Les entreprises confrontées aux nouveaux risques liés à la sûreté
Depuis le début des années 1990, l’environnement des affaires a connu de profonds bouleversements :
- accroissement de l’insécurité internationale (instabilité politique, enlèvements d’expatriés, terrorisme, piraterie) ;
- irruption des activités criminelles dans l’économie (fraude, blanchiment, contrefaçon) ;
- accroissement de l’intensité concurrentielle et développement des pratiques déloyales (espionnage économique, stratégies d’influence, déstabilisation).
Ainsi, lors du développement de ses activités, une entreprise peut-être confrontée à quatre nouveaux types de risques :
- les risques internationaux, correspondant aux nouvelles menaces liées à l’accroissement qualitatif et quantitatif des zones à risque (conflits, terrorisme, guérillas, enlèvements, piraterie maritime, etc.) ;
- lesrisques criminels, actions d’individus ou d’organisations criminelles (contrefaçon, mafias, extorsion, blanchiment, fraude, corruption, cybercriminalité, criminalité économique, etc.) ;
- lesrisques concurrentiels dus aux nouvelles formes de la compétition économique (espionnage, déstabilisation, sabotage, influence, etc.) ;
- l’émergence de nouveaux risques contestataires (sociétaux ou éthiques) (nouveaux mouvements de contestation de la société libérale, phénomènes sectaires, nouvelles normes de société, etc.
Ces évolutions font peser sur les acteurs économiques de nouveaux risques qualifiés de « non conventionnels » ou « spéciaux » parce qu’ils ne relèvent pas de la sphère traditionnelle du management. Ils sont de plus en plus fréquemment désignés sous le vocable anglais de Security RiskManagement (gestion des risques liés à la sûreté). Ce sont des risques intentionnels et organisés, à la différence des risques heuristiques (technologiques, climatiques, etc) et des risques conventionnels, que l’entreprise sait gérer et que les assureurs savent évaluer (risques prévisibles et mesurables).
Typologie des risques internationaux
Les risques dits « internationaux » concernent les menaces qui pèsent sur les entreprises qui exportent, s’implantent, sous-traitent ou conduisent une partie de leurs activités dans les régions du globe caractérisées par leur insécurité notoire. Or ces régions, qualifiées de « zones grises », ne cessent de s‘étendre. Les conditions des activités à l’étranger sont en conséquence de plus en plus dangereuses. Alors que l’économie se mondialise chaque jour davantage, cette situation devient de plus en plus problématique.
La fin de la Guerre froide est à l’origine de l’insécurité croissante que l’on observe depuis une dizaine d’années. Cette évolution géopolitique a entraîné une réduction drastique de l’aide technique et financière en provenance des deux blocs. Cela a conduit les Etats du Tiers-Monde à affronter seuls leurs divers problèmes de sécurité, ce dont ils se sont révélés, en général, incapables. Depuis le début des années 1990, nombre d’Etats, n’ayant plus la capacité d’exercer leur autorité sur leur propre territoire, minés par la corruption et le népotisme, sont entrés en décomposition interne. Leur effondrement a laissé le champ libre à des mouvements de guérilla et des organisations criminelles qui ont établit leur contrôle sur des régions entières, souvent riches en ressources naturelles.
Les risques internationaux revêtent principalement quatre formes pour les acteurs économiques : les enlèvements, le terrorisme, l’extorsion et la piraterie.
Les enlèvements
La menace majeure à laquelle sont confrontés les entreprises et leurs représentants est l’enlèvement contre rançon (Kidnap & Ransom). Aujourd’hui le voyageur d’affaires ou l’expatrié sont des cibles privilégiées car ils ont une valeur marchande. On assiste à une croissance exponentielle du nombre d’enlèvements à travers le monde. Leur nombre a augmenté de 70% au cours de la décennie 90. En l’an 2000, il a été dénombré 15 000 enlèvements impliquant le paiement d’une rançon ; encore ne s’agit-il là que des cas recensés, car les entreprises font rarement mention de ces événements. Aujourd’hui, le nombre d’enlèvements est estimé entre 20 000 et 30 000 par an, dont un quart d’Occidentaux. Le chiffre d’affaires Kidnap & Ransom est estimé à près de 40 millions de dollars, dont la moitié pour la seule Colombie.
Le différentiel de croissance et de richesse qui ne cesse de s’accentuer entre le Nord et le Sud est aujourd’hui un prétexte idéal afin d’extirper de l’argent aux représentants du « monde des nantis ». Le phénomène a pris une telle ampleur que les compagnies d’assurances ont été contraintes de couvrir ce type de risque. Toutefois, la protection des salariés en mission à l’étranger n’est pas suffisamment prise en compte dans les entreprises françaises.
Le terrorisme
Depuis le 11 septembre 2001, le nombre d’attentats est en augmentation constante, partout dans le monde. Les entreprises occidentales sont de plus en plus fréquemment ciblées, quelle que soit leur activité (tourisme, transport, finance, assistance technique, etc.). D’une part parce que Al-Qaeda recherche un vrai effet économique à travers ses attentats ; d’autre part, parce que toute entreprise occidentale est l’incarnation de ce que haïssent les djihadistes.
Le 8 mai 2002, à Karachi au Pakistan, un attentat à la voiture piégée visait des employés de la Direction des Chantiers Navals de Cherbourg, provoquant la mort de 11 d’entre eux. La France était directement visée à travers une de ses entreprises ; mais l’attaque visait également à distendre les liens économiques unissant notre pays au Pakistan. Cet attentat a connu un retentissement particulier ; il a entraîné le début d’une prise de conscience pour beaucoup d’entreprises de la vulnérabilité de leurs activités à l’étranger.
Les autres formes d’agressions
L’extorsion de fonds connaît un accroissement préoccupant. Elle ne provient pas seulement de groupes rebelles faisant payer une « taxe » pour que l’entreprise puisse poursuivre ses activités. A des fins d’enrichissement personnel, des dirigeants politiques véreux organisent de véritables rackets administratifs et des chefs militaires exercent sans vergogne des chantages à la sécurité au détriment d’entreprises étrangères.
Une autre menace en pleine expansion est la piraterie maritime. Le nombre d’actes recensés dans le monde a triplé ces dix dernières années. Selon les chiffres officiels, plus de 300 actes de pirateries ont été commis en 2003. La piraterie « économique » consiste à s’emparer de la cargaison d’un navire – voire du navire lui-même – et à rançonner l’équipage. Elle concerne aussi bien le trafic international (porte-conteneurs, vraquiers et supertankers) que le trafic régional (cargos, transport de passagers). Elle a un impact significatif sur l’activité de nombreux armateurs.
*
La sphère de préoccupation des entreprises s’élargit désormais à de nouveaux domaines qui viennent perturber leur développement et leur imposent de nouvelles conditions de fonctionnement. Pour tout dirigeant responsable, il est indispensable d’anticiper ces risques et d’apprendre à se mouvoir dans les rapports de force concurrentiels, à se prémunir de la criminalité et à opérer dans les zones à risque.
La France reste, dans ce domaine particulier du management, en retard sur les pays anglo-saxons. D’où la nécessité d’apporter aux entreprises de nouveaux éléments d’information, utiles à leur développement, qui leur permettront d’affiner la perception de ces nouveaux risques, de mesurer leurs impacts possibles sur les acteurs économiques et d’identifier les solutions existantes pour s’en prémunir ou y réagir.