Création d’un diplôme d’université consacré à l’étude du renseignement
Jusqu’à une date très récente, les historiens n’ont jamais pris en compte le renseignement comme paramètre des relations internationales, ni les services comme des acteurs significatifs de celles-ci. D’où la relégation de cette discipline au niveau de l’anecdote. Lorsque de rares universitaires se sont interrogés sur la contribution du renseignement à l’histoire, leur méconnaissance du métier et leur incapacité à identifier les signes caractéristiques des opérations clandestines les ont conduit à déclarer qu’il n’existait aucune source en la matière.
Or, rien n’est plus inexact, comme l’ont notamment démontré les travaux de Jean Deuve – sur le renseignement chez les Vikings, puis dans les royaumes normands – de Paolo Preto – sur la tradition vénitienne de renseignement et d’action clandestines – ou d’Olivier Blanc – sur la guerre secrète sous la Révolution et l’Empire. Une histoire du renseignement est bien possible, à condition de disposer d’une grille de lecture adéquate afin de reconnaître les manifestations de ce monde du secret et de mettre en lumière son rôle significatif. D’où la nécessité de créer une véritable école académique d’étude du renseignement qui soit capable de reconstituer cette histoire souvent écrite entre les lignes.
En matière universitaire, les Américains ont été les premiers à considérer le renseignement comme un sujet d’intérêt académique, avec la création de filières d’Intelligence Studies au cours des années 1980. Les Britanniques ont suivi cette voie en créant, au cours des années 1990, plusieurs chaires d’enseignement du renseignement (notamment à Cambridge et à Durham). Celles-ci réunissent des universitaires prestigieux, mais aussi d’anciens directeurs des services de renseignement se consacrant désormais à la recherche académique.
En France, l’entrée du renseignement dans le monde académique est assez récente, puisque ce n’est qu’en 1995, à l’initiative de l’amiral Lacoste, ancien directeur de la DGSE, qu’a été créé au sein de l’université de Marne-la-Vallée, un Centre d’études scientifiques de défense (CESD). Deux DESS d’intelligence économique et d’ingénierie de la sécurité ont été mis en place, dans lesquels sont abordées les questions de renseignement. La discipline a également été introduite dans les programmes de l’Ecole nationale d’administration, permettant aux futurs hauts fonctionnaires d’avoir une initiation dans ce domaine. L’Institut des hautes études de Défense nationale propose pour sa part un stage d’information sur les menaces d’investigation étrangères et un cycle d’intelligence économique. Mais, il n’existe à ce jour aucun diplôme spécifique consacré exclusivement au renseignement en France.
Le renseignement n’a jamais été, dans notre pays, une discipline reconnue à sa juste valeur, tant dans les milieux politiques ou militaires, que dans les milieux académiques ou économiques. En la matière, la seule visite d’une Library britannique ou américaine permet de constater que notre pays accuse un singulier retard par rapport à ses alliés anglo-saxons. Lorsqu’un ouvrage sur ce thème parait en France, dix au moins sont publiés outre-Manche et outre-Atlantique. Nous paraissons, en comparaison, dépourvus d’une culture du renseignement dépassant l’étroit cadre des professionnels et des rares spécialistes du sujet. Le renseignement reste connoté très négativement dans notre conscience collective, où il est synonyme d’espionnage, de viol de la vie privée et de « coups tordus ».
Une telle situation ne saurait perdurer sans conséquence. Elle engendre inexorablement la paralysie de nos actions politiques et économiques à l’heure où l’intensité de la compétition mondiale ne cesse de croître. Cela apparaît d’autant plus préoccupant que les grands acteurs internationaux se sont déjà tous organisés pour évoluer dans le nouvel environnement et que leur pratique du renseignement, diffusée dans l’administration, les entreprises et la société civile, est un atout de premier ordre. En comparaison, La France apparaît singulièrement en retard. Surmonter ces blocages culturels représente donc, pour notre société et pour notre avenir, un enjeu primordial.
Le CF2R et le CAPCGRI souhaitent, à travers la création d’un diplôme universitaire, contribuer à une connaissance plus approfondie et à la diffusion d’une culture du renseignement en France. Dans cette perspective, la formation proposée aura pour but d’enseigner aux participants les principes d’action de la discipline, afin qu’ils soient capables de les reconnaître dans leurs recherches. En effet, les activités clandestines constituent de véritables pratiques codifiées, avec leurs règles, qu’il importe de connaître pour les identifier. Notre démarche aura également pour but de mettre en lumière les apports essentiels que le renseignement a fourni à ceux qui ont toujours cherché à façonner l’Histoire et d’appréhender la façon selon laquelle d’autres nations recourent à ces pratiques.