Les légions étrangères iraniennes en Syrie
NERIAH Jacques
Ancien conseiller politique du Premier ministre Yitzhak Rabin et ex-chef analyste des services de renseignement militaires (AMAN).
La presse internationale consacre de nombreux reportages et articles aux djihadistes étrangers combattant sous l’étendard de Daesh. Les projecteurs sont surtout braqués sur les raids de la coalition occidentale contre les chefs et les bases de terroristes et sur les tentatives de mobiliser et de recruter de nouveaux combattants européens dans les rangs de l’organisation « Etat islamique ».
Bizarrement, rares sont les reportages sur l’intervention iranienne en Syrie. Pourquoi et comment les ayatollahs et les Gardiens de la Révolution islamique chiite réussissent-ils à déployer des légions étrangères en Syrie afin de sauvegarder le régime de Bachar el-Assad ?
En fait, les Iraniens ne souhaitent pas s’impliquer directement dans la guerre civile syrienne. Ils ont choisi d’envoyer une force opérationnelle limitée, composée principalement de conseillers pasdarans et de certaines unités d’élite. En revanche, l’Iran recrute activement des réfugiés chiites et des immigrants illégaux pour les laisser faire « le sale boulot », sans se battre directement et mourir en Syrie.
En ce qui nous concerne, la création d’une brigade iranienne dont le but est de « libérer le Golan de l’occupation israélienne » est sans doute un signe inquiétant qui risque d’embraser toute la région. L’installation de cette brigade a en réalité un objectif bien précis qui anime depuis fort longtemps les Iraniens dans le cadre de leurs ambitions hégémoniques.
Les attentats perpétrés en Europe, aux États-Unis et partout ailleurs par des terroristes formés et inspirés par les organisations djihadistes soulignent la nécessité de mieux comprendre l’ensemble du fléau.
De nombreux analystes et commentateurs se focalisent surtout sur les djihadistesvolontaires recrutés dans plus de 80 pays. Ils mettent en garde contre les dangers de ces combattants, qui, une fois de retour dans leur foyer natal se transforment en « agents dormants. »
Toutefois, ils écartent la présence iranienne et l’existence sur le sol syrien de 1 500 à 3 000 membres de la Garde révolutionnaire iranienne. Ces derniers servent principalement comme conseillers responsables de la logistique, de la collecte du renseignement et de la formation. Selon un officier des pasdarans, les Gardiens de la révolution iranienne ont formé 42 brigades et 138 bataillons dans le but de défendre le régime d’Assad.
Nous constatons aussi qu’il existe en Syrie au moins cinq entités nationales servant les intérêts hégémoniques de l’Iran : Le Hezbollah (la milice chiite libanaise) ;
la Légion afghane (Fatimiyoun et Khadem el-‘Aqila Brigades) ;
la Légion pakistanaise : (Zainebiyoun Brigade) ; la Légion yéménite (Houthis – Liwa Al-Saada) ; et les milices chiites irakiennes.
Toutes ces unités militaires reçoivent leurs ordres des Gardiens de la Révolution. Leurs salaires, leurs équipements et leur formation sont entièrement sous contrôle iranien. Les légions sont dirigées et supervisées par la division Al-Qods commandée par le général iranien Qasem Soleimani.
Le Hezbollah
On a beaucoup écrit sur la participation du Hezbollah en Syrie. Sa présence en Syrie révélée pour la première fois lors de la bataille d’Al-Qusayr (province de Homs) en 2013 est au centre d’un débat public au Liban. Tout en étant critiqué en raison de sa participation à la bataille contre les mouvements rebelles sunnites, aucune force politique au Liban n’a osé contester son autonomie et forcer la milice à répondre aux commandements de l’armée libanaise. Pire encore, le Hezbollah a défilé avec des équipements américains (M-113) fournis par les États-Unis à l’armée libanaise, affirmant qu’il s’agissait de véhicules blindés israéliens saisis lors de la guerre de 2006.
La Légion afghane
La Brigade Fatimiyoun est composée de 3 500 combattants recrutés auprès de réfugiés afghans résidant en Iran. Elle a été fondée en 2013 par les Gardiens de la Révolution. L’Iran et le Hezbollah ont profité du sort économique et politique de ces réfugiés afghans pour les recruter dans les rangs des forces combattantes en Syrie.
L’Iran représente non seulement un refuge politique pour ces Afghans qui fuient la guerre dans leur propre pays, mais il offre aussi l’opportunité d’acquérir des avantages économiques. Un Afghan reçoit un salaire mensuel de 71 euros en Afghanistan, tandis qu’il est payé quatre fois plus en Iran (285 euros). Cependant, être résident afghan illégal en Iran cause de nombreux problèmes. Les Afghans sont maltraités et peuvent être emprisonnés sans raison apparente pour des périodes qui s’étendent parfois à plusieurs mois de détention.
500 à 600 Afghans entrent par mois illégalement en Iran. Alors qu’ils sont confinés par centaines dans des camps de réfugiés, seuls les plus chanceux obtiendront un permis de travail. D’autres participeront au trafic de drogue ou tenteront de trouver un moyen de fuir vers l’Europe. Des centaines seront capturés aux frontières et renvoyés en Afghanistan.
Pour aider le régime d’Assad dans le contexte de la guerre civile en Syrie, sans pour autant y envoyer des troupes, l’alternative offerte par les Afghans est idéale pour les ayatollahs. Les réfugiés afghans sont chiites et parlent aussi le farsi (Hazara). Avec un versement mensuel de 310 à 445 euros et un permis de séjour permanent accordé à chaque réfugié, les Iraniens réussissent à recruter une main-d’œuvre nécessaire et militante pour renforcer le régime syrien. En outre, contrairement au combattant iranien, un migrant illégal d’identité inconnue tué sur le champ de bataille ne pourra être un fardeau pour le trésor iranien. Plus important encore, l’Iran pourrait facilement nier son implication dans la guerre et son intervention. Il pourra justifier la présence afghane par la protection des lieux chiites en Syrie.
Soulignons que le recrutement des Afghans s’est fait également dans le cadre des écoles religieuses chiites (hussayniyah) et des centres sociaux et universitaires à Kaboul, Bayman, et Herat, une ville située près de la frontière iranienne.
La Légion pakistanaise
La Brigade Zaynabiyoun (Liwa ‘Zaynabiyoun) est composée de chiites pakistanais. Proche du Hezbollah, sa mission principale est de défendre des sites sacrés chiites, dont le fameux sanctuaire de Sayda Zeynab à Damas. Contrairement aux Afghans, les Pakistanais reçoivent des Iraniens un salaire beaucoup plus élevé (1 065 euros par mois).
La Légion yéménite
La Brigade yéménite Liwa Saada, du nom de la ville majoritaire chiite au Yémen, est déployée avec ses 750 combattants dans la région de Damas. Rappelons que les rebelles houthis au Yémen sont formés, armés et financés par l’Iran.
Les milices chiites irakiennes
Le contingent chiite irakien est la plus grande force engagée pour défendre le régime d’Assad. Il compte environ 40 000 combattants dispersés dans plusieurs unités en Syrie, dont les principales sont les suivantes :
- Liwa ‘zul-Fiqar : du nom de l’épée du Prophète, celle aussi de l’Imam Ali. Elle compte environ 1 000 combattants et a été créée en mai 2013 suite à un conflit armé entre combattants syriens et irakiens. Elle est déployée dans la zone de l’aéroport international de Damas et a participé à la bataille de Nabaq contre Jabhat Al-Nusra.
- Liwa ‘Ammar Ben Yasser : du nom de l’un des compagnons du Prophète, proche d’Ali Ben Abi Taleb, gendre de Mohammed. La tombe de Ben Yasser a été détruite en 2013 par des combattants de l’État islamique. Cette unité a été déployée dans la région d’Alep et fait partie d’une formation plus importante, Al-Nujaba, proche du Hezbollah.
- Liwa ‘Abu el-Fadl el-Abbas : du nom du fils de l’Imam Ali Ben Abi Taleb. Composée de 10 000 combattants (7 000 Irakiens), elle est réputée pour sa discipline de fer, son équipement et son armement modernes, ainsi que son haut niveau de formation.
- Liwa ‘Al-Imam Hussein : Cette unité est proche de Moqtada Sadr et opère principalement dans la région de Damas. Elle a pour mission la défense du sanctuaire Sayda Zaynab. Contrairement à d’autres formations, cette unité est affiliée à la 4e division des forces armées syriennes.
- Liwa ‘Al-Imam Hassan Al-Mujtaba : Créée au cours de l’été 2013, sa mission principale est de protéger les alentours de l’aéroport international de Damas.
- L’Organisation Badr : Cette unité (1 500 combattants) a été formée pour mener des assassinats, des enlèvements et des batailles de rue. Elle a été formée par l’Iran dans les années 1980 lors de la guerre Iran-Irak pour contrer les Moudjahidines de Saddam Hussein. Elle est active dans la région de Damas et ses banlieues.
- Harakat al Nujaba (Le Mouvement des Nobles) : Son nom original est « Résistance islamique Hezbullah ». Ce mouvement dépend directement du chef suprême iranien Ali Khamenei, mais reçoit des ordres de Qasem Soleimani. Les unités militaires d’Al-Nujaba sont déployées à la fois en Irak et en Syrie, principalement à Damas et Alep. Elles fonctionnent avec des structures militaires traditionnelles : infanterie, unités blindées, et artillerie. Le Nujaba possède ses propres installations de production d’armes. Récemment, ses unités ont intégré dans leur arsenal militaire des missiles iraniens dont le Fateh et le Fajr ainsi que des drones. Le Mouvement est fortement financé par l’Iran et repose principalement sur des Irakiens chiites. On retrouve également dans ses rangs des chiites originaires d’Arabie saoudite, de Bahreïn, du Koweït et de l’Égypte.
Au cours de l’automne 2016, l’Iran a tenté de pénétrer dans l’arrière-pays druze dans le sud de la Syrie, principalement dans la région de Der’aa et Suweida, près de la frontière jordanienne. Une délégation d’Al-Nujaba avait rencontré des dirigeants druzes pour se renseigner sur la situation sécuritaire dans la région. Un bureau de recrutement a été ouvert par la Brigade Zeyn el-Abidine, déployée dans l’est de la Syrie (Deir el Zor) et affiliée au Hezbollah. Ce bureau a été fermé une semaine plus tard, suite à des menaces faites contre son personnel et devant des rumeurs selon lesquelles l’Iran s’apprêtait à ouvrir des écoles religieuses (Husseiniyat) dans la région.
En février 2017, le chef d’Al-Nujaba, Akram el-Q’ababi, a déclaré que ses forces devaient se battre avec l’armée syrienne pour « libérer » le Golan. El-Q’aabi a justifié sa position en déclarant que le terrorisme de Daesh fait partie d’un complot sioniste, supervisé par les Américains.
En mars 2017, une nouvelle brigade a été créée pour justement libérer le Golan (Liwa ‘Tahrir el-Jolan). Ses membres ont combattu au Liban, en Syrie et en Irak et leur nouvelle mission est d’aider l’armée syrienne à libérer les « terres volées ». Selon le porte-parole de l’Al-Nujaba, « la création de cette Brigade est un premier pas vers la libération des lieux saints en Palestine occupée ».
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En conclusion, la guerre civile syrienne a créé des situations chaotiques que nous n’avions pas connues dans le passé. La seule fois où une coalition de forces arabes a combattu contre d’autres armées arabes était au cours de la guerre du Golfe. Les contingents arabes participant à la guerre étaient des formations militaires régulières et le conflit reposait surtout sur des intérêts nationaux. En revanche, le conflit syrien résulte d’une guerre dont des milices et des forces régulières se battent uniquement pour des raisons de division entre sunnites et chiites.
Le conflit syrien est manipulé par des puissances étrangères qui s’affrontent sur le territoire syrien par le biais de combattants venus en majorité de l’extérieur : d’un côté, Assad et ses alliés dirigés par l’Iran et la Russie ; de l’autre, des rebelles soutenus par la coalition américaine et la Turquie. Les combattants djihadistes et les factions rebelles viennent de plus de 80 pays, tandis que l’Iran se concentre principalement sur sa population chiite.
En ce qui nous concerne directement, il est clair que la création d’une brigade iranienne destinée à « libérer » le Golan est un développement inquiétant dans la région. Cette brigade doit aider l’effort iranien qui a pour but, de longue date, d’établir des forces satellites face à Israël. L’Iran n’a pas réussi, à ce jour, à déployer les forces du Hezbollah le long de cette frontière. A l’heure actuelle, il semble que la stratégie iranienne soit d’abord de consolider ses forces dans la partie sud de la Syrie avant de progresser vers la frontière israélienne.