Le modèle de propagande de l’islam radical
Dr Marcin Styszynski
Assistant Professor, Faculty of Arabic and Islamic Studies,
Chair of Asian Studies, Adam Mickiewicz University in Poznan (Poland).
L'opinion publique est choquée par l'offensive brutale de l'État islamique en Irak et Syrie et par l'influence croissante des djihadistes dans le monde entier, y compris dans les pays occidentaux.
Parallèlement à leurs capacités militaires et financières, les groupes extrémistes ont toujours cultivé l'emploi de la propagande qui les aide à créer l'arrière-plan idéologique de leur action et qui a pour but de donner une image positive du djihadisme et l'islam politique.
Il faut cependant souligner que des groupes djihadistes comme Daesh ou Al-Qaida utilisent un type de propagande qui est appliqué depuis des décennies par les tenants de l'islam radical. La propagande était déjà utilisée lors des luttes entre les fractions religieuses au cours premiers siècles de l'islam, avant de l'être par les moudjahidines qui luttèrent contre le colonialisme, puis par les partisans afghans lors de l'invasion soviétique, dans les années 80. Elle l'a été également à l'occasion de l'intervention occidentale en Afghanistan, de l'invasion américaine en Irak, et des combats au Sahel, en Tchétchénie et Somalie.
Il est important de mettre en lumière les éléments caractéristiques de la propagande islamiste, indépendamment des références idéologiques des organisations concernées ou du contexte social et historique dans lequel évoluent les divers groupes. Quatre points la fondent systématiquement.
1. L'utilisation d'exemples symbolisant des menaces et des violations des droits de l'homme et surtout des droits des musulmans dans le monde entier
Presque chaque déclaration des groupes radicaux met en avant des exemples négatifs des interventions militaires contre les islamistes, comme des bombardements, des destructions de maisons et de mosquées, des exécutions, des détentions ou emprisonnement de personnes innocentes, ainsi que les nombreuses victimes civiles, la souffrance d'enfants et de femmes, etc. Ces éléments sont systématiquement utilisés, exposés dans chaque fragment du discours et adaptés aux différentes régions concernées. L'humiliation des musulmans est également rappelée à travers de petits incidents qui sont généralement négligés dans le débat public et présentés comme des simples informations quotidiennes. Dans la propagande islamiste ces événements forment une longue liste d'arguments qui seront plus tard intégrés dans le discours et deviendront une préoccupation commune à chaque militant.
Par exemple, les communiqués diffusés par Oussama Ben Laden et Ayman Al-Zawahiri pendant les années 2001-2005 contenaient tous des exemples de la persécution des musulmans : camp de Guantanamo, prison d'Abou Ghraib, caricatures de Mahomet dans les journaux occidentaux[1], question du port du foulard dans l'Union Européenne.
De même, pendant l'intervention militaire française de 2013 au Mali, des groupes islamistes comparèrent les raids contre les camps djihadistes avec la situation en Irak ou Somalie. La bataille est ainsi devenue une question globale pour tous les djihadistes du monde qui se sont mis à soutenir le combat de leurs « frères » au Sahel dans leurs propres pays. Dans le même temps, les combattants du Sahel et du Maghreb -notamment en Libye et en Tunisie – affirmaient leur soutien aux djihadistes syriens, irakiens ou somaliens.
Il convient de rappeler que chacun de ces exemples réveille les sentiments du monde arabo-musulman et engendre des émotions traumatiques provoquant des réactions éruptives telles que des manifestations, des émeutes ou des actes terroristes.
2. La justification du terrorisme et glorification des combattants
L'humiliation de musulmans et de l'islam devient une justification des actes terroristes. Ainsi sont glorifiées les démarches de martyr, fondées sur le sens du sacrifice et du courage, valeurs populaires dans la tradition arabe et musulmane. Les noms des combattants tués dans des attentats sont glorifiés dans le discours à l'aide des phrases pathétiques et d'épithètes à forte connotation émotionnelle. Les manifestes encouragent ainsi ceux qui les écoutent à rejoindre la lutte et à se solidariser avec la souffrance du peuple et le courage des combattants qui se sacrifient.
3. La manipulation des événements et des faits
Les arguments exposés dans le discours sont souvent manipulés et exagérés. Notamment à l'occasion des descriptions détaillées des attentats. Les exemples utilisés soulignent toujours que les attaques ciblent les forces de sécurité ou les ennemis occidentaux, mais les descriptions passent systématiquement sous silence le nombre de victimes civiles ou la destruction des bâtiments publics.
4. L'utilisation de la théologie en appui du discours politique et idéologique
Les exemples concernant l'humiliation des musulmans et de l'islam et la justification du terrorisme sont toujours accompagnés de citations du Coran et des hadith[2], en particulier les phrases dont le style a une forte signification théologique et dont les épithètes sont biens connus des croyants. Ainsi, les mots comme kafir (incrédule, incroyant), munafiq (hypocrite), murtadd (apostat), taghut (idole, Satan), fasad (l'immoralité, la gangrène) et zulm (l'obscurité, la tyrannie) sont fréquemment exploités dans le discours.
Il convient de remarquer que ces citations sont d'abord porteuses d'un contexte religieux lié à la conception du péché, à l'opposition contre Allah, à la piété et la moralité, à la condition de l'âme, à l'esprit et la vie éternelle. Dans le discours islamiste, les mots sont adaptés au contexte politique et idéologique et soigneusement choisis pour désigner les ennemis et adversaires, qu'il s'agissent des autorités locales, de la société laïque dans certains pays, ou de l'Occident.
Par exemple, l'expression « Al-Hamla as-salibiyya ala al-islam » (la croisade contre l'Islam) est fréquemment répétée dans les communiqués. Elle a perdu son sens historique pour définir la politique actuelle de l'Occident, accusé de nuire aux intérêts économiques, culturels et religieux du monde arabo-musulman.
Ces quatre points fondent le modèle de la propagande islamique et l'on peut les retrouver dans tous les discours, quelles que soient les conditions sociales et politiques des pays concernés, au Moyen-Orient, en Afrique ou dans les pays occidentaux
Malgré l'emploi de nouvelles expressions ou formules rhétoriques et stylistiques modernes dans les manifestes, ou leur polarisation sur un sujet particulier, le modèle de propagande islamiste reste ancien et demeure la base de tous les discours islamistes radicaux destinés à mobiliser les militants.