Analyse du rapport parlementaire sur « L’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement»
Le rapport d’information déposé à l’Assemblée, le 14 mai dernier, par les députés Jean-Jacques Urvoas (PS) et Patrice Verchère (UMP) est le signe d’une évolution significative.
Certes, ce n’est pas la première fois qu’un rapport parlementaire est consacré au renseignement. Toutefois, celui-ci incarne un tournant majeur. En premier lieu, il a été impulsé par le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, qui se passionne pour le sujet. En second lieu, ce texte n’a pas pour but principal de condamner les services, mais au contraire de mieux inscrire leur rôle dans le fonctionnement de la démocratie et de leur reconnaître une légitimité qui leur a souvent fait défaut par le passé. C’est capital.
Ce rapport est par ailleurs le signe explicite que le parlement français commence enfin à s’intéresser aux questions de renseignement. L’Assemblée devient force de réflexion et de proposition en la matière, ce qui totalement nouveau. Elle exerce dorénavant ses responsabilités dans ce domaine pour lequel, pendant longtemps, elle n’avait jamais manifesté grand intérêt, déléguant sa gestion à l’exécutif. C’est donc une avancée supplémentaire de notre démocratie.
UNE ANALYSE LUCIDE ET SANS CONCESSION
Tout en reconnaissant que les services de renseignement français sont de bonne qualité, ce rapport dresse un état des lieux lucide et critique du renseignement français, depuis l’organisation des services jusqu’au contrôle législatif. Il évoque sans tabou nos lacunes – notamment les moyens humains et matériels insuffisants de nos agences -, l’échec de certaines réformes récentes et n’hésite pas à formuler de légitimes critiques.
J.-J. Urvoas et P. Verchère mettent en lumière et analysent les causes des errements observés à l’occasion de l’affaire Merah (2012), stigmatisant la tendance à « l’arrogance » de la nouvelle Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), comportement fâcheux qui se révèle contre-productif, en particulier quand ce service fait preuve d’incapacité à appréhender un terroriste présumé, déjà connu de lui.
Ce rapport est autant critique pour les acteurs du renseignement français que pour les responsables politiques – qui par tradition ne s’intéressent guère à cette activité « sulfureuse » – ou les élus de la représentation nationale. Ainsi, les rapporteurs n’ont pas peur de reconnaître la nullité du contrôle parlementaire. S’il fallait s’en convaincre, il suffit de se reporter au rapport rendu public par la Délégation permanente au renseignement (DPR), en avril 2013[2] : celui-ci ne comprend qu’une vingtaine de pages, dont la moitié sont blanches ou dont le contenu a été « effacé » pour des raisons de confidentialité…
Le rapport Urvoas/Verchère se caractérise donc par une grande qualité d’analyse de l’état du renseignement français. Il considère le système comme étant globalement performant, mais pouvant être encore amélioré. Toutefois, si cet état des lieux est pertinent, les propositions qui l’accompagnent sont d’une grande disparité, souvent très pertinentes, mais parfois totalement discutables.
DES PROPOSITIONS PERTINENTES
Trois idées forces ressortent particulièrement du rapport Urvoas/Verchère, qui méritent d’être soulignées :
– Il convient d’attribuer davantage de moyens aux services de renseignement français, lesquels sont souvent moins bien dotés (budgets et effectifs) que leurs alliés occidentaux ; et il faut leur permettre d’être plus agressifs dans la lutte contre les réseaux terroristes et criminels sur le territoire national (adaptation de leur cadre d’action légal).
Tout en insistant sur le fait que les services doivent s’inscrire strictement dans le respect de la loi, les rapporteurs demandent que de nouveaux moyens d’enquête soient accordés aux services, afin de renforcer les possibilités d’investigation contre les menaces criminelles et terroristes. C’est en effet indispensable. Ils souhaitent qu’ils puissent utiliser légalement les techniques aujourd’hui réservées à la police judiciaire (pose de micros, de balises et de caméras, infiltrations de groupes, pénétration de locaux, cyber-surveillance, etc.). Ils demandent à ce qu’un plus large accès aux fichiers leur soient autorisés et prônent le renforcement de la protection des agents en recommandant que des mesures plus énergiques soient prises contre la presse et les auteurs révélant des informations relevant du secret.
– Les activités de renseignement doivent être intelligemment contrôlées par le parlement, ce qui signifie que le système actuel de suivi des services n’est pas satisfaisant. En revanche, les rapporteurs ne souhaitent pas que l’on en arrive à un contrôle excessif des services, ce qui revient généralement à neutraliser leur action.
L’une des propositions phare est la mise en place d’une loi cadre définissant les missions des services de renseignement. Le rapport pose la nécessité d’un cadre juridique, non pour émasculer les services mais les légitimer dans un cadre démocratique moderne.
Une autre proposition majeure est la création d’une nouvelle commission parlementaire de contrôle, avec des pouvoirs renforcés mais non exorbitants. « La mission a défini trois dimensions sur lesquelles elle a porté son attention : le contrôle interne, le contrôle externe de légalité et de proportionnalité, le contrôle externe de responsabilité » (p. 53). Elle propose la création d’une « inspection des services de renseignement » (p. 54) et d’une « Commission de contrôle des activités du renseignement (CCAR) construite sur le modèle abouti de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) qu’elle absorberait » (p. 66). Celle-ci serait « chargée du contrôle des méthodes de collecte des données » (p. 68), « Travaillant avec la DPR et l’autorité judiciaire » et « En capacité de traiter des plaintes venant des citoyens » (p. 71).
Elle préconise également de « doter la DPR de prérogatives nouvelles » (p. 94), notamment en absorbant « la Commission de vérification des fonds spéciaux » car « l’absence de magistrats de la Cour des comptes dans l’actuelle commission la rapproche de facto d’un organe parlementaire » (p. 95).
– Il convient de poursuivre, voire de corriger, les réorganisations lancées depuis le début des années 1990, qu’il s’agisse de la coordination de la communauté du renseignement français ou de l’organisation des services.
Les rapporteurs estiment qu’il est nécessaire de « renforcer le rôle du conseil national du renseignement. Aujourd’hui, sa composition pléthorique et éminemment institutionnelle le condamne à des échanges vagues et frappés de publicité » (pp. 111-112). Le rapport considère qu’une« configuration plus restreinte, telle que le Livre blanc de 2008 l’avait d’ailleurs envisagée, permettrait au Président de la République de réunir les directeurs de service dans le but d’évoquer des thématiques précises et confidentielles ». Il précise que cette proposition pour un nouveau fonctionnement effectif du conseil « ne doit pas être interprété comme l’expression d’une volonté de réduire les prérogatives du Président de la République ».
Dans le même esprit, les rapporteurs proposent que soient mieux définis les services relevant de la communauté du renseignement (pp. 113-114) : « Dans la pratique, un premier cercle constituerait un noyau dur, qui comprendrait la DGSE, la DCRI, la DRM et la DPSD, désignées par un arrêté du Premier ministre comme des « services de renseignement » (ce qui leur permettrait d’accéder à l’intégralité des moyens spéciaux prévus par la loi relative aux activités de renseignement).
Un deuxième cercle intégrerait TRACFIN, la DNRED, l’actuelle SDIG (sous-direction à l’Information générale de la Direction centrale de la sécurité publique) et la Gendarmerie nationale, désignés par un arrêté du Premier ministre comme des « services développant une activité de renseignement » (ce qui leur permettrait d’accéder à certains des moyens spéciaux prévus par la loi).
Un troisième cercle regrouperait entre autres le SIRASCO (Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée de la direction centrale de la police judiciaire), le bureau pénitentiaire, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), voire le Commandement des opérations spéciales (COS) ».
Dans ce schéma, deux services aujourd’hui intégrés dans le « premier cercle » (TRACFIN et la DNRED) perdraient cette qualité. « En effet, la DNRED et TRACFIN n’ont pas pour vocation d’effectuer des missions généralistes dans une perspective de défense des intérêts fondamentaux de la Nation, alors que tel est bien le cas de la DGSE, de la DCRI, de la DPSD ou de la DRM ». De plus, les rapporteurs préconisent « d’intégrer TRACFIN dans un ensemble plus vaste dédié au renseignement économique ». En effet, TRACFIN, dont l’utilité ne saurait être remise en cause, ne compte que 80 personnes et n’est en aucun cas un service de renseignement.
En matière de réforme, un accent particulier est mis sur la nécessité de corriger l’architecture du renseignement intérieur. MM Urvoas et Verchère reconnaissent que la réforme du renseignement intérieur a été conduite, en juin 2008, « dans une précipitation qui ne manqua pas de surprendre ». On se souvient en effet de l’opposition manifestée à l’époque à ce projet par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur.
Ils estiment que la création de la DCRI « est le fruit non de la fusion de la Direction de la surveillance du territoire et de la Direction centrale des renseignements généraux, mais de l’absorption par la première d’une grande partie de la seconde. Car une fusion totale aurait conduit à la domination numérique de la DCRG alors que l’objectif consistait à créer à partir de la DST un grand service de lutte antiterroriste, sans rival et doté d’un maillage territorial efficace » (p. 123). « Au lieu d’instituer un grand service de renseignement intérieur, une réforme a été conduite dans la précipitation, guidée par des considérations contingentes en matière d’implantation territoriale, de répartition des effectifs… ». En effet, la réforme a été brutale et s’est effectuée au détriment de la DCRG, dont certains des meilleurs éléments n’ont pas souhaité intégrer la DCRI, anticipant, à juste titre, l’imposition de nouvelles normes de fonctionnement inadaptées au renseignement territorial.
Les constatations des rapporteurs sont sans ambiguité : « La Sous-direction à l’information générale (SDIG), créée à partir des reliquats de la Direction centrale des renseignements généraux, a été injustement traitée et exclue de la communauté du renseignement » (p. 115). Ils n’hésitent pas à affirmer que « l’architecture du renseignement intérieur, actuellement caractérisée par son irrationalité, nécessite certains réajustements qui, au-delà des changements à opérer, doivent obéir à une certaine philosophie de l’action d’État ». Ils proposent donc (p. 115) de « doter la France d’une véritable direction générale de la sécurité intérieure » afin de résoudre les nombreux dysfonctionnements observés.
Le rapporte relève en effet que « le splendide isolement qui est la marque de la DCRI, retranchée derrière les hauts murs, plus ou moins légitimes mais réellement infranchissables, du secret-défense n’est plus acceptable. Depuis sa création, nul n’a jamais vraiment été en mesure d’apprécier son éventuelle valeur ajoutée faute d’un contrôle parlementaire effectif. Et pour l’essentiel, le monde de l’antiterrorisme demeure une terra incognita dont les activités s’exercent en dehors de tout cadre susceptible de prévenir d’éventuels débordements » (p. 119).
Il insiste également, à juste titre, sur le caractère « artificiel de la curieuse scission générée par la réforme dans le continuum du renseignement entre « milieu ouvert » et « milieu fermé ». Dans l’esprit de ses initiateurs, la DCRI était vouée à n’opérer qu’en milieu fermé, laissant à d’autres services le soin d’œuvrer en milieu ouvert. Toutefois, le cas présent démontre combien la frontière entre ces deux périmètres du renseignement est dans la pratique très difficile, voire impossible à discerner. Comment ainsi concevoir que la DCRI renonce à recourir à l’exploitation de sources ouvertes ? Comment, a contrario, imaginer que la surveillance des mouvements sectaires, du repli identitaire, de l’économie souterraine, qui relève d’autres services, donne les résultats escomptés dès lors qu’elle exclut tout recours aux sources fermées ? Cette distinction milieu ouvert/milieu fermé relève donc de la pure vue de l’esprit… »
Les effets de ces approximations ont été mis en lumière lors de l’affaire Merah. A ce sujet, le jugement des rapporteurs est sans appel (p. 120) : « notre stratégie est partiellement caduque. Elle était conduite par un service à la vitrine trompeuse et dont l’architecture territoriale a failli ». Ils ajoutent (p. 125) : « En substance, il semblerait que la DCRI conçoive uniquement ses implantations territoriales comme un signe extérieur de puissance, sans se soucier du coût financier induit (un poste coûte cher à créer, à sécuriser et à pourvoir). Le service n’a visiblement pas pensé son maillage territorial. Rien d’étonnant dès lors à ce qu’il ne l’ait pas réellement intégré à sa stratégie. (…) La centrale continue à analyser, à animer, à autoriser, à octroyer des moyens et ne laisse que peu d’autonomie à ses services territoriaux. Pourtant, la « réactivité » tant louée des RG procédait aussi de la forte capacité d’initiative des directions régionales ou départementales, voire des arrondissements ».
Ils insistent également sur certains des lacunes issues de cette fusion, notamment le manque de suivi de la subversion violente (p. 136) : « La DCRI a considérablement restreint le champ de la subversion violente pour n’en conserver que le caractère terroriste » (…) « Le service considère que le suivi des mouvements politiques radicaux échoit à la SDIG qui n’en a pourtant pas les moyens ». Ils n’hésitent pas à aller plus loin : « Surdéterminée par l’impératif terroriste et réalisée au profit exclusif de la DCRI, la réforme de 2008 a globalement abîmé l’outil de collecte du renseignement intérieur, au point de rendre l’État potentiellement sourd et aveugle dans l’anticipation de phénomènes sociaux » (p. 138). C’est pourquoi ils considèrent comme indispensable de « sortir de l’impasse actuelle en rebâtissant une véritable filière dédiée au renseignement de proximité ».
Un autre tabou majeur est remis en cause par ce rapport ; MM Urvoas et Verchère proposent d’en finir – enfin ! – avec le particularisme policier de l’Ile-de-France : « La réforme de 2008 a renforcé un particularisme parisien qui date en réalité de la Libération » (p. 130). D’autant que la DRPP a recouvré ses prérogatives sur la petite couronne. Dans l’intervalle, la DCRI avait créé des implantations dans les départements de la petite couronne qu’elle a maintenues malgré l’arrivée de la DRPP » (p. 131).
Poursuivant leur remise en question du renseignement intérieur et de certaines de ses caractéristiques, ils insistent sur les risques induits par la double qualité police administrative/police judiciaire de la DCRI, considérant (p. 136), qu’il serait « opportun que la DGSI privilégie ses activités de police administrative sur celles de police judiciaire ».
Le rapport évoque également, quoique de manière beaucoup moins fouillée, la situation des autres services relevant du ministère de la Défense. Il préconise notamment (p. 178) de « replacer la DRM au cœur du dispositif du renseignement militaire », insistant sur le fait qu’au cours des années 2000-2010, les armées ont été amenées à compléter leur dispositif en matière de renseignement. Selon Les rapporteurs, la création des « centres renseignement d’armée (CERT pour l’armée de Terre, CRMar pour la marine, CRA pour l’armée de l’air) » et du « Centre national de ciblage (…) a constitué une entorse au principe de centralisation qui avait présidé à la création de la DRM ». Aussi, ils estiment « qu’il est préoccupant que ces structures n’entretiennent plus avec la direction que des relations de clients à fournisseur. Elle appelle donc à une revitalisation du processus de coopération, qui se traduirait par exemple par l’attribution à la DRM d’un monopole dans le domaine de la formation interarmées, alors même qu’aujourd’hui chaque armée procède de façon autonome ».
DES POINTS FAIBLES ET DISCUTABLES
Si ce rapport à l’immense mérite de proposer de multiples pistes d’amélioration, il comporte toutefois certaines faiblesses. En effet, derrière un titre relatif à « l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement », il couvre en réalité bien plus largement la problématique du renseignement intérieur et extérieur français. MM Urvoas et Verchère évoquent tellement de sujets divers (loi cadre, contrôle parlementaire, coordination, réformes, budget, effectifs, intelligence économique, culture du renseignement, etc.), que leur rapport en est parfois confus et finit par ressembler à un inventaire à la Prévert… Pour plus de clarté, deux ou plusieurs rapports eurent été plus appropriés.
Il se caractérise notamment, pour certaines de ses propositions, par de fausses bonnes idées et de vraies mauvaises idées. En particulier quatre points apparaissent pour le moins discutables :
– Le mauvais procès intenté à Nicolas Sarkozy et aux réformes de 2008 d’avoir voulu « présidentialiser » le renseignement. Tous ceux qui connaissant le fonctionnement du système savent que les décisions se prennent à l’Elysée et que c’est au chef de l’exécutif que les services rendent compte. Aussi, la volonté de vouloir attribuer à Matignon ce qui n’a jamais été – dans les faits – de son ressort, est-elle une mauvaise suggestion et l’on est en droit de s’interroger si la nouvelle majorité parlementaire ne cherche pas là à défaire certaines décisions prises par l’ancien gouvernement.
– De même, la proposition de créer un Secrétariat général du renseignement, « organisme relevant du Premier ministre », nous paraît saugrenue. « Échoiraient à cette seule structure toutes les missions ayant trait au renseignement (…) et celles confiées en ce domaine au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) ». Nous nous interrogeons sur l’utilité de créer une nouvelle structure administrative, comme si la République n’en avait pas assez… d’autant que c’est là le rôle du SGDSN et qu’il semble à la fois inutile d’affaiblir cet organisme… ou de le dupliquer.
– Les rapporteurs proposent la création d’une Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) « relevant directement de l’autorité réaffirmée et effective du ministre de l’Intérieur, serait de nature à corriger les vices de conformation qui viennent d’être évoqués. De surcroît, elle simplifierait la chaîne de commandement et placerait le service de renseignement intérieur sur un pied d’égalité (administrative) avec le service extérieur » (p. 128). Si cette idée n’est pas absurde, les pistes que préconise le rapport n’ont guère de sens. Ou bien il s’agit de créer d’un nouvel organisme intercorps (c’est-à-dire accueillant des civils, des gendarmes, des douaniers… aux cotés des policiers et échappant à leur seul contrôle), rattaché directement au ministre de l’Intérieur ; ou bien changer son rattachement en lui conservant sa composition actuelle n’a pas d’intérêt.
– Enfin, si la mise en place d’une agence de renseignement géospatial est intéressante, « agence de renseignement géospatial, dont la production serait dédiée aux trois grands services (DGSE, DCRI, DRM) et aux armées (EMA, état-major d’armées et COS), regrouperait les moyens aujourd’hui épars de l’imagerie et de la géographie militaires. Elle serait placée sous l’autorité du Secrétariat général du renseignement » (p. 184), les rapporteurs s’égarent (pp 184-185) dans des considérations peu réalistes : « Si la création et la mise en œuvre d’une telle instance devaient donner satisfaction, l’étape suivante pourrait alors se traduire par l’avènement d’une agence de moyens techniques du renseignement (qui regrouperait dans un même organisme le renseignement d’origine image – ROIM – et le renseignement d’origine électromagnétique – ROEM) ». Or, le regroupement des moyens d’imagerie (IMINT) et d’interception (SIGINT) au sein d’une seule entité n’a pas de sens, car leur vocation et leurs utilisateurs principaux sont différents. Il eut été plus pertinent d’analyser les raisons pour lesquelles une vraie agence dédiée au SIGINT ne peut émerger en France et tenter d’y remédier[3].
Parallèlement à ces pistes qui ne semblent pas devoir être suivies, diverses lacunes et omissions caractérisent ce rapport.
– En premier lieu les propositions pour remédier aux lacunes du renseignement intérieur sont très minces. C’est un paradoxe : accorder autant d’importance à dénoncer, à juste titre, les limites de la réforme de 2008 pour ne proposer que le maintien séparé des SDIG et la reconnaissance du rôle de la gendarmerie est bien décevant.
De même, alors que le rapport pose la question des missions judiciaires de la DCRI, il n’aborde pas ses relations avec la Sous-direction antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire, qui partage ses locaux de Levallois-Perret.
Enfin, le maintien de l’UCLAT au ministère de l’Intérieur n’est pas remis en question. Pourtant, la lutte antiterroriste ne concerne pas ce seul ministère et devrait relever des attributions du CNR, car il manque une structure de coordination du de la lutte antiterroriste à l’échelon interministériel[4] ; d’autant que l’UCLAT a encore moins d’utilité au sein du ministère de l’Intérieur depuis la fusion DCRG/DST et le rapprochement DCRI/SDAT.
– En second lieu, le rapport n’insiste pas assez sur les spécificités propres au renseignement extérieur : à la différence du renseignement intérieur ou militaire, le rôle de la DGSE est de conduire des opérations de renseignement et d’action clandestine à l’étrange pour la défense des intérêts nationaux. De par sa vocation et la nature de ses missions, il n’est pas possible de lui appliquer les mêmes modes de contrôle ou de fonctionnement que les autres services. Un statut dérogatoire doit lui être consenti, ce qui ne signifie pas que cette agence puisse faire n’importe quoi … ce qu’elle n’a d’ailleurs jamais fait.
– En troisième lieu, en matière d’action, les rapporteurs évoquent, sans la remettre en question, la question des frontières entre opérations spéciales et opérations clandestines (pp. 180-181). MM Urvoas et Verchère n’ont pas, semble-t-il, perçu la réelle nature des opérations clandestines, ni su voir que l’opération de libération de « Denis Allex » en Somalie n’était qu’une opération spéciale conduite par la DGSE, dont ce n’est pas le rôle[5] ! Sans doute une meilleure connaissance des pratiques étrangères en la matière fait-elle encore défaut aux parlementaires, de même qu’une claire compréhension des différences existant entre « clandestin », « secret », « spécial », etc. : ce n’est pas parce que certains militaires interviennent en civil que la mission est clandestine.
– En dernier lieu, le rapport n’évoque quasiment pas la question de la cybersécurité, qui prend une importance de plus en plus déterminante dans notre société moderne, dépendante de systèmes d’information et de communication. Cette mission essentielle, qui relève aujourd’hui de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI) doit devenir prioritaire. Or, elle ne dispose pas aujourd’hui des moyens adaptés aux défis à relever. Par ailleurs, nulle part n’est évoqué le positionnement de l’ANSSI, aujourd’hui organisme indépendant de mois de 300 personnes. Une mission relevant pleinement de la sécurité intérieure, il pourrait être opportun d’en rattacher les effectifs à la DCRI (ou à la DGSI que proposent les rapporteurs), dans un souci de rationalisation administrative et d’économies budgétaires.
*
Quelles que soient ses limites, le rapport Urvoas/Verchère fera date. C’est la première fois dans l’histoire parlementaire française qu’une vraie démarche d’expertise relative au renseignement est esquissée par l’Assemblée. Si les propositions ne sont pas toutes à la hauteur de la qualité du constat, c’est toutefois une avancée très positive et une démarche utile qui mérite d’être saluée.
Nous formulons le vœu que ce rapport ne reste pas lettre morte, car le risque existe qu’il ne soit suivi d’aucune action significative. En effet, une loi sur ce sujet ne pourra être votée avant 2015 et les observateurs de la vie politique savent, qu’en raison de la rapidité d’évolution des préoccupations gouvernementales, ses préconisations pourraient être rapidement oubliées.
[1] Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère, Mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, Rapport d’information n°1022, Assemblé nationale, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Paris, 14 mai 2013.
[2] Patricia Adam, Rapport relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2012, Délégation parlementaire au renseignement, Assemblée nationale et Sénat, Paris, 30 avril 2012.
[3] La DGSE ne souhaite pas la création d’une telle agence autonome, parce que les interceptions et la cryptoanalyse sont ses principals activités ; la Direction technique repésente près de 50% des effectifs de ce service. D’ailleurs, elle compare plus volontiers son action à celle de la NSA qu’à celle de la CIA. LA logique voudrait donc que les moyens techniques de la DCRI et de l’ANSSI lui soient rattachées… ce qui ne risque pas de se faire !
[4] A l’image du National Counterterrorism Center (NCTC) américain, du Joint Threat Assessment Center (JTAC) britannique ou de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (OCAM) belge.
[5] Pour mener à bien cette opération dont nous ne remettons pas la nécessité en question, le SA a du être soutenu par le COS, la marine et … les Américains ! Bel exemple de clandestinité…