Missions à haut risque
Le raid de la DGSE
Le raid lancé pour tenter de délivrer le sous-officier de la Direction des opérations (DO) de la DGSE, connu sous le pseudonyme de Denis Allex, détenu depuis le 14 juillet 2009 par les Shebaab somaliens, a été victime de la malchance, facteur qui – les politiques et le public l’oublient trop souvent – fait partie intégrante de l’opération.
Oeuvrant sans relâche depuis plus de trois ans afin d’obtenir la libération de leur camarade, les femmes et les hommes de la DGSE ont fini par obtenir, début décembre 2012 ? des renseignements leur permettant de localiser son lieu exact de détention. L’opération de libération est alors aussitôt planifiée, mais les conditions favorables à sa réalisation ne sont réunies que vers le 10 janvier. Une cinquantaine d’hommes appartenant essentiellement au Centre parachutiste d’instruction spécialisé (CPIS) de Perpignan embarquent à bord de quatre hélicoptères du GAM 56, escortés par deux autres appareils armés du 4e régiment d’hélicoptères des forces spéciales – unité relevant du Commandement des opérations spéciales – et soutenus par un aéronef américain, chargé d’assurer un relais transmission.
Malheureusement, au cours de leur survol, malgré les précautions prises, les appareils sont détectés par des Somaliens. Puis, dès leur poser à quelques kilomètres du site de détention de « Denis Allex », ils sont de nouveau repérés par la population locale, laquelle s’empresse de prévenir les ravisseurs qui organisent immédiatement leur défense. Dès lors que l’effet de surprise s’envolait, l’issue du raid était largement compromise. Les commandos du Service Action ont toutefois poursuivi leur action, laquelle a connu l’issue que l’on sait : décès de l’otage et de deux membres de l’équipe d’intervention – dont le capitaine Patrice Rebout -, plus une demi-douzaine de blessés.
Cette opération est certes un échec pour la DGSE, laquelle n’est pas parvenue à sauver l’otage et a perdu deux hommes. Mais cela aurait un échec encore plus grand de ne rien entreprendre. En effet, il était impossible de laisser plus longtemps « Denis Allex » aux mains de ses ravisseurs tout en sachant où – et dans quelles conditions – il était détenu, d’autant que la négociation avec les islamistes somaliens était sans issue en raison de leurs revendications irréalistes Cela aurait été perçu comme une démission pour les membres de nos services spéciaux et cela leur aurait été absolument insupportable.
D’autant que cette opération est une défaite encore plus grande pour les terroristes que pour la France : ils n’ont pas vu leurs revendications satisfaites – ni rançon, ni libération de prisonniers -, n’ont plus de monnaie d’échange, ont perdu au moins 17 des leurs et savent désormais que nous ne cédons pas et que nous pouvons les frapper au cœur de leurs sanctuaires. Ils doivent beaucoup moins bien dormir depuis qu’ils n’ont plus « Allex » comme bouclier et qu’ils savent qu’ils sont à portée de nos coups. Nemo me impune lacessit[1].
Leurs mises en scène macabres avec les corps des victimes du raid ne trompent personne. Ces individus barbares n’ont qu’un but : essayer de sauver la face et de faire croire que le ratage de l’action de libération de notre otage est une victoire, alors que c’est une déroute supplémentaire pour eux. A l’image d’AQMI au Sahel, les Shebaab sont aujourd’hui sur la défensive, multipliant les échecs.
Diverses rumeurs laissent entendre que certains officiers pourraient payer pour cet échec. Si cela se confirmait, ce serait proprement scandaleux. Une telle mission était hautement risquée, pouvait ne pas réussir mais demeurait absolument indispensable. Que ceux qui l’ont planifiée ou pilotée soient aujourd’hui sanctionnés pour son échec – sauf à prouver des erreurs majeures – est à la fois injuste, mesquin et pitoyable. Surtout, cela risque d’avoir pour conséquence, à l’avenir, d’inhiber toute prise de risque dans des situations comparables. Souhaitons que les hauts fonctionnaires et les politiques qui veulent jouer les censeurs fassent preuve de bon sens.
L’assaut des forces spéciales algériennes
L’intervention conduite, à partir du 17 janvier, par les forces spéciales algériennes contre le complexe gazier d’In Amenas est également particulièrement sanglant : une quarantaine d’otages a trouvé la mort – essentiellement des étrangers – et une trentaine de terroristes a été éliminée. Aucun chiffre de perte parmi les groupes d’intervention n’a été communiquée.
Cet assaut a également donné lieu à de nombreuses réactions négatives dans le monde occidental. Face à la multiplication de critiques sans fondement, il convient de rappeler quelques évidences, que de nombreux esprits chagrins, jamais satisfaits, semblent oublier.
Ou bien les djihadistes qui ont effectué cette prise d’otages étaient idiots, ou bien, connaissant l’extrême fermeté du gouvernement algérien, ils avaient l’intention de faire de leur action un véritable massacre, mis en scène devant les caméras des médias du monde entier. Ils savaient donc pertinemment que les autorités ne négocieraient pas. A moins qu’ils ne se soient imaginés que le nombre élevé de ressortissants étrangers parmi les otages multiplie les pressions extérieures et infléchissent leur position.
Or la réaction du gouvernement algérien a totalement annihilé leur stratégie. La décision d’intervenir rapidement – qu’elle soit délibérée ou due à une tentative de sortie des djihadistes – a été extrêmement efficace. Elle n’a pas permis aux terroristes de bénéficier de l’écho médiatique qu’ils recherchaient, ni de préparer la mise en scène qu’ils avaient probablement planifiée. Surtout, ils ont été surpris par la rapidité de l’assaut. Rappelons qu’au delà des vies humaines en jeu, les djihadistes auraient aussi pu faire sauter le complexe gazier, provoquant des dégâts considérables… et davantage de victimes.
Certes, l’intervention a provoqué l’exécution d’une partie des otages. Nous n’oublions nullement ces victimes innocentes et le drame humain que représente leur barbare assassinat de sang-froid mérite toute notre compassion. Mais cela ne traduit aucunement le mépris de la vie des otages par les Algériens, comme certains l’ont affirmé péremptoirement dans la presse occidentale. C’est une psychologie différente, celle d’un pays qui a connu deux décennies d’attentats et de massacres terroristes, qui sait donc l’importance du danger et la nécessité d’y répondre. Au demeurant rien ne permet de dire que d’autres auraient fait mieux.
Plusieurs pays disent avoir proposé l‘aide de leurs meilleures unités antiterroristes. Mais que ne l’ont-ils fait quand l’Algérie connaissait ses « années noires » qui ont fait plus de 100 000 victimes ? Ils ne l’ont pas soutenu, ont souvent condamné la « répression » et veulent lui donner aujourd’hui des conseils ?
Ceux qui critiquent l’Algérie et son gouvernement, les accusant de ne pas les avoir informés ou de n’avoir pas tenu compte de leur avis – essentiellement les Etats-Unis et la Grande-Bretagne – doivent se voir rappeler certaines vérités.
– Une intervention antiterroriste de cette nature relève de la souveraineté nationale, d’abord par ce qu’elle se passe sur le territoire algérien, ensuite parce que la très grande majorité des personnes présentes sur le site, otages ou non, étaient Algériens. Washington, Londres, Tokyo et quelques autres réagissent comme si la vie de leurs ressortissants avait infiniment plus de valeur que celle des Algériens.
– Vouloir gérer une crise sur un territoire souverain, sans l’accord des autorités locales, est une ingérence caractérisée. Je n’ai pas le souvenir que l’Algérie ait adressé des conseils ou des reproches lors du désastreux assaut du FBI, à Waco (Texas), en 1993, qui s’est soldé par 72 morts. Pas plus d’ailleurs, que lorsque les drones de la CIA font de nombreuses victimes collatérales dans les zones tribales pakistanaises. De même, il est paradoxal de voir Londres – dont tout le monde connaît la politique expéditive et intransigeante en Irlande du Nord – réprimander Alger. N’oublions pas que David Cameron, fut avec Nicolas Sarkozy, un des principaux artisans de l’intervention de l’OTAN en Libye, à l’origine de tout le chaos régional actuel.
En effet, Alger n’oublie pas que ceux qui le critiquent aujourd’hui sont les principaux responsables de la déstabilisation régionale que connait le Sahel depuis deux ans, suite à l’intervention désastreuse de l’OTAN en Libye, laquelle a permis le renforcement significatif en armes et en effectifs des groupes djihadistes et des narcoterroristes.
L’Algérie ne pouvait accepter d’assistance étrangère. D’abord, en raison d’un nationalisme sourcilleux. Ensuite, parce que cela aurait considérablement allongé le délai pendant lequel les terroristes pouvaient piéger le site et pérorer devant les médias du monde entier. Il fallait être totalement naïf pour attendre une autre issue.
Les critiques qui ont été formulées au sujet de ces deux opérations laissent songeur. Elles émanent pour l’essentiel de commentateurs mal informés, si ce n’est de mauvaise foi.
Que voulons-nous ? Céder toujours au chantage terroriste ? Enrichir ces bandits en leur payant des rançons qui financeront le développement de leurs activités criminelles et les encourageront à multiplier enlèvements et attentats ? Ou mettre un terme à leurs exactions ?
Nos sociétés occidentales, embastillées dans leur confort, sont de plus en plus irréalistes : nous voudrions faire la guerre et lutter contre le crime sans tirer un coup de feu, sans faire ni avoir de victimes. Nous nous plaignons sans cesse de l’accroissement de l’insécurité mais ne nous donnons pas les moyens de la combattre et de la réduire.
Revenons sur terre, au nom de « Denis Allex », de Patrice Rebout et du commando du SA tué en Somalie, du lieutenant Damien Boiteux, de Yann Desjeux et des otages français et algériens toujours détenus au Sahel…
- [1] « Personne ne me provoque impunément ». Devise de l’Ordre du Chardon ainsi que de plusieurs régiments écossais de l’armée britannique.