Les radars LPI, une menace ?
Olivier DUJARDIN
Qu’est-ce qu’un radar LPI ?
Les radars LPI (Low Probability of Intercept) sont appelés ainsi du fait de leur très faible « puissance crête » émise, ce qui les rend particulièrement difficiles à intercepter pour les détecteurs et intercepteurs radars. Ce type de radar est souvent présenté comme un type de radar « invisible » permettant d’accéder aux informations fournies par un autre radar en toute discrétion. Cette catégorie de radars a commencé à apparaître il y a une quinzaine d’années lorsque les « émetteurs état solide » (fondés sur la même technologie d’émetteur que ceux équipant les téléphones portables) sont devenus facilement accessibles. Au départ, le but était de créer des radars à faibles coût (absence d’électronique hyperfréquence), simples à construire, fiables, consommant très peu d’énergie et donc faciles à installer quelle que soit la taille du porteur. Ce type de radar s’est rapidement imposé dans le milieu de la plaisance puisque même les tout petit bateaux peuvent en être équipés.
La principale caractéristique de ces radars est d’émettre, en puissance crête, des puissances souvent inférieures au watt. Toutefois, pour obtenir une portée de détection significative, il a fallu adapter les formes d’ondes (nature du signal émis). Pour ce faire, et contrairement à un radar classique qui émet une impulsion et attend son retour pour mesurer une distance, il a été adopté le principe de diffusion de l’énergie dans le temps.
Figure 1 : Cas du radar à impulsion
Au lieu d’émettre une courte impulsion à forte puissance, une « impulsion » très longue est émise, de telle sorte que l’énergie soit suffisamment significative. Ainsi, la puissance moyenne émise peut être du même ordre de grandeur que pour un radar impulsionnel classique.
Cas du radar LPI
Cette notion s’appelle le « facteur de forme », lequel est le rapport entre le temps d’émission du radar et le temps d’écoute du radar. Sur un radar impulsionnel classique, le facteur de forme se situe entre 0,001% et 20%, mais, pour un radar LPI, ce facteur se situe entre 80% et 100%. Bien entendu, cette « impulsion » très longue est « codée », de façon à pouvoir discriminer plusieurs cibles et à en mesurer les distances. Sur un radar classique, la résolution est déterminée par la durée de l’impulsion émise, bien que, de plus en plus souvent, les impulsions soient elles aussi « codées » de façon à améliorer les performances des radars sans avoir à augmenter les puissances crêtes émises. Sur un radar LPI, c’est le « codage » qui déterminera la résolution du radar. La plupart de temps, la solution retenue est une variation de la fréquence au cours du temps. Ce type de modulation est appelé « onde continue à modulation de fréquence » (FMCW : Frequency Modulation Continuous Wave) mais il existe d’autres solutions technologiques, notamment en utilisant des codages en phase.
Figure 2 : Exemple de forme d’onde utilisée par un radar LPI
Cette méthode répartit ainsi l’énergie du signal, déjà très faible, dans le spectre, ce qui complique d’autant le travail des détecteurs et intercepteurs radar. Le signal émis est noyé dans le bruit électromagnétique ambiant et devient très difficile à extraire, d’où le nom de LPI pour nommer ces radars.
Les radars dits LPI ne doivent pas être confondus avec les radars LPID (Low Probability of Identification). Cette définition est souvent associée aux radars à antenne active (AESA) dont le pilotage des faisceaux, extrêmement agiles, permet de limiter les temps d’éclairement des cibles et donc la quantité de signal reçu par les détecteurs radars, ce qui les rend potentiellement plus difficiles à identifier. Qu’ils soient plus difficiles à identifier ne les rend pas moins détectables et ils ne rentrent pas dans la définition des radars LPI. De manière générale, seuls les radars ayant une puissance crête inférieure à quelques watt peuvent prétendre au statut de LPI. Même un radar de 1 kW ne peut plus être considéré comme tel.
Avantages et inconvénients
Les radars LPI présentent un certain nombre d’avantages par rapport aux radars impulsionnels, notamment en ce qui conerne leur coût (achat et utilisation), leur fiabilité, leur encombrement et leur résolution particulièrement élevée (avantage lié à ce type de forme d’onde).
Toutefois, les formes d’ondes utilisées (émission quasi permanente) imposent de disposer de deux chaînes distinctes. Une pour l’émission et l’autre pour la réception du signal émis. En effet, sur un radar impulsionnel, une seule chaîne est nécessaire puisque les temps entre les impulsions sont utilisés pour la réception, chose impossible sur un radar qui émet en permanence. Cela impose donc de disposer de deux systèmes antennaires. Si, à des fréquences supérieurs à 8 GHz, cela n’impose pas un encombrement trop important (plus la fréquence est élevée et plus la longueur d’onde est courte et donc plus l’antenne est petite), dès que l’on descend en fréquence, la contrainte n’est plus négligeable.
Dans une architecture où les voies émission et réception sont l’une à côté de l’autre, cela impose que la puissance d’émission soit faible pour ne pas saturer, voire détruire, la voie de réception. Ce type d’architecture s’adapte donc particulièrement bien aux radars LPI.
L’autre inconvénient majeur des radars LPI est leur faible portée de détection, du fait de leur très faible puissance d’émission.
Figure 3 : Comparaison des portées de détection des radars LPI en fonction de la SER (Surface Equivalente Radar) avec des radars impulsionnels
Ce tableau comparatif conduit à deux constatations :
- la première montre que le rendement d’un radar LPI est bien meilleur que celui d’un radar impulsionnel (un radar LPI de 1W de puissance crête a des performances équivalentes à un radar impulsionnel de 10 kW) ;
- la deuxième montre que les portées de détection des radars LPI demeurent faibles et équivalentes à la portée optique. Il faut donc prendre conscience qu’une cible détectée par un radar LPI est visible à l’œil nu ou, au moins, par un moyen optique.
En partant de la constatation que les types de formes d’ondes utilisées par les radars LPI ont un rendement nettement supérieur, on peut se demander pourquoi ce principe n’est pas utilisé sur l’ensemble des radars. En effet, une puissance de quelques kilowatts permettrait d’obtenir des portées de détection de quelques centaines de kilomètres. Sans être à proprement parler des radars LPI, ces radars seraient notablement plus discrets que les radars impulsionnels. Seulement, comme évoqué ci-dessus, ce type de formes d’ondes impose de disposer de deux voies séparées (une pour l’émission et l’autre pour la réception). Si leur colocalisation ne pose pas de problèmes lorsque les puissances émises sont très faibles, ce n’est plus le cas dès lors que la puissance d’émission augmente. Plus un émetteur est puissant et plus il aura tendance à « baver », avec le risque de détruire l’étage de réception qui se trouve juste à côté. La mise en place de protections et de blindages est possible mais se fera au détriment de l’encombrement, avec toujours le risque qu’il y ait des remontées de bruits résiduels qui pénaliseront la sensibilité du radar. Dans les faits, si on augmente trop la puissance, la partie émission et la partie réception du radar devront être séparées ; on parle alors de radars bi-statiques.
On retrouve donc les mêmes types de formes d’ondes appliqués à des radars très longue portée – plusieurs milliers de kilomètres -, là où il n’était pas possible de générer suffisamment de puissance avec une conception impulsionnelle classique. En effet, la puissance d’émission d’un radar est physiquement limitée par le claquage de l’air (création d’un plasma en sortie d’antenne) qui se produit entre 1 et 4 terrawatts. Ces radars, plus grands que des immeubles, sont répartis sur deux sites (un site dédié à l’émission et l’autre à la réception) et émettent des puissances de plusieurs dizaines de mégawatts mais on ne parle pas de radar LPI dans ce cas.
Quelle menace peut présenter ce type de radar ?
De par leur faible portée de détection, les radars LPI sont principalement utilisés pour la navigation, la surveillance côtière ou celle des ports. Leur excellente résolution est particulièrement adaptée à la détection de petites cibles à courte portée. Leur faible portée de détection ne leur procure pas de capacité de désignation d’objectif longue portée. Ils ne peuvent donc pas être associés avec un système d’arme longue portée. Par contre, leur discrétion relative peut avoir un intérêt pour la détection à courte portée, principalement dans deux cas :
- le premier serait pour la poursuite sol/air à courte portée qui permettrait ainsi d’engager un aéronef sans faire réagir ses détecteurs radars. Le tir de missile peut, lui, être détecté par les systèmes d’autoprotection des aéronefs (détecteurs infrarouges ou ultraviolets), mais sa nature sera mal identifiée. Le système d’autoprotection en déduira qu’il est accroché par un missile à guidage infrarouge puisqu’il ne pourra pas associer le départ missile à une perception électromagnétique. Cette configuration peut facilement induire le système d’autoprotection en erreur afin qu’il mette en place des contre-mesures inadaptées (largage de leurres infrarouges en lieu et place de leurres électromagnétiques, brouillage laser infrarouge au lieu d’un brouillage électromagnétique). L’emploi d’un radar LPI peut alors être comparé à une mesure de contre contre-mesure puisque fonctionnellement le radar n’apporte rien de plus qu’une poursuite optique classique mais permet d’augmenter les chances de coup au but en contournant les contre-mesures de la cible ;
- le deuxième est d’associer un radar LPI en doublon d’un autre capteur dans un autodirecteur de missile. L’autodirecteur classique (électromagnétique ou optique) permet la détection et la poursuite de la cible tandis que le radar LPI n’est utilisé qu’à très courte distance afin de s’assurer que les informations de l’autodirecteur principal ne sont pas perturbées par des contre-mesures. L’objectif étant toujours d’augmenter la probabilité de coup au but du missile. Ce qui est vrai pour le radar LPI peut aussi l’être avec n’importe quel autre moyen de guidage (radar bi-bande X 8-12 GHz et K 30-40 GHz, radar et optique). Ce n’est qu’une des solutions disponibles pour doubler les moyens de guidage afin de les rendre plus robustes.
De par ses performances, le radar LPI est une menace équivalente à celle d’un moyen optique. Son intérêt repose essentiellement sur sa nature différente qui permet de mixer les moyens de détection et de guidage dans un souci de robustesse aux contre-mesures.
Quelles contre-mesures ?
La forme d’onde de type FMCW n’est pas compliquée à brouiller, c’est même d’autant plus facile que ce type de radar émettant en permanence, il n’y a pas de temps d’écoute disponible pour détecter un éventuel brouillage. De plus, comme la puissance émise est très faible, il est aussi possible de brouiller ce type de radar avec très peu de puissance. La principale difficulté réside dans l’obtention du renseignement nécessaire à l’élaboration des modes de brouillages. Ces radars émettant très peu d’énergie, leur détection et leur enregistrement sont très compliqués puisqu’ils nécessitent d’être très proches de l’émetteur. Dans le cas des radars civils de navigation de type LPI, ce problème peut être facilement contourné en achetant tout simplement chaque modèle de radar. Leur prix extrêmement modéré (de 1 500 à 4 000 euros selon les versions) rend tout à fait rentable leur acquisition par rapport au coût qu’aurait une démarche de recueil avec toutes les incertitudes que représentent les acquisitions dans un environnement électromagnétique réel.
Par contre, le problème se pose pour les radars militaires et plus particulièrement encore pour des conduites de tir ou des autodirecteurs. Leur domaine d’emploi étant limité à la très courte portée, pour avoir une chance de les enregistrer, il faudrait être pris à parti directement par le système d’armes. Ce cas de figure ne peut être envisagé en temps de paix et est, de toute façon, bien trop risqué. Dans ce cas, la seule contre-mesure possible est d’effectuer un brouillage à bruit large bande (de façon à être certain de couvrir la bande de fréquence du radar à brouiller) qui fera saturer la voie réception du radar et le rendra aveugle.
Cette tactique nécessite un important travail de renseignement en amont puisqu’il n’y aura pas de préavis sur l’utilisation d’un radar LPI. C’est la connaissance préalable de la menace qui permettra de déterminer la pertinence de mettre en place ce type de brouillage préventivement (au détriment de sa propre discrétion) dès que l’on est à portée d’un système d’armes utilisant potentiellement un radar LPI. Pour ce type de radar, ce n’est pas tant le renseignement électromagnétique qui est important que la connaissance de la menace qu’ils peuvent représenter lorsqu’ils sont intégrés à un système d’armes.
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Les radars LPI sont des radars difficilement détectables (quoique pas indétectables) mais leur capacité de détection est assez similaire à la vue, du fait de leur puissance très réduite. Le niveau de menace qu’ils peuvent représenter est donc équivalent à celui des capteurs optiques qui sont, eux, totalement passifs donc plus discrets encore. Ils ne peuvent donc être associés qu’à des systèmes d’armes courte portée ou être en complément d’un autre senseur. Le radar LPI seul ne peut représenter une menace significative, c’est son association avec d’autres capteurs qui peut présenter un danger. Cette menace doit être considérée de la même manière que le laser, les systèmes infrarouges, les radars en bande K (30 à 40 GHz), les systèmes à imagerie, les radars classiques etc. Pour des raisons physiques, en aucun cas une généralisation des radars de technologie LPI n’est à craindre sur tous les types de radars. Les radars LPI seront sans doute de plus en plus nombreux en tant que radars de navigation courte portée du fait de leur prix réduit et de leur excellente résolution, mais les autres applications resteront probablement marginales.