Yémen : silence ! On massacre !
Alors qu’elle ne participe que très marginalement aux opérations contre Daech, l’Arabie saoudite a été capable de réunir autour d’elle une coalition internationale de 150 000 hommes1 pour conduire, depuis plus de deux ans, une sanglante guerre d’agression au Yémen (opération Tempête décisive). Elle a retiré en cette occasion la dizaine d’aéronefs qui participaient mollement aux bombardements contre Etat islamique, pour en déployer une centaine à sa frontière sud. Les Saoudiens affirment que leur coalition a largué 90 000 bombes pendant cette guerre qui dure depuis deux ans. Cela fait 123 bombes par jour, soit 5 par heure. Rien qu’en avril 2015, la coalition a conduit plus de 1 700 raids aériens, soit jusqu’à 80 certains jours ; on aurait bien aimé voir ses moyens engagés contre Daech.
Pourquoi les Saoudiens ont-ils déployé une telle armada, mobilisé leur Garde nationale et battu le rappel de leurs alliés arabes, asiatiques et occidentaux pour lancer une offensive contre les tribus d’un pays voisin, alors que Riyad ne fait absolument rien contre l’Etat islamique ? Sans doute faut-il rappeler que les Houthis sont des zaydites, une secte de l’islam proche du chiisme. Ils se battent, non pour imposer au monde une vision violente, obscurantiste et sectaire de l’islam, mais pour retrouver une autonomie et une considération vis-à-vis du gouvernement d’Aden qui leur ont été retirées en 1962. Les Houthis ne représentent en rien une menace pour la sécurité du Moyen-Orient ni pour la paix mondiale, même s’ils ont demandé le soutien de Téhéran2 pour faire face à l’agression de Riyad.
Ce conflit semble toutefois ne pas intéresser grand-monde, contrairement au conflit syrien. Pourtant, comme l’explique le colonel Alain Corvez, « les crimes contre l’humanité commis par la coalition menée par l’Arabie saoudite au Yémen ont détruit toutes les infrastructures vitales du pays : barrages, eaux, hôpitaux, électricité, infrastructures routières, aériennes et portuaire et tué des milliers de civils dont de nombreux enfants car leurs frappes semblent vouloir non seulement détruire le pays berceau de l’arabisme et de ses cultures séculaires, mais aussi atteindre le moral des habitants à la manière nazie. Le choléra est désormais à l’état épidémique et les ressources médicales et de première nécessité ont du mal à atteindre le pays »3.
Les Saoudiens ont bombardé toutes les installations de production alimentaire du Yémen. La marine et l’armée de l’air saoudiennes ont détruit la quasi totalité des infrastructures du port de Sanaa et ciblent tous les navires qui tentent d’y entrer ou d’en partir. Certains navires de secours officiels sont autorisés à passer, mais ils ont des difficultés à décharger fautes de grues. Les zones tenues par la rébellion sont véritablement affamées par les Saoudiens et leurs alliés. La situation humanitaire est catastrophique : plus de 10 000 victimes sont à déplorer – chiffre vraisemblablement largement sous-évalué – auxquelles il convient d’ajouter 18 millions de Yéménites confrontés à la famine et aux épidémies en raison du blocus imposé par la coalition.
Il est absolument stupéfiant que seul un nombre extrêmement réduit d’observateurs internationaux et de médias évoquent cette guerre quasi-génocidaire conduite par Riyad. Presque personne n’a dénoncé les massacres et les destructions effectuées par l’armée de l’air saoudienne, pas plus la presse internationale que les Etats occidentaux. La diplomatie et les médias français se sont indignés à tort sur Alep, alors même que les djihadistes s’étaient livrés à de nombreuses exactions contre les populations civiles. Mais on ne les pas entendu sur le Yémen où les membres de la coalition violent sans aucun état d’âme toutes les conventions de Genève.
Evidemment, il existe une explication : les États-Unis fournissent les renseignements, le ravitaillement en vol, l’armement et les munitions à leurs alliés saoudiens. Et la France et le Royaume Uni soutiennent cette opération. Surtout, Riyad menacé l’ONU d’arrêter de fournir de l’argent pour ses efforts de secours si elle dénonçait cette guerre. D’ailleurs, le Conseil de Sécurité a voté – à l’exception notable de la Russie – le 16 avril 2015, la légitimation de l’agression sous le chapitre 7, ce qui est un scandale et décrédibilise l’ONU. Les Occidentaux, en restant délibérément silencieux sur les atrocités commises par l’Arabie Saoudite et ses alliés au Yémen sont complices de crimes contre l’humanité.
Au demeurant, en dépit de l’importance des moyens engagés, l’intervention des Saoudiens et de leurs alliés demeure un fiasco militaire. Elle s’avère par ailleurs totalement contre-productive, ayant eu pour effet de renforcer la présence de l’Iran et du groupe Al-Qaeda dans la péninsule arabique (AQPA) au Yémen, et de permettre l’implantation locale d’une branche de l’Etat islamique.
- Le Pakistan, le Qatar, les Emirats arabes unis, le Sénégal et la France – ainsi que et les Egyptiens sur le plan naval – se sont associés à cette opération à laquelle Washington a donné son feu vert. ↩
- Les Houthis sont très sourcilleux quant à leur autonomie. En septembre 2015, les Iraniens leur avaient déconseillé de s’emparer de Sanaa, la capitale, sachant que cela allait déclencher l’intervention saoudienne ; mais ils n’en ont pas tenu compte. Par ailleurs, ils ont rejeté la demande de Téhéran d’installer une base navale permanente dans la zone qu’ils contrôlent. ↩
- Alain Corvez, « Les pays occidentaux complice de crimes contre l’humanité au Yémen », Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), Tribune libre n° 70, juin 2017 (www.cf2r.org). ↩