L’émergence d’une menace islamo-gauchiste ?
De nombreux éléments permettent de dire que les djihadistes ne sont pas à l’origine de cette tentative :
- ils ne préviennent jamais les autorités avant un attentat et frappent toujours de manière aveugle et sanglante ;
- le mode opératoire et les explosifs utilisés ne correspondent pas à leur façon de procéder ;
- ils ont pour coutume de revendiquer leurs actions via des sites internet hébergés dans le monde arabe ou de diffuser leurs messages vidéo via Al-Jazira. Jamais ils n’utilisent l’AFP ;
- le texte du communiqué n’a rien d’islamiste. Les djihadistes ne se définissent jamais comme des révolutionnaires ; au contraire ils se considèrent comme le bras armé d’un islam ultra-conservateur.
En revanche, tout conduit à penser que les auteurs de cette action sont liés à l’ultra-gauche française.
Comme l’ont montré les récentes arrestations d’activistes – suite aux sabotages de caténaires sur les lignes TGV, en novembre dernier – il existe, en France, une nouvelle extrême-gauche violente, déterminée à passer à l’action. Les membres de cette mouvance dite « anarcho-autonome » sont plutôt jeunes (25 à 35 ans) et n’ont guère de programme. Ils sont dans une démarche d’opposition brute : leur unique but est de perturber ou détruire l’Etat « répressif » et la société capitaliste.
Le communiqué transmis à l’AFP reproduit clairement leur phraséologie et leur vocabulaire révolutionnaire de type marxiste. Le fait que les explosifs aient été placés au Printemps, « temple » de la consommation, n’est pas anodin non plus. La nouvelle ultra-gauche a une très forte orientation anti-publicité, anti-marques et anti-consommation. Elle considère par ailleurs que la présence française en Afghanistan relève de l’impérialisme et que les pays du Tiers-Monde sont exploités, d’où son « appel » à un Afghanistan « libre ».
La renaissance d’un courant violent au sein de l’extrême-gauche est un phénomène qui s’observe dans tous les pays occidentaux depuis plusieurs années, davantage en Allemagne, en Italie et aux Etats-Unis qu’en France.
En effet, la fin de la Guerre froide et la faillite du communisme n’ont pas mis fin à l’existence de forts courants d’opinion cherchant à remettre en cause l’évolution des sociétés développées. Au contraire, la victoire de la libre entreprise sur le totalitarisme et l’économie planifiée a engendré, en réaction au règne du libéralisme, de la « société de consommation » et à la « recherche du profit » les accompagnant, l’apparition de nouvelles démarches contestataires agissant au nom de « l’éthique ».
Nombre de ceux qui rejettent tout ou partie de l’évolution du monde actuel – y compris une fraction de l’extrême-droite – convergent vers ces mouvements contestataires qui couvrent des champs extrêment divers : activistes anti-mondialisation et anti OGM, animalistes, militants anti-avortement, défenseurs de l’environnement, groupes anti-consommation et anti-pub, etc.
Malheureusement, depuis quelques années, les dérives violentes se multiplient. La majorité de ces causes « éthiques » a donné naissance à des groupuscules violents (écoterroristes, bioterroristes, etc.) n’hésitant pas à recourir à des actions « armées » pour faire aboutir leurs idées.
Aux Etats-Unis, le groupuscule animaliste Département de la justice (sic), envoie des lettres piégées contenant des lames de rasoir enduites de mort-aux-rats à ceux qui « exploitent » les animaux. Le groupe écologiste radical Earth Liberation Front, encore plus violent, est désormais considéré par Washington comme un groupe terroriste, au même titre qu’Al-Qaeda. Outre-Manche, les activistes de l’Animal Liberation Front (ALF) ont à leur actif la destruction de laboratoires médicaux et l’envoi de lettres piégées à des chercheurs travaillant dans l’industrie génétique. En septembre 2005, ils ont effectué deux attaques à la bombe. C’est donc bien un « djihad » écologiste qui est lancé.
Si, a priori, tout semble opposer l’ultra-gauche et les djihadistes salafistes, on observe toutefois, depuis quelque temps, des points de convergence entre ces deux mouvances. Les deux courants rejettent conjointement les valeurs bourgeoises, le matérialisme, le capitalisme et la mondialisation. Ils conçoivent leur lutte comme une révolte dirigée contre ce qu’ils considèrent être une société injuste. Preuve en est la déclaration d’Ayman Al-Zawahiri, le numéro 2 d’Al-Qaida dans une vidéo du 5 mai 2007 : « Je veux que les noirs en Amérique, le gens de couleur, les Indiens américains, les Hispaniques et que tous les faibles et opprimés d’Amérique du Nord et du Sud, d’Afrique et d’Asie et partout dans le monde sachent que lorsque nous menons la guerre sainte selon la volonté d’Allah, nous ne nous battons pas seulement pour lever l’oppression dont souffre le peuple musulman, mais aussi pour lever l’oppression de l’ensemble de l’humanité ».
Activistes de l’ultra-gauche et djihadistes salafistes ont donc un objectif commun : détruire la société capitaliste occidentale afin de rebâtir un monde meilleur. En conséquence, ils pourraient nouer des relations logistiques voire opérationnelles communes. Cette alliance de circonstances entre les militants anticapitalistes et les islamistes, même si elle est un marché de dupes, est donc un phénomène particulièrement préoccupant qui doit être pris au sérieux.
Eric Denécé
Directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)
Dernier ouvrage paru : Les services secrets, EPA, 2008.