Innovation technologique et renseignement concurrentiel
L’innovation technologique, moteur de la compétition économique
La course à l’innovation technologique, mais aussi commerciale ou en matière de services, est l’une des clés de la compétition économique moderne. Rappelons que nous n’avons jamais autant innové, inventé, développé : l’humanité a fait plus de découvertes scientifiques et techniques depuis 1960 qu’entre le début de l’humanité et la fin des années 1950. Toutefois, Paradoxalement, la fin de la Guerre froide et de la compétition stratégique semblent bien avoir, tout au moins dans le domaine de la recherche militaire, aéronautique et spatiale, ralenti ce processus. Il n’en reste pas moins que la technologie est au coeur de tous les enjeux actuels, économiques et commerciaux, mais aussi stratégiques. Sa maîtrise oriente de plus en plus l’action des acteurs économiques et des Etats.
Deux des principales caractéristiques du monde moderne sont le raccourcissement du temps et l’accélération du rythme du progrès technologique. A cause de la première, les acteurs économiques ont de moins en moins de temps pour réagir et doivent accomplir beaucoup plus vite qu’auparavant les tâches qui sont les leurs. Quant à la seconde, elle réduit le cycle de vie des produits et accroît la rapidité avec laquelle les entreprises doivent réagir. La technologie évolue, se démode de plus en plus vite et se diffuse de plus en plus rapidement d’un secteur industriel à l’autre.
Le délai qui sépare la recherche de la commercialisation se réduit sans cesse : il a fallu 35 ans pour mettre au point et commercialiser la radio, 14 ans pour la télévision, 3 ans pour le transistor et un an pour le CD. L’accélération des mutations technologiques, des processus d’innovation et du cycle de vie des produits, contraint les entreprises à s’organiser pour détecter en permanence des niches nouvelles. Aujourd’hui, plus du tiers du PNB américain provient de produits qui n’existaient pas il y a 15 ans.
Les progrès de la science et de la technologie offrent constamment des applications nouvelles, créant la possibilité de nouvelles offres, mieux adaptées aux besoins et plus attirantes, rendant obsolètes de nombreux produits existants. Il est alors vital pour les entreprises de connaître rapidement toutes les applications nouvelles qu’offre la science, pour ne pas se laisser déborder par des concurrents et continuer à fabriquer un produit qui se révèle de plus en plus vite dépassé.
Surtout, il convient d’être conscient qu’aujourd’hui, c’est la technologie qui détermine la valeur d’une ressource physique et sa disponibilité, comme le prix et la valeur de n’importe quel bien ou service.
Par exemple, dans les années 70 le monde était convaincu que les réserves de pétrole étaient sur le point d’être épuisées. Des rapports d’experts annonçaient qu’il restait plus que 700 milliards de barils sur la planète, ce qui compte tenu de la consommation d’alors, représentait 35 à 40 ans de réserves. Or, en 1988, les réserves de pétrole avaient augmenté de près de 30% par rapport à celles de 1972 et les spécialistes estimaient les réserves mondiales à 900 milliards de barils, sans compter les 2000 milliards de barils désormais exploitables grâce aux nouvelles techniques de forage. Ainsi, notre capacité de trouver de nouvelles réserves de pétrole a été multipliée par la technologie et de plus celle-ci a eu un grand impact sur l’efficacité avec laquelle nous utilisons le pétrole. La valeur de choses dépend donc d’abord de la technologie. Autre exemple : la technologie peut transformer les déchets industriels en une ressource inestimable.
Dans ce contexte, la connaissance est devenue, plus encore que le capital et les ressources physiques, l’ingrédient essentiel de la création de valeur. Aujourd’hui, c’est le savoir spécialisé qui constitue une des plus grandes sources de pouvoir. La supériorité technologique n’est que l’un des aspects de cette puissance du savoir : celui de la connaissance scientifique. Comme l’écrivait Peter Drucker dans Au-delà du capitalisme, « les activités qui occupent la place centrale ne sont plus celles qui visent à produire et à distribuer des objets mais celles qui produisent et distribuent du savoir et de l’information ». C’est pourquoi, désormais, les vraies richesses et les vrais enjeux ne sont plus les matières premières, mais les hommes et leur savoir. La créativité et l’innovation sont les atouts fondamentaux des acteurs engagés dans la compétition. La connaissance s’affirme comme la première des ressources stratégiques. Elle n’est plus seulement le fondement d’une capacité d’innovation dans le domaine des procédés ou de produits, elle est également un gage de flexibilité : les investissements en connaissance sont mobiles et peuvent être réorientés vers des directions d’applications nouvelles.
La compétitivité internationale des entreprises modernes se fait désormais sur la connaissance et sur la capacité à innover. Elle repose sur trois avantages comparatifs qui sont : la compétence collective ; les infrastructures technologiques ; le potentiel national de formation et de recherche. Car innover n’est possible que dans une structure propice à la recherche et à l’invention. Le niveau d’éducation d’un pays et la capacité d’innovation, de réaction et de mobilisation des entreprises sont étroitement liés. La stratégie des entreprises doit donc privilégier l’investissement dans la connaissance et les technologies de l’information, afin de développer son potentiel créatif, qu’il s’agisse de produit, de processus ou de stratégie.
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère où le temps de travail est peu de chose en comparaison du temps nécessaire aux individus pour développer leurs capacités imaginatives et cognitives. Si les technologies de l’information et de la communication (TIC) jouent un rôle crucial de ce point de vue, elles ne sont qu’un moyen permettant de transmettre et rendre disponible de l’information. Elles ne sont pas elles-mêmes, créatrices de connaissances. Pour créer, capitaliser et partager des connaissances, il faut aller au-delà des outils et parvenir à une réelle gestion des connaissances. C’est là le fondement d’une démarche d’innovation fructueuse.
En conséquence, l’information – qui est le fondement même de toute connaissance – revêt désormais une importance stratégique et opérationnelle essentielle. Ressource-clé de l’ère post-industrielle, l’information s’affirme donc comme une matière première indispensable pour l’entreprise, car elle permet de développer le savoir et de générer de nouveaux produits, de nouveaux services et de nouvelles orientations. Chacun doit désormais comprendre que l’information compte parmi les ressources fondamentales de l’entreprise.
La technologie est parallèlement devenue l’un des enjeux majeurs de la compétition mondiale entre Etats, à la fois pour des raisons économiques mais également parce que l’indépendance technologique est devenue la clé de la souveraineté. Ainsi, les technologies émergentes constituent un formidable levier d’innovation et leur maîtrise peut être dorénavant considérée comme aussi primordiale pour le statut de puissance que la capacité à projeter des forces militaires à l’échelle de la planète. La sécurité et l’indépendance des nations se trouvent dorénavant concernées au premier degré par des technologies de pointe qui se révèlent être à la fois fondements et enjeux de pouvoir. En effet, l’acquisition d’avantages scientifiques et technologiques dans un certain nombre de secteurs-clés offre à ses détenteurs une position dominante sur la scène internationale. Un acteur qui découvre et exploite le premier une nouvelle technologie, s’approprie la mainmise sur l’essentiel de ses applications et créé pour lui-même d’importants avantages industriels et commerciaux. Ainsi, la maîtrise d’une technologie de pointe peut affecter le développement d’un large éventail d’activités, en raison des importants effets de diffusion interindustriels qui existent.
Comment demeurer leader ou seulement rester dans la course quand la capacité à innover s’érode ?
Mais l’inventivité et la capacité à innover ne sont pas innées. Elles nécessitent un contexte favorable (entreprise apprenante) des femmes et des hommes disposant de formations et de connaissances adaptées, et des moyens financiers appropriés pour conduire à bien un projet depuis la R&D jusqu’à la commercialisation.
Pour les entreprises qui n’ont pas – ou plus – les moyens humains et matériels de participer à cette course à l’innovation et à la compétition technologique, une seule option demeure : s’approprier les connaissances et les découvertes des autres. Aussi, de nouvelles méthodes, souvent discutables, parfois illégales, sont apparues : elles relèvent du renseignement compétitif, voir de l’espionnage industriel.
Plus préoccupant, lorsque certaines firmes agressives ne parviennent pas à connaître et exploiter les secrets de la concurrence, elles n’hésitent pas à détruire psychologiquement les offres et la réputation des concurrents dans l’esprit des clients. Ces méthodes offensives s’inspirent largement de savoirs provenant du monde des opérations clandestines.
Il est nécessaire de connaître ces méthodes anticoncurrentielles afin de s’en prémunir, voire parfois d’y recourir, dans le respect de la loi. Elles se caractérisent par :
– la création de démarches de captation des informations industrielles, scientifiques et économique critiques, à travers la constitution de réseaux de renseignement et de structures « écran », a priori sans connexion avec les activités des entreprises ;
‐ la multiplication des stratégies politico-économico‐culturelles de capture de marchés ‐ notamment par le biais de l’action humanitaire et de la réhabilitation socio-économique de pays sinistrés ‐ et le développement croissant des manipulations médiatiques influant directement et indirectement sur les processus de décisions de populations-cibles ;
‐ l’emploi généralisé de méthodes d’épuisement, d’égarement ou de déstabilisation de la concurrence.
Toutes les techniques évoquées sont de plus en plus utilisées et font chaque jour la preuve de leur redoutable efficacité, surtout lorsqu’un acteur met en oeuvre, de façon combinée, plusieurs d’entre elles. Ainsi, les entreprises sont confrontées à un environnement concurrentiel de plus en plus dur et complexe.
Ces pratiques nécessitent toutefois des conditions minimales : il faut comprendre et connaître ce sur quoi on se renseigne, savoir quoi chercher et disposer de la capacité intellectuelle, industrielle et financière d’exploiter ces « secrets » dérobés à d’autres.
Ce n’est donc pas à la portée de tous. Mais ceux qui mettent les moyens y parviennent souvent.