naval attachés in the British and German Service with particular reference to those in Berlin and London and their effect on Anglo-German relations,1817-1914, Dissertation, Cambridge, 1954, Matthew S. Seligman, Spies in Uniform : British Military and Naval Intelligence on the Eve of the First World War , Oxford, Oxford University Press, 2006.
- [4] Cf. Heinrich Otto Meisner, Militärattachés und militärbevollmächtigte in Preußen und im Deutschen Reich. Ein Beitrag zur Geschichte der Militärdiplomatie (Berlin, Rütten & Loening, 1957) et Matthew S. Seligman, Naval Intelligence from Germany. The reports of the British Naval Attachés in Berlin, 1906-1914 (Aldershot, Ashgate, 2007).
- [5] Cf. William C. Fuller Jr., « The Russian Empire », Ernest R. May (ed.), Knowing One's Enemies : Intelligence Assessment before the Two World Wars (Princeton, Princeton University Press, 1984), pp. 98-126.
- [6] Cf. Richard J. Johnson, « Zagranichnia Agentura: The Tsarist Political Police in Europe », Journal of Contemporary History , vol. 7, janvier-avril 1972, pp. 221-242.
- [7] Il comptait dix-sept officiers en 1904, auxquels s'en ajoutaient douze autres au Directoire de stratégie navale, sans compter les officiers commissionnés ou non, comme les agents militaires [Evgueni Sergeev, Artem Akopovich Ulunian, Ne podlezhit'oglasheniiu: Voennye agenty Rossiiskoi Imperii 1900-1914 (Les attachés militaires de l'empire russe en Europe et dans les Balkans, 1900-1914) (Moscou, Institut d'histoire universelle, Académie russe des sciences, 1999 ; 2e édition Moscou, Reali-Press, 2003), pp. 22-23]. Notons que cette moyenne est comparable aux autres services européens, qu'ils fussent britannique, français, allemand, autrichien ou italien.
- [8] Cf. M. Alekseev, Voennaia razvedka Rossii ot Riurika do Nikolaia II (Moscou, Russkaia razvedka, 1998), pp. 49-51.
- [9] Alex Marshall, « Russian Military Intelligence, 1905-1917: The Untold Story behind Tsarist Russia in the First World War », War in History , vol. 11, n° 4, octobre 2004, pp. 393-423.
- [10] La meilleure histoire, du point de vue du renseignement, sur cet épisode est celle d'Evgueni Sergeev, Russian Military Intelligence in the War with Japan, 1904-05. Secret Operations on Land and at Sea (New York, Routledge, 2007). Cf. aussi David H. Schimmelpenninck Van Der Oye, « Russian Military intelligence on the Manchurian front, 1904-05 », Intelligence and National Security , vol. 11, n° 1, janvier 1996, pp 22-31, James D. Sisemore, The Russo-Japanese War, Lessons Not Learned , Master, Faculty of the U.S. Army Command and General Staff College, Fort Leavenworth, Kansas, 2003, cgsc.cdmhost.com/cgi-bin/showfile.exe?CISOROOT=/p4013coll2&CISOPTR=113&filename=114.pdf , Bruce W. Menning, "Miscalculating One's Enemies: Russian Military Intelligence before the Russo-Japanese War", War in History , 2006, vol. 13, n° 2, pp. 141-170, Alex Marshall, « Russian Intelligence during the Russo-Japanese War, 1904-05 », Intelligence and National Security , vol. 22, n° 5, octobre 2007, pp. 682-698.
- [11] Rossijskij Gosudarstvennyj Voenno-Istoričeskij arhiv (Archives russes d 'Etat d'histoire militaire, RGVIA) Moscou, F. 1956, opis 1, delo n° 34-36, déclaration du colonel d'état-major Avenir Gennadievich Efimov, chef du renseignement du district de Vilna, cité dans le rapport de la Commission du 21 novembre (4 décembre) 1910.
- [12] Politisches Archiv des Auswärtigen Amts, R 10778, « Der Militärischen Nachrichtendienst in Ruβland », mémorandum secret du 2 juin 1908.
- [13] Alex Marshall, The Russian General Staff and Asia, 1800-1917 (New York, Routledge, 2006), pp. 93 et 99.
- [14] Selon l'expression employée ultérieurement par le Komitet Gosurdarstvennoï Bezopastnostii (Comité de la sécurité d'Etat, KGB). Ces techniques servaient à influencer le cours des évènements mondiaux, en plus de collecter du renseignement. Elles incluent la désinformation, la propagande, la contrefaçon de documents officiels, et la répression politique, par la pénétration des églises et des groupes dissidents. L'ancien chef du KGB de Leningrad, Oleg Kalouguine, déclara qu'elles constituaient le « cœur et l'âme du renseignement soviétique » [http://edition.cnn.com/video/#/video/specials/2007/05/28/ quest.undercover.kalugin.cnn?iref=videosearch].
- [15] Christopher Andrew, Oleg Gordievsky, Le KGB dans le monde, 1917-1990 (Paris, Fayard, 1990), p. 45.
- [16] Cf. Richard Deacon, op. cit. , pp. 121-122.
- [17] Pour une description de cette aristocratie militaire au début du XXe siècle, cf. Evgueni Sergeev, op. cit. , pp. 17-20.
- [18] Cité par Alex Marshall, op. cit. , p. 27. Cf. aussi les développements d'Alain Dewerpe, Espion. Une anthropologie historique du secret d'Etat contemporain (Paris, Gallimard, 1994), pp. 23-25.
- [19] Cf. David Khan, The Codebreakers (New York, Macmillan, 1967), pp. 614-621. William C. Fuller Jr. ne fait aucunement mention au déchiffrement.
- [20] Cf. Ian D. Armour, « Colonel Redl: Fact and fantasy », Intelligence and National Security , vol. 2, n° 1, janvier 1987, pp. 170-183. Cf. aussi Service historique de la Défense (Vincennes, SHD), département de l'armée de terre (DAT), 7 N 1131, dépêches du lieutenant-colonel Hallier, attaché militaire français à Vienne, au ministre de la Guerre des 29 mai, 3 et 12 juin 1913.
- [21] Il avait été interpellé à Vienne le 8 avril 1913 alors qu'il rendait visite à deux officiers bosno-autrichiens, Alexandre et Cedomil Jandrič, convaincus d'espionnage [Cf. SHD, DAT, dépêches de Hallier au même des 11, 13, 22 avril 1913 (7 N 1131) et 3 mars 1914 (7 N 1132)]. Le scandale dans cette affaire tenait en ce que le lieutenant Cedomil Jandrič était élève à l'école de Guerre avec le lieutenant Kurt Conrad, fils du commandant en chef de l'armée royale et impériale [Lawrence Sondhaus, Franz Conrad Von Hötzendorf: Architect of the Apocalypse (Boston, Leiden, Cologne, Brill, 2000), p. 128]. Le suicide de Redl permit à la presse de se désintéresser de cette affaire.
- [22] Il avait été surpris à Berlin alors qu'il essayait d'obtenir des copies de cartes secrètes auprès de la section cartographique du ministère de la Guerre [Cf. Richard Deacon, A History of the Russian Secret Service (Londres, Frederick Muller, 1972), p. 152. A de très rares occasions, dont celle-ci et plusieurs pages sur Redl (pp. 151-152, 168-171 et 183-184), cet auteur britannique prolifique sur l'histoire du renseignement se focalise essentiellement, pour la période impériale, sur le lent cheminement vers l'établissement d'une police politique et son histoire]. Sur le mandat berlinois de Bazarov, du 4 février 1911 au 28 juin 1914, cf. Evgueni Sergeev, Artem Akopovich Ulunian, op. cit. , pp. 267-268 et Evgueni Sergeev, « Das deutsche Kaiserreich aus der Sicht russischer Militärattachés (1900-1914) », www.ku-eichstaett.de/ZIMOS/forum/docs/Sergee.htm.
- [23] Cf. Alex Marshall, op. cit. , pp. 31-35.
- [24] Sur cette question cf. Luigi Albertini, Origins of the War of 1914 , II (Londres, Oxford University Press, 1953), p. 86 et Louis Trydar-Burzinski, Le Crépuscule d'une autocratie (Florence, 1926), p. 128.
- [25] Cf. le rapport du général Mikhail Vasiliyevich Alekseev, chef d'état-major du district militaire de Kiev, cité par Alex Marshall, op. cit. , p. 128.
- [26] RGVIA, F. 2000, opis 1, delo n° 7337.
- [27] Cf. aussi Alexandre Kostov, « Les Balkans et le réseau ferroviaire européen avant la Première Guerre mondiale », Michèle Merger, Albert Carreras, Andrea Giuntini, Les réseaux européens transnationaux XIXe -XXe siècles. Quels enjeux ? (Nantes, Ouest France, 1995), pp. 48-60.
- [28] RGVIA, F. 2000, opis 1, delo n° 7335, Artamonov à GUGŠ du 18 mars 1911.
- [29] Ibid. , GUGŠ aux agents militaires, passim .
- [30] Ces constations reposaient sur les analyses des genshtabisty de Saint-Pétersbourg, cf. RGVIA, F. 1859, opis 6, delo n° 139.
- [31] Rappelons que la rapide promotion d'Alfred Redl, de capitaine à colonel en douze ans, sans changer de poste, reposait sur la dénonciation d'agents russes, cas classique de la pénétration, en échange d'agents autrichiens infiltrés dans l'état-major russe si sa prise était trop importante, comme le colonel Kiril Petrovich Lakov en 1903 dans le cas du lieutenant-colonel auditeur Sigmund Hekailo, en poste à Lemberg, du major Ritter von Wienchowski, chef du district auxiliaire de Stanislau, et du capitaine Alexander Acht, adjudant à Lemberg [Egon Erwin Kisch, Harold B. Segel, Egon Erwin Kisch, the raging reporter: a bio-anthology (West Lafayette, Purdue University Press, 1997), pp. 184-188].
- [32] Richard Deacon, op. cit. , p. 182.
- [33] Cf. la lettre confidentielle du chargé d'affaires russe à Vienne au ministre des Affaires étrangères, Sergeï Sasonov, du 2 août 1912, in Abel George Schreiner (ed.), Entente Diplomacy and the World: Matrix of the History of Europe, 1909-14 (New York, G. P. Putnam's Sons, 1921), pp. 355-356.
- [34] Lettre de Potapov au chef d'état-major Yakov G. Zhilinsky in Mezhdunarodnye Otnosheniya (Relations internationales), vol. XVIII/1, n° 2, p. 117.
- [35] RGVIA, F. 2000, opis 1, delo n° 3067, lettre de Romanovsky à la direction principale du 8 septembre 1911.
- [36] Ibid. , op. cit. , delo n° 3819, rapport très confidentiel de Kholmsen à Zhilinsky du 21 août 1911.
- [37] Ibid. , op. cit. , delo n° 7382, rapport d'état-major du 22 décembre 1911.
- [38] Ibid. , op. cit. , delo n° 7392, rapport d'état-major du 5 juillet 1912.
- [39] Cf. les dépêches de Romanovsky, le 1er septembre 1912 [ Ibid. , op. cit. , delo n° 2987], de Potapov, le 15 septembre [ Ibid. , op. cit. , delo n° 2989], de Gudim-Levkovich, le 3 septembre [ Ibid. , op. cit. , delo n° 2994] ou d'Artamov, le 18 septembre [ Ibid. , op. cit. , delo n° 2992].
- [40] Cf. Ibid. , op. cit. , delo n° 6799, lettre du colonel Michelson, agent militaire, à son ambassadeur à Berlin, le comte Nicholai Vladimirovitch Osten-Saken, du 20 janvier 1909.
- [41] Ibid. , op. cit. , delo n° 3093.
- [42] Ibid. , op. cit. , delo n° 7238, lettre de Michelson au chef d'état-major, le général Aleksandr Alekseivich Gerngross, du 30 octobre 1910.
- [43] Ibid. , op. cit. , delo n° 2994, lettre de Gudim-Levkovich à la direction principale du 18 septembre 1912.
- [44] Cf. Abel George Schreiner (ed.), op. cit. , pp. 358-402.
- [45] RGVIA, F. 2000, opis 1, delo n° 3002, lettre du 22 décembre 1911.
- [46] Ibid. , op. cit. , delo n° 7400, rapport d'état-major du 13 octobre 1912.
- [47] Ibid. , op. cit. , delo n° 3002, lettre au président du Conseil, le secrétaire d'Etat Vladimir Nikolaïevitch. Kokovtsov.
- [48] Lettre au même du 10 octobre 1912, cité in Abel George Schreiner (ed.), op. cit. , pp. 358-360.
- [49] RGVIA, F. 2000, opis 1, delo n° 2997, lettre de Romanovsky à la direction principale du 20 novembre 1912.
- [50] Ibid. , op. cit. , delo n° 2988, lettre d'Iskritsky à la direction principale du 30 décembre 1912.
- [51] Ibid. , op. cit. , delo n° 7400.
- [52] Ibid. , op. cit. , delo n° 3002, passim . Cf. aussi les télégrammes du chargé d'affaires russe à Sofia, du 26 mars 1911, et de son collègue ministre à Belgrade, du 27 octobre 1911 à Sasonov, pp. 314 et 389.
- [53] Ibid. , op. cit. , delo n° 7407, lettre du 19 mai 1913.
- [54] Dans une lettre confidentielle à son ministre du 2 février 1911, l'ambassadeur de Russie à Vienne se fondait sur les rapports des représentants russes à Sofia et à Belgrade, ainsi que du chargé d'affaires à Constantinople, pour recommander de regarder « toutes les informations provenant du gouvernement serbe issues de sources secrètes (…) uniquement avec des réserves. La faiblesse du côté serbe est ce besoin constant d'intrigues politiques employées au seul but de ne pas permettre que la Russie entretienne de bonnes relations avec des puissances, dont les relations avec la Serbie sont mauvaises » [cité in Abel George Schreiner (ed.), op. cit. , p. 306].
- [55] RGVIA, F. 2000, opis 1, delo n° 3002, lettre du 6 juin 1912.
- [56] RGVIA, F. 2000, opis 1, delo n° 3151, lettre d'Artamov du 16 juin 1913.
- [57] Ibid. , op. cit. , delo n° 3048, lettre de Romanovsky du 30 août 1913.
- [58] Ibid. , F. 1859, opis 6, delo n° 139, lettre de Zankevich du 25 janvier 1912.
- [59] William C. Fuller Jr., op. cit. , p. 113.