Desvernine, simple flic ? L’histoire d’un contre-espion français méconnu
Gérald ARBOIT
Le commissaire spécial adjoint Jean-Alfred Desvernine est entré dans l'histoire par la petite porte de l'Affaire Dreyfus. Il est l'homme par qui l'accusation fut portée sur Marie Charles Ferdinand Walsin Esterházy, ce que les militaires et la justice ne voulurent jamais reconnaître[1]. Pourtant, de 1894 à 1918, il traverse toutes les péripéties du contre-espionnage français. Officier subalterne de la guerre de l'ombre qui se mène entre la France et l'Allemagne, il est surtout révélateur des pratiques professionnelles de ce monde particulier du début du XXe siècle. Tour à tour militaire, policier et détective privé, Desvernine apparaît comme un archétype du contre-espion, ainsi qu'on l'entendait à l'époque.
Jean-Alfred Desvernine est né le 26 septembre 1858 dans la petite commune de Saint-Seurin de Cadourne, en plein Médoc. Bientôt orphelin de père, capitaine au long cours, il contracte un engagement volontaire dans les Chasseurs d'Afrique en mars 1877 pour échapper à un destin de marin fluvial ou d'employé agricole sur un domaine viticole. Après six ans de service en Algérie, il est affecté au 2e, puis au 7e Dragons, où il gravit rapidement les échelons de sous-officier. Pendant sept ans, il apprend les règles spécifiques de cette manœuvre qu'est la reconnaissance. Son excellence comme meneur d'hommes et à accomplir sa mission le fait intégrer, à seulement vingt-sept ans, en octobre 1885, l'école d'application de cavalerie, à Saumur. Le 19 juillet, il est promu adjudant et inscrit au tableau d'avancement pour le grade de sous-lieutenant. Le 13 octobre 1886, il est nommé officier et rejoint le 9e Dragons. Cet ancien sous-officier prometteur se laisse griser par cette nouvelle vie qui s'offre à lui. Sa conduite privée se détériore à partir de 1891. « Perclus de dettes », usant « vis-à-vis de ses créanciers de procédés visant à l'indélicatesse et à l'escroquerie », ce joueur invétéré est contraint à la démission le 25 février 1892[2].
Policier spécial à la Sûreté générale
Desvernine regagne la capitale où l'attend la jeune Clémentine Claire Jacques, la fille mineure de cultivateurs de Provins, âgée dix-sept ans. Ayant trouvé un emploi de comptable, il lui fait un enfant, une petite Claire Jeanne, née le 2 octobre 1893, et, de ce fait, l'épouse le 16 mai suivant. Entre temps, il a passé l'examen d'entrée à la police spéciale, destiné aux militaires, après s'être déclaré candidat auprès du commissaire spécial de la gare Saint-Lazare[3]. Le 5 novembre 1894, il est nommé inspecteur spécial de 2e classe. Là encore, ses capacités particulières facilitent sa promotion dès le 19 janvier 1895. En deux mois, il a non seulement retenu l'attention de son supérieur à Saint-Lazare, qui le propose pour la 1re classe de son grade, mais aussi de ceux de la Sûreté générale, qui l'affectent à la direction. Et le 17 juillet suivant, Desvernine devient commissaire spécial adjoint[4], suite à la suppression du grade d'inspecteur spécial par arrêté ministériel[5].
Cette affectation et cette promotion rapide ont tout lieu de surprendre. Comment ce jeune homme de trente-sept ans fait-il pour atteindre en seulement huit mois une telle position ? Simple lieutenant, c'est-à-dire officier subalterne, qui plus est démissionnaire et sans argent, il ne possède d'aucun appui extérieur que ses états de service militaire. Comme de nombreux policiers, cette expérience des armes et de la discipline est une excellente école de formation et explique seulement l'acceptation de sa candidature. Plus sûrement, il profite également du climat de violence anarchique, dont l'attentat d'Auguste Vaillant, le 9 décembre 1893, en pleine Assemblée nationale, est une illustration. Il s'en est suivi une embauche de 244 officiers de police, dont l'ancien militaire n'est qu'une des recrues.
Bachelier, il était étudiant en médecine avant de s'engager dans l'armée et ses notations mentionnent qu'il « connaît l'espagnol, a quelques notions d'arabe et d'allemand ». Ainsi s'expliquent sa promotion jusqu'au grade de lieutenant dans l'armée, puis de commissaire spécial adjoint dans la police. Sa très bonne conduite dans l'armée, malgré « sa moralité douteuse » pour un officier, et notamment ses fonctions de comptable militaire l'amènent à trouver un emploi civil dans la comptabilité, à Bordeaux, puis à Paris. Au printemps 1895, il est fait chevalier du Kaiserlich-Österreichische Franz-Joseph-Orden[6], un ordre du mérite qui honore des personnalités civiles ou militaires, en l'occurrence les treize commissaires spéciaux et adjoints détachés à la protection du couple impérial autrichien lors de son séjour à l'Hôtel du Cap Saint-Martin de Menton. Plus en rapport avec ses compétences linguistiques, quatre ans plus tard, Desvernine devient membre titulaire (n° 2684) de la Société de propagation des langues étrangères en France et est compris, en décembre 1893, dans l'ordre des Palmes académiques. Cet attrait pour la langue de Goethe lui ouvre toutefois une autre porte, à moins naturellement que ce ne soit-elle qui lui ait ouverte celle de la police.
Une note tardive du 16 février 1927 affirme en effet qu'il « collabore au Service de renseignement depuis 1893 »[7]. Mais sa fiche de carrière du service du personnel de la Sûreté générale précise que Desvernine n'est officiellement détaché à la Section de Statistique qu'en mai 1895. La confiance dont le policier jouit de la part du chef de bataillon Marie-Georges Picquart, commandant le service à compter du 22 juin 1895[8], plaide pour la deuxième hypothèse. Une précision supplémentaire permet d'étayer cette issue : Desvernine est mis à disposition du ministère de la Guerre, et non à proprement parlé du service des renseignements. Certes, son passage (rapide il est vrai !) à la gare Saint-Lazare, l'a initié à la surveillance des voyageurs, notamment étrangers, c'est-à-dire au contre-espionnage. De plus, le commissaire spécial adjoint est qualifié dans les enquêtes de droit commun à arrêter et interroger les suspects, à entendre les témoins et à réaliser des perquisitions[9]. Toutes choses dont les militaires en général (à l'exception des officiers de gendarmerie), et ceux de la Section de Statistique en particulier, sont dépourvus.
Aussi l'affectation de Desvernine n'est-elle pas strictement au 75, rue de l'Université, au contact des officiers de renseignement, ni au 231, boulevard Saint-Germain, auprès du ministre de la Guerre, mais bien à la Sûreté générale, 62, rue de Ranelagh. Et le policier ne rencontre pas Picquart, jusqu'à son départ de la Section de Statistiques, le 14 novembre 1896, à son bureau, mais tantôt au Louvre, tantôt gare Saint-Lazare. Mieux, le 8 avril 1896, Picquart lui donne même son premier rendez-vous par une carte-télégramme signée « Robert »[10]. C'est dire que l'officier tient à la plus grande confidentialité ; la seule erreur est peut-être que cette correspondance ait été rédigée par l'archiviste de la Section, Félix Gribelin, membre de la conspiration contre le capitaine Alfred Dreyfus ! Cette pratique confirme surtout l'absence de relations directes depuis un an entre le policier et le service de renseignement. Il est vrai que la Section de Statistique, depuis deux ans, s'est mobilisée uniquement sur le dossier du capitaine Dreyfus, condamné le 22 décembre 1894 pour espionnage au profit de l'Allemagne.
Le 24 août 1899, devant le conseil de guerre de Rennes, Desvernine affirme que, pour son travail avec le service des renseignements, « jamais il n'a été question de l'affaire Dreyfus et j'ai toujours ignoré jusqu'au dernier moment que je travaillais dans cet ordre d'indices ». Picquart lui confie la surveillance de l'ambassade d'Allemagne. Desvernine s'installe dans la maison d'en face, rue de Lille et entreprend de sonoriser la cheminée de l'ambassade[11]. Il accomplit aussi « plusieurs missions délicates (…) à sa satisfaction »[12], dont une enquête sur la possible trahison du commandant Esterházy[13] ; le général Charles Gonse, sous-chef d'état-major de l'armée, l'enjoint à continuer de filer le « Bienfaisant »[14] en toute discrétion jusqu'au 23 octobre 1897, faute de preuve suffisante de la part du policier. Ensuite, travaillant plus officiellement avec le lieutenant-colonel Hubert-Joseph Henry, il est requis pour recueillir des témoignages à charge contre Dreyfus de Sauvignaud (4 juillet 1898) et de Paumier[15] (10 novembre 1898). Ainsi se trouve-t-il embarqué dans l'Affaire Dreyfus ! Il n'est pas cité à comparaître lors du procès Picquart (mars 1899), au point que le défenseur de l'officier, Me Floris Mimerel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, peut ironiser sur ces « conditions telles qu'on ne retrouve aucune trace de cette surveillance prétendue » sur Esterházy[16]. Par contre, il est contraint de témoigner devant la Cour de cassation le 21 janvier 1899[17] et le 30 avril 1904[18], devant le conseil de guerre de Rennes, le 24 août 1899[19] et lors du procès Dautriche, le 3 novembre 1904[20].
Notons qu'à son retour de Rennes, Desvernine cesse sa liaison avec la Section de Statistique. Les relations entre son service et celui des renseignements sont devenues trop tendues, les militaires plongeant dans un jusqu'au-boutisme pour condamner Dreyfus. De la même façon, sitôt libéré de ses dernières obligations judiciaires, il demande à la Sûreté une mise en disponibilité, qui prend effet en janvier 1905. Sa rupture avec le contre-espionnage n'est que de brève durée. Le 5 août 1914, malgré ses cinquante-six ans, il se porte volontaire pour servir dans l'armée et, quinze jours plus tard, il est affecté au 1er Dragons comme lieutenant de réserve ; il est démobilisé le 17janvier 1919, autant pour s'occuper de ses « affaires négligées entièrement depuis quatre ans » que parce que les médecins lui ont diagnostiqué une « fatigue, suite à un surmenage intense » et prescrit la « nécessité urgente d'un repos complet »[21], chevalier de la Légion d'Honneur à titre militaire depuis le 6 mai 1918. Ce cavalier étant aussi commissaire spécial adjoint en disponibilité, il est destiné pour armer le poste de contre-espionnage et de répression de la contrebande de l'ambassade de France à Berne, à la demande du chef de bataillon Gaston Léonce Edouard Pageot, l'attaché militaire. Promu capitaine le 10 mai 1916, Desvernine arrive en Suisse en novembre. Mais, les conditions d'établissement de son poste ne sont pas des plus aisées en raison de l'activité plus ancienne du renseignement allemand et de « la neutralité bienveillante des autorités fédérales, tout au moins dans la Suisse du Nord »[22].
Pour ces raisons, le 1er juillet 1915, Desvernine transfère la direction de ses activités à Annemasse, où il ne s'installe réellement qu'en juin 1916. Ce déplacement s'explique parce cette ville-frontière voit affluer journellement des centaines de réfugiés, rapatriés et évacués de Belgique, du Luxembourg, de Lorraine et d'Alsace renvoyés par l'Allemagne vers la France, via la Lausanne et Genève. En fait, c'est tout le processus de renseignement qui est revu. Alors que le commissaire spécial, Casimir Théophile Perrier, se charge du Service des rapatriés proprement dit, le chef de bataillon Louis Armand Gaston Gourguen installe un Bureau de renseignement. Jusqu'au 17 janvier 1917, Annemasse devient le seul point d'entrée en France avec Hendaye et Folkestone. Ensuite, la cité savoyarde devient une station d'attente, vers laquelle sont dirigés les rapatriés réclamés par des parents ou des amis, en attente que leurs formalités d'entrée en France soient remplies[23]. Pour ce faire, Desvernine travaille en liaison avec la nouvelle Section de centralisation des renseignements (SCR) de Paris qu'anime le capitaine Emile Georges Ladoux[24]. De bons rapports semblent s'installer entre ces deux contre-espions. En effet, Desvernine obtient, le 28 juillet 1917, la haute-main sur tout le contre-espionnage offensif sur la Suisse, ses agents en place dans les consulats de Genève, de Berne, de Lausanne, de Zurich et de Lugano étant plus performants que ceux de l'ambassade[25]. En échange, mais pouvait-il le prévoir, il témoigne en faveur de Ladoux, le 26 avril 1919, lors du procès Humbert[26]. Le 2 avril 1920, il est aussi expert au procès Caillaux, à propos d'une enquête particulière de son service de contre-espionnage lié à l'affaire[27].
Agent d'affaires ou policier privé ?
A la fin du premier conflit mondial, l'ancien commissaire spécial adjoint en disponibilité et chef du service de contre-espionnage en Suisse est âgé de soixante-et-un an. Pour autant, l'heure de la retraite n'a pas sonné pour cet entrepreneur ; il totalise pourtant trente années de services militaire (dix-neuf ans et six mois) et civil (onze ans)[28]. Il reprend son ancienne activité, mais ne peut la rétablir, suite à ses quatre années d'absence et la cède à Edouard Jourdan en 1927[29]. En effet, après avoir quitté la Sûreté en janvier 1905, il apparaît que Desvernine se soit lancé dans une profession nouvelle pour l'époque. La seconde édition de Paris tout en main, publiée par Hachette en 1911, signale un Desvernine comme agent d'affaires, sis 40, rue du Bac. Or, l'ancien policier habite précisément à cette adresse, ainsi qu'en atteste divers documents de la Grande chancellerie de la Légion d'Honneur du printemps 1918, alors qu'il est affecté à cette époque à Annemasse. Quand a-t-il emménagé à moins de sept cent mètres du ministère de la Guerre et huit cent du Service de renseignements ? En 1899, il réside encore 7, rue Ernest Renan, mais une annonce relevée dans Le Matin des 19 et 22 février 1902 signale déjà une agence de détective privé, Globe Office, 40, rue du Bac. Au-delà du « divorce rapide », qui devient une spécialité de la profession, elle offre des « surveillances actives », des « renseignements privés », des « missions confidentielles » et des « recherches ». Qui mieux qu'un commissaire spécial adjoint en disponibilité peut se livrer à ce genre de commerce ?
L'opportunité d'un emploi mieux rémunéré (il émarge à 4 200 francs par an – soit 15 390 € -, au 1er échelon de son grade) explique peut-être cette décision. Dans le Paris de ce début de XXe siècle, les compétences de Desvernine sont recherchées par ces entrepreneurs modernes, qui sont aussi des individus inquiets, cherchant par tous les moyens à limiter les risques encourus. Ils ont besoin de renseignements que seul un professionnel peut leur offrir. Et, déjà, se met en place cette tendance que décrivent, le 19 janvier 1922, le Garde des Sceaux, Maurice Colrat, et le ministre de l'Intérieur, Maurice Mannoury : le risque de voir se « constitu[er] une organisation parallèle à celle de la Sûreté générale dont elle essaierait de s'assimiler les rouages et de surprendre les secrets pour les faire servir à la défense d'intérêt particuliers qui pourraient n'être pas toujours légitimes[30]. » Dans ce projet de loi visant à encadrer la profession de « policier privé », sont pointés ces « fonctionnaires de la Sûreté générale (…) après leur mise en retraite » qui rejoignent de telles agences ou qui leur font profiter, encore en activité, de certains contacts. Desvernine se situe entre les deux cas signalés, puisqu'il ne « pantoufle » ni ne collabore, mais dirige une telle entreprise.
Naturellement, la réalité des activités de l'ancien policier entre 1905, voire 1902, et 1914, puis de 1920 à 1927 reste inconnue. Il n'est pas possible de préciser son statut (directeur, gérant), malgré la concomitance d'adresse et d'activité, et même si, le 2 avril 1920, à l'occasion du procès Caillaux, il se présente comme « directeur d'une agence de recherches ». Ses employés (inspecteurs, représentants, preneurs, rédacteurs, classeurs, guichetiers) comme ses correspondants restent inconnus. A-t-il débauché des collègues pour participer à son commerce ? Ces dernières années de la Belle Epoque correspondent à une détente dans les relations avec l'Allemagne qui se traduit, de 1897 à 1906, par une réduction du personnel de la police spéciale[31]. Son collègue de la Sûreté générale, puis du service de renseignement à Berne, Charles Riou, se met également en disponibilité à la même époque. Mais il ne saute pas le pas, comme Desvernine, en se lançant dans les affaires, à moins d'avoir été plus malheureux, puisqu'il réintègre le service, comme commissaire spécial cette fois, le 21 mars 1914[32].
Si l'on en croit la note tardive de 16 février 1927, il est resté en relation avec le Service des renseignements après s'être mis en disponibilité de la Sûreté. Compte tenu de ses rapports avec les officiers de la Section de Statistique après son témoignage à Rennes, en août 1899, on peut raisonnablement estimer qu'il ait été recontacté à l'initiative du chef d'escadron Charles-Joseph Dupont, qui prend la direction d'une nouvelle unité en 1908, ou d'un de ses officiers. Dans sa lettre de service d'août 1914, il se déclare proche du commandant Emile Lambling. Le Service de renseignement doit reconstruire son réseau en Alsace-Moselle et en Allemagne. Dupont recrute ainsi Pierre Félix Albert Bachelard[33], avocat et gérant des Magasins réunis de Nancy, mais aussi chef d'escadron de réserve du 1er Hussards et aérostier diplômé[34]. Desvernine pouvait avoir également son utilité. Moins, il est vrai, pour recueillir du renseignement outre-frontière, bien qu'il soit un bon germaniste. Mais ce professionnel du contre-espionnage pouvait permettre à Dupont de faire mener des enquêtes en toute discrétion de la Sûreté générale, comme Desvernine l'avait fait à l'époque de Picquart, mais en marge de la Section de Statistique.
Plus certainement, de 1902 ou 1905 à 1914, il est un « intermédiaire professionnel » s'occupant d'affaires non-litigieuses. Au sein de Globe office, puis à partir de 1920, il s'occupe de renseignement commercial pour le bénéfice d'abonnés, c'est-à-dire de clients régulièrement démarchés par des représentants, mais aussi de clients occasionnels, qui se présentent à ses guichets. L'affaire a démarré doucement, puisque la publicité du Matin laisse penser au lancement d'un commerce, tandis que la mise en disponibilité trois ans plus tard semble traduire une augmentation de l'activité. Compte tenu de ses compétences, Desvernine se charge de la recherche, c'est-à-dire le « casier commercial » des entreprises et des entrepreneurs sur lesquels ses clients le chargent d'enquêter. Pour cela, il dispose de correspondants divers, depuis les huissiers, secrétaires de mairie et autres greffiers de justice de paix des petites communes, jusqu'aux banquiers, courtiers, assureurs et négociants de la place parisienne. Il dispose en outre du carnet d'adresse de ses collègues de la Sûreté générale, qui couvre toute la France, et très certainement du Service de renseignement. Ce profil économique en plus de ses compétences de contre-espion semble même confirmé par la décision de l'attaché militaire à Berne, le chef de bataillon Pageot, lorsqu'il dut faire son choix sur l'homme qui mettrait en place un service de contre-espionnage et de répression de la contrebande de l'ambassade de France.
Du contre-espionnage entre 1894 et 1918
Si la note du 16 février 1927 ne mentionne pas cette activité commerciale, se bornant à citer les bornes des services militaire et policier de Desvernine, elle précise qu'il « a été un collaborateur précieux pour le Service des renseignement grâce à son intelligence, à son zèle, à son activité incroyable et son habilité professionnelle hors de pair ». Sans rien dévoiler de ses activités, elle confirme les capacités de cet ancien commissaire spécial adjoint en disponibilité et chef du service de contre-espionnage en Suisse vérifiées jusqu'à présent par son avancement.
Il convient de ne pas oublier que Desvernine a été l'élève du commissaire spécial adjoint Thomas-Louis Tomps[35]. Ce sous-officier d'infanterie (1882-1886) est certes plus jeune en âge (trois ans) et en service (quatre mois) que lui. Mais cet autre parfait germanophone a été commis (employé civil) à la Section de Statistique (1886-1895), où il a photographié le bordereau accusant Dreyfus. Il a ensuite été placé comme commissaire spécial adjoint, semble-t-il à la demande de la Section de Statistique, d'abord à Chalindray (mars 1895-novembre 1896), puis à la gare de l'Est (novembre 1896-avril 1899). Dès lors, il est placé à la tête de la police spéciale dirigée vers l'Allemagne et travaille de conserve avec la Section de Statistique. Il accomplit plusieurs missions à l'étranger[36] du temps du colonel Nicolas Jean Robert Conrad Sandherr (1887-1895) comme de Picquart. Ce dernier le charge notamment, en mai 1896, alors qu'il est toujours à Chalindray, de surveiller un aristocrate cosmopolite, Pierre Fernand d'Hecquet d'Orval, lieutenant démissionnaire dénoncé par Henry en mars comme espion allemand. Tomps le garde sous surveillance jusqu'en décembre 1897, sans rien trouver de probant[37]. Surtout, il est impliqué dans les enquêtes diligentées par Sandherr dans le cadre de l'affaire Dreyfus. De fait, Tomps est suffisamment proche du chef de bataillon Henry, pour que ce dernier l'incite à établir un dossier contre Picquart en novembre 1896[38]. Policier intègre, Tomps s'y refuse et finit par cesser de collaborer avec Henry, devenu lieutenant-colonel et commandant du service des renseignements, au début de l'année 1898[39].
A cette école, Desvernine apprend à comprendre les missions de la Section de Statistique, aussi bien que la nécessaire loyauté pour la Sûreté générale. Ses relations avec Picquart, puis avec Gonse et Henry sont de ce fait uniquement professionnelles. Faisant montre d'éthique, il suspend même ses relations avec la Section de Statistique en août 1899, après avoir compris que ses témoignages le plaçaient dans le camp des Dreyfusards. Le choix vient peut-être de la Sûreté, suite au dessaisissement des militaires pour le traitement des affaires de contre-espionnage, qui contribue à une dégradation des relations entre la Sûreté et la Section. Elles ne s'améliorent qu'avec la prise de fonction de Dupont[40].
Cela dit, Desvernine apprend au contact de Tomps, de Picquart, mais aussi de Henry et de ses officiers, les règles de la gestion des agents, qui lui servent ensuite dans ses activités de détective privé comme de responsable du contre-espionnage en Suisse. Après le suicide de Henry, le 30 août 1898, il reçoit la gestion des agents allemands de la Section, de Marie Bastian (Auguste), chargée de la « voie ordinaire », c'est-à-dire de la récupération des corbeilles de l'ambassade d'Allemagne ; mais la concierge, implantée sous le nez des Allemands à la fin des années 1880, est prise de panique devant l'évolution du procès Dreyfus et décide de « déserter » le 15 août 1899. Desvernine l'a toujours trouvée exubérante. Aussi ne l'a-t-il pas écoutée lorsqu'elle lui a fait part de la présence d'un officier français dans les salons de l'ambassade ; au fond, son enquête sur Esterházy a été arrêtée par l'autorité militaire et la justice l'a reconnu innocent depuis janvier. De même, le commissaire spécial adjoint reçoit la gestion de l'agent Martin Joseph Brückner, mais à une époque où l'Alsacien n'apporte déjà plus rien de tangible[41].
En Suisse, le capitaine Desvernine gère de nombreux agents, infiltrés dans les consulats du pays (Forichon, à Genève ; Bacon, à Berne), mais également dans les Sûretés genevoise et vaudoise, ainsi que des journalistes (Francesco Perri). Son déplacement à Annemasse lui permet de se mettre à l'abri de la vigilance du contre-espionnage helvétique. En mai et août 1916, le brigadier Dépassel (Genève) et Ernest Chevillod (Lausanne) sont démasqués, mais seul le premier est arrêté, le second se s'évadant de chez le juge avec naturel et gagnant la France[42]. En novembre 1917, Desvernine perd un autre agent, Allemand cette fois, Heinrich Günther, qui le renseigne depuis la Suisse sur ce qui se passe de l'autre côté de la frontière[43]. D'autres, comme le journaliste[44], s'éloignent apparemment d'eux même.
A Annemasse, 177 000 rapatriés affluent entre février 1915 et décembre 1916. Tous ceux semblant « susceptibles de donner des indications intéressantes passent dans les services de renseignement civils et militaires »[45], c'est-à-dire le commissaire spécial Perrier et le capitaine Desvernine, alias M. Charles[46]. Il fait même feu de tout bois, ce qui n'est pas sans présenter une faiblesse au niveau des recrutements. Toutefois, de novembre 1914 à novembre 1918, Desvernine établit un réseau de contre-renseignement performant couvrant la Suisse. Les agents allemands sont peu à peu identifiés et, devant le conseil de guerre d'avril 1919, il peut présenter un bilan de quelques trois cents arrestations[47]. L'obsession du contre-espionnage français est d'infiltrer les milieux allemands et les agents recrutés parmi les réfugiés et les Français établis en Suisse sont exclusivement affectés à cette tâche.
Certains se présentent d'eux même, comme au printemps 1915 Paul Esmiol, un Français de Genève employé dans un magasin de confection[48]. D'autres sont mis à disposition par le Service de renseignement sur les réfugiés et les rapatriés de Paris – monté par la direction des affaires politiques des Affaires étrangères et la Police spéciale, qui y détache le commissaire spécial François Louis Vecchierini, replié de Villerupt -, comme le Luxembourgeois Jean Nilles[49]. Le premier devient un agent de pénétration chanceux, opérant de faux attentats en France en échange de gros crédits fournis par les services allemands crédules. Le second est chargé de surveiller les menées adverses à Zurich, où il est étudiant. Il entre aisément en contact avec un agent allemand mais, pris de panique, est arrêté le 22 octobre 1917 par la police helvétique et menacé d'expulsion. Desvernine ne lui offre pas de havre et l'abandonne à son sort. Le jeune homme est à nouveau arrêté du 7 décembre au 15 juin 1918. Un mois plus tard, envoyé en mission à Lausanne par Desvernine, il préfère rentrer au Luxembourg. Le 15 novembre 1918, il revient en Suisse et, trois jours plus tard, confie ses turpitudes à l'attaché militaire de Belgique, le lieutenant-colonel Lefébure[50].
D'autres encore sont recrutés parce qu'ils semblent offrir des dispositions intéressantes. C'est ainsi que Desvernine est victime d'un escroc, transformé pour l'occasion en escroc aux renseignements. Fin septembre 1915, il est contacté par un citoyen des Etats-Unis, âgé de trente quatre ans, Stanley Mitchell, envoyé par le consulat de France à Genève. Celui-ci entend lui dénoncer un espion allemand, dénommé Bartmann, installé à Lausanne. Le chef du centre-renseignement entend profiter de cette opportunité pour intoxiquer la « partie adverse ». Quelques jours plus tard, il reçoit la visite d'un commerçant, Auguste Henri Hubert Baptistin Bellon, lui-aussi envoyé par le consul, Georges Pierre d'Aix. Mais, à la surprise de Desvernine, l'ancien coiffeur de Mazargues, dans la banlieue de Marseille, ne vient pas pour lui faire une offre de service, mais pour lui dénoncer Mitchell, qui l'a escroqué de 2 430 francs – près de 6 500 €. Désireux de calmer son interlocuteur, qui entend faire arrêter son débiteur par la police helvétique, Desvernine espère sauver son opération en cours contre Bartmann en lui donnant l'adresse parisienne de Mitchell. D'autant que celui-ci s'y trouve en ce moment ! Lui donnant les moyens de contacter son débiteur à son adresse parisienne, M. Charles demande au jeune homme de lui rendre un petit service. Sans le savoir, ni le comprendre, Bellon commence son stage d'incorporation dans le petit cirque suisse de Desvernine.
Du moins l'ancien commissaire spécial adjoint y songe-t-il ! Jusqu'à ce 18 octobre, où il est appelé chez le commissaire spécial adjoint de police d'Annemasse. Antoine-Louis Nicolaï reçoit le commerçant, sa compagne, la dame Mazella, et Mitchell. Les trois personnes ont été amenées par la gendarmerie de Gaillard. Pressé de rendre l'argent, l'Américain a vu son salut dans l'accusation du couple d'être des agents allemands. Cachant mal son excitation face à ce contretemps, il se réclame de « M. Charles ». Exaspéré d'être déranger pour de telles peccadilles, Desvernine fait élargir ce beau monde[51]. S'il décide de continuer à utiliser Mitchell, il abandonne l'idée de recruter Bellon[52].
Nul ne peut dire comment s'achève la mission d'intoxication de Bartmann. D'ailleurs, Bartmann existe-t-il vraiment ? Non l'homme, que Bellon affirme avoir rencontré entre le 22 et le 30 août 1915, quelques jours après son premier entretien avec Mitchell, le 10 août, et qu'identifie la police suisse ! Mais il apparaît qu'il n'ait jamais été un agent allemand, pas plus que Mitchell n'est vice-consul des Etats-Unis à Kiev[53]. Ce « Suisse allemand, très francophile », selon Bellon[54], semble n'avoir été qu'un complice d'escroquerie de Mitchell, un tricheur et filou notoire prénommé Félix, à moins que ce ne soit John Brandenberg, à peine libéré de la prison de Milan, où il séjournait en mai 1914[55]. Toujours est-il que Mitchell est brûlé en Suisse et donc devenu inutile à Desvernine. Peut-être le transfère-t-il à la SCR de Paris ? A moins qu'il ne l'abandonne, comme il abandonne quelques mois plus tard Nilles ? Ce qui explique qu'il ne le présente pas lors de l'audience du 2 avril 1920 du procès Caillaux. Juste après son témoignage est évoqué celui d'un contrôleur belge de la Compagnie des Wagons-lits, que contredit justement celui d'un Américain dénommé Mitchell. Celui-ci est présenté comme comprenant le Français par un commandant Ollivier, et son contre-témoignage confirmé par l'inspecteur de la police parisienne Gaston Curnier[56].
En tout, en quittant Annemasse, le 18 octobre 1915, alors que le couple rentre à Genève, Mitchell part pour Lausanne. Le lendemain, il est appréhendé par la police suisse, suite à une plainte déposée par Mazella quelques jours aupravant. Non seulement la justice helvétique retient la chef d'accusation d'escroquerie, prouvé par les pièces remises par Bellon, mais la police cantonale y ajoute celui d'espionnage au profit de l'Allemagne, en raison des relations de Mitchell avec Bartmann, avérées par la police de Lausanne. Pourtant, l'Américain est remis en liberté provisoire sous caution début novembre, en profitant pour disparaître. « Cette affaire fut classée », note le juge informateur Barde[57]. Pour Bellon, elle ne fait que commencer. Le 21 décembre 1915, il est appréhendé en compagnie de son épouse légitime, Rose Joséphine Rougier, qui l'avait rejoint à Genève. Victime d'une méprise, cette dernière est libérée fin février 1916. Après huit mois d'instruction, l'ancien ambulancier du 341e régiment d'Infanterie, victime de diphtérie[58], se voit accusé de trahison, pour avoir dénoncé un agent français. Empruntant ses traits, du point de l'histoire du renseignement, aussi bien à l'Affaire Dreyfus qu'à la procédure engagée contre Margaretha Geertruida Zelle, dite Mata Hari, l'affaire va le broyer à son tour. Le 8 août, il est déféré devant le conseil de guerre de la XVe région (Marseille) dont il ressort ; sa compagne, Mme Mazella, comparaît par contumace. Sur la foi du témoignage de Mitchell, d'un billet remis par Bellon à Desvernine et de la copie de la plainte déposée à Genève, récupérée par « un de [s]es agents » et que Bellon considère comme un faux grossier, les deux jeunes gens sont reconnus coupables d'espionnage et condamnés à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée[59]. Bellon a vingt-six ans. La guerre ayant suspendu les proscriptions, il enchaîne les prisons pendant cinq ans, avant d'être transporté en Guyane. Bellon clame son innocence, écrit à la Ligue des Droits de l'Homme en 1919, à Paris, mais le ministère de la Guerre refuse de rouvrir le dossier.
Il est contraint de le faire par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le 1er juillet 1926. Lisant Le Petit Parisien des 16, 17, 26 février 1925 avec deux mois de retard, agrémenté d'une photo de son dénonciateur témoignant dans une autre affaire, Bellon trouve une raison d'espérer. La 4 décembre, le ministère de la Justice comprenant qui est Mitchell, un escroc maintes fois condamné pour abus de confiance et sous le coup d'un arrêt d'expulsion depuis le 15 avril 1924, demande à la cour d'appel d'Aix de rouvrir le dossier. Les contradictions et approximations de son témoignage incitent les magistrats à rouvrir le dossier. Le 25 juin 1927, la chambre criminelle de la Cour de cassation reconnaît à l'unanimité l'innocence de Bellon et lui octroie 5 000 francs – 2 904 € – en guise de dédommagement « suffisant »[60]. Mitchell n'est pas accusé d'être un escroc au renseignement[61], ni rendu responsable de la déportation de Bellon. Contrairement à l'Affaire Dreyfus, la nouvelle ne fait pas la Une de la presse. Bellon rentre en France dans la plus grande discrétion le 1er avril 1929[62], libre depuis deux ans mais sans le sou pour payer le billet de retour de sa nouvelle famille[63].
Le 13 mai suivant, il dénonce l'action de Desvernine dans une lettre véhémente au grand-chancelier de la Légion d'Honneur, le général Augustin Yvon Edmond Dubail. Il lui demande de faire rendre sa croix à celui qu'il appelle « Charles » Desvernine, le menaçant de porter plainte contre le capitaine et de livrer son nom à « la presse, surtout celle des Gauches toujours alléchée dans de pareil cas »[64]. Mais il n'en fait rien ! Cette affaire illustre à nouveau la grande responsabilité du service de contre-espionnage lorsqu'il soutient de telles accusations, surtout quand elles ne sont étayées que par un témoignage fragile, et le déni de justice permanent. Dreyfus et Bellon ont évité le peloton d'exécution, à la différence d'autres pour des dossiers aussi fragiles, dont Mata Hari – même si elle est bien coupable d'espionnage ! Mais ils ont été condamnés à la pire des peines, celle de l'isolement qui rend fou. A l'image de Dreyfus, Bellon en est revenu prématurément vieilli, alors qu'il n'a que trente-sept ans. N'importe quel contre-espion peut être un jour confronté à une telle situation. Il importe donc que les hommes faisant cette profession soient choisis avec la plus grande des probités, à la différence de Sandherr et de Ladoux. Mais cela n'empêche pas les erreurs que Desvernine commit en toute bonne fois, n'ayant jamais été homme à accabler son prochain, ni à se laisser mener par l'air du temps. Seulement, ayant « tellement de travail » et étant « si surmené que [s]a mémoire peut bien être parfois prise en défaut »[65] !
Ce policier intègre le montre à l'occasion d'une enquête pour le compte de la SCR, liée à l'affaire Caillaux. Au printemps 1918, il est requis pour connaître la nature des documents en possession du journaliste hongrois, Léopold Lipscher. Proche de Caillaux depuis qu'il lui a rendu des services dans le cadre du procès de juillet 1914 – contre son épouse Henriette, qui a assassiné le directeur du Figaro -, il est aussi un agent allemand. Entre mai et octobre 1915, il écrit trois lettres à l'ancien président du Conseil qui sont au centre de l'accusation d'intelligence avec l'ennemi, retenue contre Caillaux, arrêté le 14 janvier 1918. Desvernine envoie un agent enquêter mais les informations qu'il ramène ne sont guère probantes. Le chef du service de contre-espionnage adresse donc au ministère de la Guerre un rapport dans ce sens, laissant seulement entendre que Lipscher demande à être stipendié. Aussi, Paris demande à son représentant pour la Suisse de ne pas continuer de traiter avec lui[66].
Desvernine paraît représentatif du contre-espionnage français entre 1894 et 1918. Mieux que le tout aussi probe Tomps, devenu directeur de la sûreté publique de Monaco dès 1904 ! Malgré une carrière en pointillés – quinze d'armée, onze de Sûreté et quatre de contre-espionnage militaire, plus seize, voire dix-huit, de police privée -, il est un des rares professionnels du renseignement de cette époque. Il s'est formé à l'école des hommes qui ont fait condamner Dreyfus. Combien même ils ont commis une erreur de jugement, doublée d'une incapacité à se déjuger, ils l'ont fait en professionnels du renseignement. Cet apprentissage, sous la coupe de Tomps, de Picquart et même de Henry, ne le quitte pas en Suisse et, à ne pas en douter, dans son activité de détective. Le ministère de la Guerre ne s'y trompe pas quand il lui attribue la Légion d'honneur, le 6 mai 1918, et le promeut officier, le 19 février 1927. Ce faisant, elle honore ce parcours d'un simple officier de sa police spéciale, ce que Desvernine reste tout au long de sa vie. Cette dernière promotion marque à n'en pas douter la fin de sa vie professionnelle. Il lui reste encore onze ans à vivre et il entend les passer sous le doux soleil de Provence, à Juan-les-Pains. Si la postérité l'oublie, il ne faut pas minimiser son rôle dans l'histoire du contre-espionnage, au besoin en interrogeant ses pratiques à travers les témoignages qu'il a laissé. Malgré tout, ses accointances avec Ladoux font de Desvernine le chainon manquant entre Alfred Dreyfus et Mata Hari, relativisant le caractère politique ou romantique porté à ces affaires pour ne faire apparaître que le routinier et la brutalité du travail de contre-espion.
- [1] Marcel Thomas, Esterhazy ou l'envers de l'affaire Dreyfus, Paris, Vernal/Philippe Lebaud, 1989.
- [2] Service historique de la Défense/Département de l'armée de Terre, Vincennes (SHD/DAT), 5 Ye 55273, dossier personnel.
- [3] Archives de Paris, V4E 9354 et V4E 9337.
- [4] Archives nationales contemporaines (ANC), Fontainebleau, 20010260/4, fiche de carrière.
- [5] Joseph Fabre, Manuel à l'usage des candidats aux fonctions de commissaire de police ou d'inspecteur spécial de la police des chemins de fer, Paris, A. Hennuyer, 1894, p. IX n. 1.
- [6] Le Figaro du 26 juin 1895.
- [7] ANC, 1980003527436/757, dossier de légionnaire.
- [8] SHD/DAT, 9 Yd 435, dossier personnel.
- [9] Jean-Marc Berlière, L'institution policière en France sous la IIIe République (1875-1914), Doctorat, Histoire, Dijon, 1991, p. 434-441.
- [10] Joseph Reinach, Histoire de l'affaire Dreyfus. Esterhazy, Paris, Stock, 1908, p. 252 n. 3 et 251.
- [11] Ibid., p. 457, lettre de Germain Ducasse à Picquart du 27 novembre 1896.
- [12] Affaire Dreyfus. La révision du procès de Rennes. Enquête de la chambre criminelle de la Cour de cassation (5 mars 1904-10 novembre 1904), 2, Paris, Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, 1908, p. 43.
- [13] On trouve ces résultats dans AN, BB19 88.
- [14] Esterházy habite à cette époque 27, rue de la Bienfaisance à Paris.
- [15] Ibid., BB19 76.
- [16] L'Affaire Picquart devant la Cour de Cassation. Compte rendu sténographique des débats, Paris, Stock, 1899, p. 119.
- [17] La révision du procès Dreyfus. Enquête de la Cour de cassation, I, Paris, Stock, 1899, p. 729-734.
- [18] Affaire Dreyfus. La révision du procès de Rennes…, op. cit., p. 38-45.
- [19] Le procès Dreyfus, devant le Conseil de Guerre de Rennes (7 août-9 septembre 1899), 2, Paris, Stock, 1900, p. 251-254.
- [20] L'affaire Dreyfus. Le procès Dautriche. Compte rendu sténographique in extenso, Paris, Société nouvelle de librairie et d'édition, 1905, p. 624-631.
- [21] SHD/DAT, 5 Ye 55273, lettre de Desvernine et certificat du médecin-chef Servettaz des 29 et 30 novembre 1918.
- [22] Archives du ministère des Affaires étrangères, Guerre 1914-1918, Suisse, 795, lettre de Beau à Delcassé du 24 août 1915 [pub. aussi dans Documents diplomatiques français, 26 mai-15 septembre 1915, Bruxelles, Peter Lang, 2003, p. 646-647]. Cf. aussi SHD/DAT, 7 N 1586, rapport de Pageot du 5 janvier 1915.
- [23] Andrée d'Alix, Le rapatriement. Enquête sur le rapatriement et les œuvres de secours, Paris, Bloud & Gay, 1919, p. 15-26.
- [24] Olivier Lahaie, Renseignements et services de renseignements en France pendant la guerre de 1914-1918 (2e et 5e bureau de l'EMA ; 2e bureau du GQG. Section de renseignement/Section de centralisation du renseignement). Evolutions et adaptations, Doctorat, Histoire, Paris IV, 2006, p. 840-843.
- [25] SHD/DAT, 7 N 1588, rapport du général Morier du 6 août 1917.
- [26] Le Gaulois du 27 avril 1919, Le Temps du 28 avril 1919. Cf. aussi AN, 334 AP 7.
- [27] Le Temps du 3 avril 1920.
- [28] AN, 1980003527436/757, note du ministère de la Guerre du 16 février 1927.
- [29] Dominique Kalifa, Naissance de la police privée. Détectives et agences de recherche en France. 1832-1942, Paris, Plon, 2000, p. 213.
- [30] Ibid., p. 223.
- [31] Jean-Marc Berlière, op. cit., p. 441-445.
- [32] Le Journal des commissaires, n° 3, mars 1914, p. 85.
- [33] Son dossier personnel militaire n'a pu être localisé, mais il dispose d'un dossier de légionnaire aux AN, 19800035/1044/20280.
- [34] SHD/DAT, Fonds privé du général Dupont, 1 KT 526, Mémoires du général Dupont, p. 27.
- [35] Ibid., 5 Ye 90771, dossier personnel, AN, LH/2612/30, dossier de légionnaire et Archives de la Préfecture de police de Paris, BA 1285, dossier de surveillance.
- [36] Walter Nicolaï, Forces secrètes, Paris, Nouvelle Revue Critique, 1932, p. 32.
- [37] Archives nationales, Paris (AN), BB19 76.
- [38] Joseph Reinach, op. cit., p. 411.
- [39] AN, F7 12475, rapport anonyme [Desvernine] sur l'inspecteur Decrion du 1er avril 1898, p. 3-4.
- [40] Cf. Sébastien Laurent, Politiques de l'ombre. Etat, renseignement et surveillance en France, Paris, Fayard, 2009, p. 374-407.
- [41] Affaire Dreyfus. La révision du procès de Rennes…, op. cit., p. 40.
- [42] Le Confédéré des 13 mai et 19 août 1916.
- [43] Stuttgarter Neues Tagblatt du 11 novembre 1917.
- [44] SHD/DAT, 7 N 1593, rapport de Pageot du 18 juillet 1918.
- [45] Andrée d'Alix, op. cit., p. 76.
- [46] Archives privées, Mémoires de Henri Bellon, rédigés en captivité en Guyane, p. 9, 11-12, 14, 16, 18, 22-23, 26, 28.
- [47] Le Gaulois du 27 avril 1919, Le Temps du 28 avril 1919. Cf. aussi le témoignage d'Esmiol, op. cit..
- [48] Cf. son témoignage, « Le contre-espionnage français à Genève, 1914-1918 (1-4) », Bulletin de l'amicale des anciens des services spéciaux de la Défense nationale, n° 78-81, 1974-1975 et Pascal Krop, Les secrets de l'espionnage français de 1870 à nos jours, Paris, Lattès, 1993, p. 223-228.
- [49] Gérald Arboit, « Itinéraire d'un agent luxembourgeois pendant la première guerre mondiale », Hémecht, 2009, n° 2, p. 219-228.
- [50] Archives du service public fédéral Affaires étrangères, Bruxelles, B1, Luxembourg, dossier général, 1916-1918, lettre de Lefébure au ministre de la Guerre, au chef d'état-major de l'armée et au ministre belge à Berne du 28 novembre 1918, Bulletin de renseignement n° 682 du 7 décembre 1918 et note sans date de la Sûreté nationale française (dernière date janvier 1918).
- [51] Archives privées, op. cit., p. 11-15.
- [52] Ibid., déposition de Desvernine le 8 août 1916, p. 44.
- [53] Il n'y a pas de représentant consulaire américain en Ukraine avant l'arrivée de Douglas Jenkins, en décembre 1917 [George Frost Kennan, Soviet-American Relations, 1917-1920. Russia Leaves the War, Princeton, Princeton University Press, 1956, p. 183].
- [54] Archives privées, op. cit., p. 7.
- [55] Le Petit Parisien du 20 mai 1914.
- [56] Ibid. du 17 mars, Le Gaulois des 17 mars et 2 avril, Le Temps des 18 mars et 3 avril 1920. Cf. aussi Archives de la préfecture de police de Paris, BA 1683.
- [57] Archives privées, p. 16. Cette version n'est ni confirmée, ni infirmée par le juge informateur Barde, répondant à la demande du conseil de guerre (Ibid., citations non-datées, p. 31-32). Les archives du Département de Justice et Police sont également muettes, comme pour toutes les affaires entre 1910 et 1919.
- [58] Sur cette maladie, cf. la thèse de Louis Célestin Rue, La diphtérie aux armées en 1915-1916, Lyon, Faculté de médecine et de pharmacie de Lyon, 1916.
- [59] Archives privées, op. cit., p. 28-31. Le Temps et La Croix du 10 août 1916.
- [60] Arrêt du 25 juin 1927 d'une décision rendue le 1er juillet 1927, Bulletin officiel de la Guyane française, n° 9, septembre 1927, p. 538-542 ; Le Matin du 25 octobre 1927.
- [61] Le 30 mars 1931, il est à nouveau condamné à huit mois de prison pour abus de confiance [Le Petit Parisien du 31 mars 1931].
- [62] La campagne de presse de Pierre Bénard, dans L'Œuvre des 1er au 5 avril 1929, ne reçoit pas d'écho en France. Elle est seulement reprise par The Mercury (Hobart) du 6 juin 1929, d'après le correspondant parisien de The Daily Express. L'affaire intéresse l'Australie tout au long du printemps 1929 suite à la rumeur d'une enquête de la police française pour retrouver le dénonciateur de Bellon, présenté comme un Australien ayant voulu se venger de Bellon, émigré français dans ce pays. L'Associated Press la diffuse à l'été aux Etats-Unis, où Bellon devient l'auteur d'une série d'articles apocryphes dans différents quotidiens du sud (Saint-Louis Post Dispatch, Kansas City Star, The Spokesman Review…).
- [63] Le 25 avril 1927, il a épousé, vraisemblablement à Cayenne, Dorcilia Paulette Masse, de Pointe-à-Pitre, âgé de vingt-sept ans [Archives privée, op. cit., p. 55].
- [64] AN, 1980003527436/757.
- [65] Témoignage de Desvernine du 8 août 1916 [Archives privées, op. cit., p. 46].
- [66] Le Temps du 3 avril 1920.