Hôtels mythiques de la Cosa Nostra
Alain RODIER
Un hôtel de luxe sicilien, haut lieu historique de la mafia italo-américaine doit fermer ses portes cette année. Il s’agit du Grand Hotel Delle Palme (Grand hôtel des Palmes) de Palerme. Cet établissement qui a accueilli depuis son ouverture en 1907 de nombreuses célébrité 1 a été également le théâtre du « Yalta de l’héroïne », une réunion mafieuse qui s’est tenue du 10 au 14 octobre 1957. Elle était présidée par Lucky Luciano, l’ancien chef de la commission de « La Cosa Nostra » (LCN) new-yorkaise, devenu la pièce maîtresse entre le continent américain et l’Europe. Bien qu’en perte de vitesse suite à son expulsion des Etats-Unis, il avait déjà résidé avec sa maîtresse dans cet établissement en 1947 avant de s’installer à Naples. En 1957, il organise à Palerme une réunion entre les mafias italo-américaines et leur cousine sicilienne, Cosa Nostra. Les Etats-Unis sont représentés par Joseph Bonanno, Carmine Galante « le cigare 2 », John Bonventre, Franck Grofalo, Vito Vitale, et autres mafieux célèbres ; la Cosa Nostra sicilienne l’est par Giussepe Gengo Russo, le capo di tutti capi de l’époque, Salvatore et Angelo La Barbera, etc.
En ces années d’après-guerre, les mafias italiennes tiennent le haut du pavé car leurs représentants avaient remplacé l’administration fasciste chassée du pouvoir par les forces militaires américaines et alliées. A noter qu’en 1943, cet hôtel avait hébergé le siège de l’US Navy et de son service de renseignement. Le colonel Charles Poletti, responsable des affaires civiles pour les zones libérées en Italie, avait alors pour chauffeur interprète Vito Genovese, un mafieux new-yorkais « première gâchette » chez Lucky Luciano, qui a du fuir les Etats-Unis en 1936. Bien qu’ayant frayé auparavant avec les fascistes italiens, il a opportunément rencontré le colonel américain dans le Grand hôtel des Palmes. Cela a permis de considérablement augmenter le marché noir déjà florissant à l’époque, économie de guerre oblige. A noter que Poletti, qui parlait couramment l’italien, n’avait pas vraiment besoin d’interprète. Il a toujours nié avoir entendu parler de la mafia…
Lors du sommet du crime de 1957, la Cosa Nostra italienne décida de se doter d’une « coupole » à l’image américaine. Cet organisme était chargé de régler les litiges internes, parfois en ordonnant des assassinats. Les boss de chaque famille se voyaient ainsi dépossédés d’un peu de leurs prérogatives dans l’« intérêt général ». Il fut surtout décidé de mettre en place des structures permettant le trafic d’héroïne depuis l’Europe vers le continent nord-américain. Les mafieux siciliens, qui répugnaient à se livrer à ce genre de trafic qu’ils jugeaient « amoral », ont alors cédé à la réalité économique criminelle.
Une conférence du même genre, mais uniquement au niveau nord-américain, se tint au Nacional Hôtel de la Havane 3 en décembre 1946. Lucky Luciano la présida également, allant jusqu’à acheter l’hôtel quelques jours auparavant pour plus de sécurité. Tous les grands pontes new-yorkais étaient présents : Meyer Lansky, Franck Costello, Jo Adonis, etc. Des décisions furent prises, notmment la mainmise sur les casinos de Cuba et la liquidation de Bugsy Siegel (pourtant présent à la réunion), le créateur de Las Vegas à qui la mafia reprochait de ne pas rembourser les investissements consentis par « la pieuvre ». Pour couvrir cette réunion de mafieux bien connus des services de police, le prétexte était l’accueil d’un artiste très prometteur, un certain Franck Sinatra ! Cet hôtel est toujours le fleuron de la Havane.
Un autre établissement a défrayé la chronique à Cuba durant la période du dictateur Batista : l’hôtel-club-casino Capri. Il était la propriété de Santo Trafficante Jr, un célèbre mafieux lié aux familles Bonanno (New York) et San Giancana (Chicago). Il a surtout été rendu célèbre pour des tentatives de meurtre dirigées contre Fidel Castro, vraisemblablement menées en liaison avec la CIA, mais aussi pour avoir peut-être commandité l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy.
Santo Trafficante Jr en avait délégué la direction à deux sympathiques hommes d’affaires : Charles Tourine – alias « la lame » – pour le night club (le Salon rouge), et à Nicholas di Costanzo – dit « le gros boucher » – pour les salles de jeu. L’hôtel a été saisi par les autorités castristes après la chute de Batista et a été fermé au début des années 2000. Il a rouvert en grande pompe début 2014.
Cependant, tous les mafieux ne vivent pas dans ce luxe. Ainsi, Bernardo Provenzano, le dernier capo di tutti capi officiel de Cosa Nostra a été appréhendé le 11 avril 2006 dans un hangar miséreux situé à trois kilomètres de Corleone. Il était entré dans la clandestinité en 1963 ! Il n’empêche que les criminels de haute volée – les « beaux mecs » comme ils étaient surnommés – ont toujours apprécié les établissements de luxe, pour y loger bien sûr, mais aussi pour y investir leurs petites économies.
- Richard Wagner, Renoir, Maria Callas, Vitotio Gassmann, Francis Ford Coppola, Al Pacino… ↩
- Son surnom le suivra jusque dans la mort car son corps criblé de projectiles sera retrouvé le 12 juillet 1979 dans un restaurant de Brooklyn un cigare entre les dents ! ↩
- Etablissement également très bien fréquenté par Ernest Hemingway, Winston Churchill et de nombreux acteurs. Plus récemment, il a accueilli Ahmad Ahmadinejad. ↩