Haut-Badakhchan : la revendication autonomiste au cœur de la nouvelle donne du grand jeu géopolitique régional
David GAÜZERE
Les révoltes au Haut-Badakhchan ne sont pas un fait nouveau. Depuis l’indépendance du Tadjikistan en 1991, cette vaste région autonome qui compte pour 45 % de la superficie du pays, mais seulement 3 % de sa population, a toujours été rétive à l’emprise de Douchanbé.
Elle doit cet esprit de fronde au caractère unique et spécifique de son peuple, les Pamiris. Ils sont seulement entre 200 000 et 300 000 au Haut-Badakhchan, mais se signalent par un caractère particulier qui fait d’eux un peuple unique dans la région. Les Pamiris se définissent comme des descendants directs des armées perses et d’Alexandre le Grand, ce que leur type européen, leurs cheveux et leurs yeux souvent clairs, l’héritage culturel hellénistique porté par l’ismaélisme et leurs langues, apparentées au perse oriental (chougni, rouchani, bartangi et yazgouly), tendent à prouver. Les Pamiris sont cependant des musulmans, mais d’obédience chiite et de rite nizarite, contrairement au reste de la population du Tadjikistan, qui est d’obédience sunnite. Ils suivent en cela depuis le XIe siècle l’Agha Khan, qui les guide religieusement et dont les préceptes religieux se basent sur une grande tolérance. Ils ont été très tôt imprégnés d’autres influences préislamiques, comme le platonicisme grec (prédominance de la pensée individuelle fondée sur la raison et la critique), le zoroastrisme (adoration notamment du feu) ou encore le nestorianisme, sans compter des influences chamaniques liées à la nature. Par tradition, les femmes ont dans l’ismaélisme la même place que les hommes et les mosquées, également qualifiées de « maisons de sagesse » sont de taille modeste et ouvertes, en dehors des prières, aux débats philosophiques ; elles servent même souvent de mairies où sont prises les décisions pour la gestion des villages, auxquelles les femmes participent[1].
Dès le XVIIIe siècle, les Pamiris se trouvent au cœur du Grand jeu entre la Chine et la Russie, qui avancent l’un et l’autre leurs pions en Asie centrale, rejoints un siècle plus tard par le Royaume-Uni depuis l’Empire des Indes.
En 1895, les frontières sont figées, séparant le peuple pamiri dans quatre territoires distincts : le Badakhchan afghan indépendant, auquel les puissances régionales conviennent d’ajouter le Corridor du Wakhan pour éviter que les empires russe et britanniques ne se trouvassent en contact direct ; la Vallée de la Hounza pakistanaise, sous contrôle britannique jusqu’en 1947 ; la région de Tach-Kourgan dans le Xinjiang chinois, devenue autonome en 1955 ; et le Haut-Badakhchan russe, puis soviétique au statut autonome depuis 1929.
Karim Agha Khan IV, le grand-père de l’Agha Khan actuel, est chassé de la région en 1920 lors de sa prise de contrôle par l’Armée rouge et finit par trouver refuge au Royaume-Uni après une errance de plusieurs années. Les Soviétiques insistent alors sur le particularisme – notamment et paradoxalement – religieux, des Pamiris et mettent tout en œuvre, jusqu’en 1991, pour faire de la région et de ce peuple la vitrine de Moscou. Ainsi, la population devient plus éduquée et russifiée que dans le reste du Tadjikistan et les universités russes leur sont accessibles grâce à des bourses contrairement aux autres Tadjiks. Cette situation privilégiée en matière d’éducation est ensuite entretenue par Moscou après l’indépendance du Tadjikistan en 1991[2].
L’indépendance du Tadjikistan représente cependant une rupture majeure et le début d’une descente aux enfers pour les Pamiris. Elle signifie la fin des aides venues de Moscou et l’inscription de la région dans le nouveau schéma national, forcément plus étroit, du Tadjikistan indépendant, où les Pamiris ne trouvent aucune place.
Dès 1991, les gouverneurs sont systématiquement des Tadjiks ethniques, qui plus est des proches du clan de Kouliab au pouvoir. La guerre civile, qui fracture le Tadjikistan entre différents seigneurs de la guerre entre 1992 et 1997, est encore plus durement vécue par les Pamiris que par les autres Tadjiks. La région est alors le bastion de l’opposition et subit un blocus économique sévère de Douchanbé, à l’origine d’une crise alimentaire et sanitaire sans précédent pour la population[3]. L’économie locale est réduite du jour au lendemain à néant et mise sous la coupe de seigneurs de guerre locaux mafieux et de la criminalité organisée, enrichis par le trafic d’héroïne, d’armes et de pierres précieuses[4].
La fin de la guerre civile ne résout pas pour autant les problèmes locaux. Bien au contraire, elle les complique. Les anciens seigneurs de guerre sont, par les Accords de Moscou signé en 1997, réhabilités et continuent d’administrer des districts du Haut-Badakhchan comme chefs de districts ou députés, poursuivent parallèlement leurs trafics mafieux et développent leur influence au niveau local (Ayembekov, etc.). Le délitement de l’Afghanistan voisin, en état de guerre civile permanente, et la montée de l’islamisme au Tadjikistan renforcent par ailleurs le contrôle du pouvoir central par le clan Kouliab, vainqueur de la guerre civile ; peu à peu, il écarte les représentants de l’opposition, au Haut-Badakhchan comme partout ailleurs au Tadjikistan, jusqu’à la bannir officiellement en 2015 et mettre un terme aux Accords de 1997[5]. En parallèle, la concussion et la corruption généralisées continuent d’alimenter les différents trafics, et les chefs locaux, comme les représentants politiques et militaires du pouvoir central se comportent tous en de véritables seigneurs de guerre, prêts à retourner leur veste à la moindre offre.
En réaction, des seigneurs pamiris s’élèvent régulièrement, avec le soutien de la population locale, contre le pouvoir trop centralisateur et arbitraire de Douchanbé, dès que leur assise financière informelle commence à le leur permettre. Le scénario reste alors invariable : des populations locales sont poussées au soulèvement sur une base socio-identitaire, à laquelle fait toujours suite une répression impitoyable du pouvoir central avec un nombre exponentiel de victimes civiles.
Par ailleurs, la région reste le lieu de passage dans les deux sens de combattants djihadistes venus renforcer les rangs de l’Organisation État islamique-Khorasan (OEI-K) et de ses filiales « nationales » en Afghanistan. Les cellules clandestines de la vallée de Ferghana ou du Tadjikistan central (Karateguin, Gharm, Tavildara) envoient régulièrement des combattants à travers les cols pamiris en direction de l’Afghanistan. Une fois formés au djihad, ces mêmes combattants retournent dans leurs vallées d’origine équipés d’armes, de drogue et de littérature religieuse salafiste. La concussion étant généralisée, un nombre non négligeable de gouverneurs locaux et de chefs de brigades envoyés par Douchanbé loin de chez eux, mal payés et exposés au quotidien à des embuscades, finissent régulièrement par retourner leur veste et deviennent, grâce à leur formation militaire héritée de l’Armée rouge, la nouvelle élite militaire de l’OEI en Afghanistan ou en Syrie[6].
La présence depuis 1991 de la 201e Division de fusiliers motorisés (DFM) russe sur le Piandj, le fleuve frontière, n’y change rien, cette armée étant elle aussi rongée par la corruption et les trafics en tout genre.
Les convulsions régulières du Haut-Badakhchan depuis 1991
Le Haut-Badakhchan connaît donc régulièrement des convulsions régulières depuis 1991, dont voici les plus marquantes et les plus récentes :
– Les émeutes de juillet 2012 font suite à l’assassinat par égorgement du général Abdoullo Nazarov, le chef de la branche pamirie du GKNB[7] tadjik. Elles restent incontestablement les plus meurtrières depuis la guerre civile de 1992-1997. Les autorités déclarent qu’à l’occasion de ces émeutes environ 40 personnes ont été tuées. Cependant, selon d’autres sources indépendantes, il y aurait eu en réalité plus de 200 morts. Le gouvernement tadjik accuse alors le dirigeant local Tolib Ayombekov, un seigneur de guerre local et populaire, d’être responsable de l’attaque et lance une opération militaire contre son groupe armé. Ayembekov se réfugie alors en Afghanistan et fait des navettes entre la rive afghane du Piandj et les villages reculés du Haut-Badakhchan continuant à bénéficier auprès de la population locale d’une certaine popularité, car il est le principal pourvoyeur d’emploi sur place grâce aux trafics d’héroïne, d’armes et de pierres précieuses. En parallèle, il persiste à à nier son implication dans ces émeutes, réfutant les accusations portées par Douchanbé à son encontre. Au cours de cette opération militaire, le gouvernement envoie des centaines de militaires dans la région, qui y sont depuis restés malgré la rétivité de la population locale[8].
– Deux ans plus tard, en 2014, des émeutes éclatent de nouveau à Khorog, faisant au moins 4 morts et 6 blessés[9]. Puis, des scenarii identiques se répètent en 2018 et en 2020 : A chaque fois, un ou plusieurs habitants sont tués ou enlevés hors de tout cadre légal ; la population manifeste sa colère, au départ pacifiquement, puis se fait tirer dessus à balles réelles par les forces du maintien de l’ordre envoyées par Douchanbé ; les manifestations dégénèrent alors dans la violence dans les villages de la ou des victimes et à Khorog ; des bâtiments officiels sont incendiés et la troupe tire « au hasard » et massivement dans la foule, arrête, détient et torture (souvent jusqu’à la mort) des personnes prises « au hasard » dans la foule et sans cadre légal. Les obsèques suivantes refixent alors les prochains rendez-vous de la colère populaire[10]. Ainsi, se perpétuent désormais les cycles de convulsions chroniques que connaît depuis le Haut-Badakhchan, auxquelles la crise économique et sociale fournit le carburant de fond.
– En novembre 2021, à la suite du non-recevoir par Douchanbé d’une liste de revendications des manifestants (enquête sur le meurtre d’un résident local par la police, libération de militants des prisons, demande du limogeage du gouverneur du Haut-Badakhchan Alicher Mirzonabot et du maire de Khorog Rizo Nazarzoda, etc.), de violentes manifestations ont de nouveau lieu à Khorog, puis dans le reste de la région. Un habitant, Goulbiddin Ziiobekov, est notamment intentionnellement abattu par les forces du GKNB à Tavdem (district de Rochtkala)[11].
– La dernière convulsion du Haut-Badakhchan date de fin mai. Elle aurait fait deux morts (un civil pamiri et un policier) et vingt-et-un blessés, de source gouvernementale. Pour les Pamiris, le nombre de victimes serait de loin bien supérieur au bilan officiel[12]. Les manifestations ont été initialement suscitées par la colère à la suite de l’absence de réponse du pouvoir central aux revendications de la population exprimées lors des émeutes de novembre 2021. Les manifestations anti-gouvernementales ont débuté le 16 mai 2022 à Khorog, la capitale du Haut-Badakhchan. Les rassemblements se sont ensuite intensifiés et étendus à d’autres parties de la région après la mort d’un manifestant, abattu par la police le 16 mai 2022 à Rouchan, incitant les autorités à lancer ce qu’elles ont qualifié d’« opération anti-terroriste » deux jours plus tard. Les manifestations se sont achevées, comme à leur habitude, dans un bain de sang six jours plus tard[13]. Elles ont été notamment très violentes à Vamar, le chef-lieu du district de Rouchan[14].
L’escalade de la violence dans la région a été si préoccupante qu’elle a suscité un appel à la retenue de la part du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, des missions diplomatiques occidentales au Tadjikistan et des groupes de défense des droits de l’homme, tous appelant les parties en présence à faire preuve de retenue et à tout mettre en œuvre pour résoudre pacifiquement la situation actuelle. Human Rights Watch (HRW) a notamment exigé que « le gouvernement tadjik respecte strictement ses obligations de protéger les droits à la vie des personnes, ainsi que la liberté de réunion et d’information durant l’opération militaire ou de maintien de l’ordre dans la région autonome du Tadjikistan »[15].
Les responsables tadjiks affirment que l’ombre de Tolib Ayembekov continue de planer au-dessus de la révolte. Mais, c’est surtout son complice et ami, Mamadbokir Mamadbokirov, que la révolte de mai 2022 a mis en lumière[16].
Âgé de 59 ans, Mamadbokir Mamadbokirov était jusqu’à cette révolte un chef local au parcours comparable à celui d’Ayembekov et de la plupart des chefs pamiris. Il évoluait d’ailleurs dans son ombre, se livrant à divers trafics locaux et actes de rébellion contre Douchanbé. Il avait déjà été mis en garde par le gouvernement tadjik en 2018 avec Ayembekov et cinq autres dirigeants informels contre toute activité « criminelle »[17]. Dès décembre 2021, à la suite de la révolte du mois précédent à laquelle il avait participé de loin, il commence à se mettre en avant et à s’imposer comme nouveau chef charismatique informel des Pamiris dans leur lutte contre Douchanbé, à Khorog et dans le Haut-Badakhchan. Puis, en février 2022, il est formellement inculpé d’insulte et d’usage de la force contre un représentant du gouvernement, ainsi que d’incitation à la haine ethnique. Il a, lui aussi, toujours nié cette accusation, fabriquée de toutes pièces selon lui par Douchanbé[18].
Durant la révolte de mai 2022, il prend la tête des insurgés. Face à la dégradation de la situation, le 22 mai au matin, il fonde l’Armée de défense nationale (ADB), avant d’être abattu le même jour en soirée au cours de l’« opération spéciale anti-terroriste » des autorités tadjikes, assistées pour l’occasion de forces spéciales chinoises[19]. C’est un fait inédit dans l’histoire du Tadjikistan et de l’Asie centrale post-soviétique, car pour la première fois Pékin supplante Moscou dans sa propre sphère d’influence en intervenant directement dans les affaires locales et sans en référer à quiconque. En prenant le parti de Douchanbé contre la population locale, Pékin entend faire respecter ses principes cardinaux, devenus ceux de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), qui sont la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme et le séparatisme.
Mais, le combat des Pamiris était-il une révolte sociale ou un combat séparatiste ?
De la révolte sociale au combat séparatiste : l’évolution de la lutte du peuple pamiri
Dans ses communiqués officiels, le pouvoir central de Douchanbé qualifie depuis toujours de « terrorisme » l’affirmation de vues, d’idées et la mise en place d’actions par l’opposition – surtout si cette dernière est pamirie –, même lorsque celles-ci sont exprimées par des moyens pacifiques ou à l’étranger, et minimise toujours leur impact dans le pays. La mort de Mamadbokirov n’est donc pour le Président Emomali Rakhmon, au pouvoir depuis 1992, qu’un « règlement de comptes interne entre terroristes et groupes criminels mafieux »[20]. Ce qui n’est bien sûr pas l’avis des Pamiris sur place, notamment de ceux qui ont assisté à l’« opération spéciale anti-terroriste » gouvernementale appuyée des forces spéciales chinoises[21].
Le fossé d’incompréhensions réciproques n’a donc jamais été aussi béant entre le pouvoir central et la population locale pamirie qu’aujourd’hui. Déjà, ces derniers mois, Douchanbé avait accentué la pression sur les dirigeants informels locaux et d’autres personnalités du Haut-Badakhchan ; ce qui avait marqué un seuil supplémentaire dans la montée des tensions avec la population locale. Pour celle-ci, les chefs informels sont populaires, parce qu’ils sont du cru et fournissent par leurs divers trafics l’essentiel du peu d’emplois de la région que le pouvoir central est incapable de leur apporter. La population locale ne comprend pas également pourquoi les « criminels » sont systématiquement qualifiés de « terroristes », neutralisés ou lourdement condamnés lorsqu’ils sont pamiris et systématiquement amnistiés et blanchis lorsqu’ils sont tadjiks et proches du pouvoir central. Plus préoccupant, ces derniers temps des opérations d’arrestation et d’extradition de personnalités pamiries, d’abord des « criminels », puis des membres de l’intelligentsia pamirie exilés en Russie (journalistes, écrivains, réalisateurs, acteurs, sportifs, etc.) ont été menées – et se poursuivent – par le gouvernement russe à la demande du gouvernement tadjik[22].
Ainsi, un influent personnage pamiri, Amriddin Alovatchoyev a été extradé de Russie en janvier 2022 et condamné deux mois plus tard à 18 ans de prison pour prise d’otages. Les proches d’Alovatshoyev ont déclaré que ces accusations étaient sans fondement. Puis, le 13 mai 2022, Tchorchanbe Tchorchanbyev, un des meilleurs combattants mondiaux de MMA, très populaire au Haut-Badakhchan, a été condamné à 8 ans et 6 mois de prison pour avoir appelé au renversement du gouvernement de Douchanbé. Tchorchanbyev a toujours nié ces allégations. Il a été arrêté en décembre 2021 et expulsé de Russie et est actuellement en détention à Douchanbé. La journaliste Oulfatkhonim Mamadchoyeva, ex-épouse de Kholbach Kholbachyev – l’un des coorganisateurs de la révolte de mai 2022 avec Mamadbokirov – a été arrêtée à Douchanbé et transférée dans une prison de la capitale le 18 mai 2022, une semaine après son retour du Haut-Badakhchan. La veille de son arrestation, elle avait à Radio Ozodi, que toutes les accusations portées contre elle étaient sans fondement et qu’elle n’avait rien à voir avec les manifestations en cours au Pamir. Le 17 mai 2022, des sources de Radio Ozodi, ont rapporté que Douchanbé demandait encore l’extradition de plusieurs personnalités influentes de la communauté pamirie établies en Russie. Le même jour, le dernier media encore indépendant du Tadjikistan, Asia Plus, annonçait par avance la fin de sa couverture indépendante des événements au Haut-Badakhchan pour ne pas être contraint par Douchanbé à interrompre sa diffusion[23].
Les autorités tadjikes redoutent en effet plus que tout le séparatisme de plus en plus ouvertement affiché des Pamiris, même si jusqu’en mai dernier, il n’y a eu aucun appel public à l’indépendance de la part d’un groupe ou d’une personnalité éminente de la région autonome.
Pour le moment encore, selon un expert politique tadjik souhaitant rester anonyme pour des raisons de sécurité, la raison des tensions persistantes dans la région a plus à voir avec les « mauvaises politiques » du gouvernement qu’un désir d’indépendance ou de plus grande autonomie : « jusqu’à présent, les revendications officielles des manifestants se limitent aux problèmes d’anarchie policière. Le mouvement de contestation est plutôt de nature sociale et tous ses leaders prennent traditionnellement leurs distances avec l’opposition politique », a-t-il déclaré à Radio Ozodi. Cependant, il a averti que « si le gouvernement continue à recourir à des méthodes brutales, le mouvement se radicalisera à l’avenir ». L’analyste a ajouté que le gouvernement devrait également répondre aux plaintes des personnes mécontentes du fait que « tous les revenus des ressources naturelles de la province sont contrôlés par le gouvernement et que la région ne reçoit que des subventions minimes en retour »[24].
Certains Pamiris affirment que le pouvoir central ne fait pas confiance aux habitants du Haut-Badakhchan et ne les considère pas comme « égaux » aux autres Tadjiks, du fait de leurs spécificités linguistiques, culturelles et religieuses. Plus grave, du fait de l’islamisation montante au Tadjikistan, les Pamiris commencent à être considérés comme des hérétiques par certains Tadjiks parmi les plus radicalisés. Toujours selon ce même expert, « de nombreuses personnes dans la région pensent que les autorités [tadjikes]veulent que le territoire du Haut-Badakhchan fasse partie du Tadjikistan, mais pas ses habitants »[25].
En conséquence, la confiance des habitants de Khorog et du Haut-Badakhchan dans leurs autorités s’est rapidement dégradée. La plupart des Pamiris reste sceptique à propos des agissements du gouvernement de Douchanbé dans la région qui, d’après eux, ne représente pas leurs intérêts et ne doit donc pas être reconnu. En revanche, plus de confiance pourrait revenir si le gouvernement tadjik accédait à plus de demandes locales (démission des dirigeants locaux mis en place par Douchanbé, libération des personnes emprisonnées, restauration d’internet coupé depuis les émeutes de novembre 2021, etc.) et concédait plus d’autonomie à la région[26]. Pour la chaîne indépendante Telegram locale Pamir Daily News, un point de non-retour a été atteint et appelle désormais clairement les Pamiris à réclamer l’autonomie, voire l’indépendance[27]. Cet avis est partagé par le Congrès National des Pamiris à l’étranger, qui a publié le 23 avril 2022 un programme en 10 points alternatif à celui de Douchanbé, mais n‘appelant pas (encore) à la sécession avec le Tadjikistan :
« 1. Les participants sont unanimes sur le fait que la seule source du droit dans la République du Tadjikistan est le peuple. Aucun groupe de personnes n’a le droit de reproduire, d’appliquer ou de personnifier la loi dans son propre intérêt.
- L’impact systémique de la société civile en réponse à la violation flagrante des droits des citoyens sur le territoire du Haut-Badakhchan a eu un effet international tangible. Les participants sont profondément satisfaits du déroulement du travail intensif et productif des différentes plateformes nationales et professionnelles du Congrès, visant à l’interaction avec les médias mondiaux et les institutions internationales, y compris financières.
- La République du Tadjikistan est un sujet de droit international et est tenue d’adhérer aux principaux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, qui imposent à son gouvernement l’obligation de mettre en œuvre les normes de ces traités et d’empêcher leur violation. Il est tenu de prendre des mesures pour protéger les droits de l’homme contre les empiétements de particuliers ou d’autres autorités publiques. Le respect de ces obligations conventionnelles est la principale condition pour que le gouvernement ait accès aux institutions financières internationales occidentales, aux subventions, aux projets d’investissement, ainsi qu’aux préférences dans la mise en œuvre du commerce international.
- Les participants expriment leur profonde gratitude à tous les citoyens et mouvements du Tadjikistan qui ne sont pas restés à l’écart de l’arbitraire juridique en cours sur le territoire du Haut-Badakhchan. Le Congrès part d’une position de solidarité avec toutes les parties intéressées pour créer une société civile unifiée et durable au Tadjikistan, dépersonnaliser le pouvoir, contrer toutes les forces qui utilisent le pouvoir dans leur propre intérêt et répandre leurs institutions financières et leurs fonds illégaux dans les juridictions occidentales.
- Les participantes sont solidaires de la nécessité d’une voix féminine active dans la lutte contre les violations des droits de l’homme sur le territoire du Haut-Badakhchan et sont profondément convaincues que ce type de mobilisation et de consolidation de la société contribuera à long terme et donnera impulsion à une société civile inclusive de la République du Tadjikistan dans son ensemble. Par conséquent, le Congrès contribuera de toutes les manières possibles au développement et à la promotion des initiatives, organisations et mouvements de femmes.
- Nous nous félicitons de l’initiative visant à poursuivre le développement global du concept de développement intégré, stratégique et durable de l’autonomie du Haut-Badakhchan au Tadjikistan.
- Nous notons l’importance de l’émergence d’une nouvelle voix dotée d’une personnalité juridique internationale – une société civile de personnes originaires du Haut-Badakhchan à travers le monde et une diaspora autonome du Pamir, complice à part entière de la communauté tadjike et du dialogue, défendant les idéaux d’égalité, de justice et d’égalité des droits. La diaspora du Pamir, en tant que voix des minorités linguistiques, religieuses et des peuples indigènes du Haut-Badakhchan, réagira à l’oppression des droits de ses compatriotes, tant sous ce gouvernement que dans le futur.
- Nous convenons que le mépris continu des autorités tadjikes vis-à-vis des exigences de la société civile en matière de respect des droits de l’homme devrait avoir des conséquences sous la forme de sanctions internationales ponctuelles à l’encontre des décideurs.
- En cas d’impunité persistante pour les responsables de violations des droits de l’homme, les participants au Congrès envisageront sérieusement la possibilité de mettre en place un mécanisme de tribunal populaire avec la participation d’experts nationaux et internationaux afin de documenter, d’évaluer et de juger les violations systématiques et flagrantes des droits de l’homme et fournir au public de la République du Tadjikistan et à la communauté internationale la preuve que des crimes internationaux ont été commis conformément au droit pénal international.
- Le Congrès, en coopération avec des partenaires nationaux et internationaux, mettra tout en œuvre pour atteindre les objectifs fixés[28]. »
Quelques jours plus tard, le 4 mai 2022, l’Opposition tadjike unie (OTU), en théorie désarmée et en sommeil depuis 1997, entend reformer une alliance militaire commune avec des déçus du régime pour renverser le pouvoir à Douchanbé : « L’opposition tadjike entend utiliser des méthodes non seulement politiques mais aussi militaires pour atteindre son objectif : renverser le régime du Président Emomali Rakhmon. Cela a été annoncé lors d’une conversation téléphonique il y a quelques minutes par un représentant de la [nouvelle] branche militaire de l’opposition, qui a demandé à être appelé Oumar. Selon lui, « la décision de passer aux méthodes militaires a été prise le 4 mai par un groupe de partisans de l’opposition qui comprennent la futilité et l’efficacité insuffisante des méthodes de lutte exclusivement politiques ». Selon le représentant de la région du Tadjikistan oriental, des accords de principe ont déjà été conclus sur l’interaction entre certains anciens commandants de l’OTU et du Front populaire [parti au pouvoir], qui sont conscients de la nécessité de changements systémiques au Tadjikistan ». Une déclaration politique et un programme de la branche militaire de l’opposition tadjike seront rendus publics d’ici la fin mai, a promis le représentant de la région du Tadjikistan oriental ».
Par la suite l’OTU a précisé son attitude antirusse et antichinoise, tandis que Moukhiddin Kabiri, le chef du Parti de la Renaissance islamique du Tadjikistan, en exil, a précisé n’avoir aucun lien avec cette nouvelle OTU armée, mais comprendre les raisons de son retour à l’action violente[29].
Selon Edward Lemon, chercheur à l’Université A&M du Texas et expert de l’Asie centrale, les autorités tadjikes devraient cesser d’utiliser la violence contre les manifestants pacifiques et arrêter les attaques contre les médias indépendants qui tentent de couvrir les événements dans la région. « Le gouvernement devrait être tolérant envers la société civile locale, en tenant compte des leaders d’opinion et des réseaux de soutien, plutôt que d’essayer de les éliminer et d’imposer uniquement le règne d’un seul homme », a-t-il déclaré, tout en ne croyant pas que le gouvernement de Douchanbé prendra des mesures pour désamorcer les tensions ; il pense au contraire qu’il intensifiera plutôt sa répression contre les Pamiris[30].
La désespérance est telle dans la population locale que les lignes commencent désormais à bouger au Haut-Badakhchan. La révolte de mai 2022 n’aurait pu être qu’une métastase de celle de novembre 2021 et des précédentes, si l’Armée de défense nationale (ADB) n’avait pas été créée à son issue[31]. Cette armée, pour l’instant dans l’ombre, n’a pas encore joué un grand rôle dans la région. Mais, associée au martyrologue de son fondateur, elle profite déjà localement d’une popularité indéniable[32]. La succession de Mamadbokirov est donc assurée. Nul ne sait et ne saura jamais si son combat initial était social ou indépendantiste. Toujours est-il que la révolte de mai 2022 a créé un point de bascule et de non-retour chez les Pamiris. Avec cette armée, leur prochaine révolte sera fatalement indépendantiste et n’aura pas d’autre alternative que la guérilla pour tenter de parvenir à ses fins[33]. Elle trouvera bien entendu en face d’elle l’armée tadjike, mais aussi l’armée chinoise, laquelle, profitant de l’effacement progressif de l’armée russe en Asie centrale, entend désormais jouer un rôle de premier plan d’influence dans le Haut-Badakhchan frontalier.
L’effacement progressif de la Russie et son remplacement par la Chine au Haut-Badakhchan : vers une nouvelle donne du Grand jeu géopolitique régional
Depuis de son indépendance en 1991, la Russie restait la principale puissance tutélaire du Tadjikistan. La 201e DFM est d’ailleurs stationnée le long du le fleuve frontière, le Piandj, depuis le retrait soviétique d’Afghanistan et Moscou a conservé la base militaire d’Aïni, à Douchanbé, héritée de l’époque soviétique[34]. Pendant la guerre civile, la Russie a toujours été du côté des ex-communistes – d’abord de Khodjent puis de Kouliab – dans le conflit qui les a opposés aux islamistes de Gharm et aux autonomistes pamiris. Cependant, elle a été à l’origine des Accords de Moscou mettant fin en 1997 à plus de cinq ans de guerre civile et aboutissant à un partage – jusqu’en 2015 – du pouvoir politique avec l’opposition. La Russie continue d’autre part à former l’armée tadjike et le pays est naturellement devenu membre de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), puis de l’OCS, dès leur création. Le Tadjikistan demeurait donc, jusqu’à il y a peu de temps encore, un pays d’une grande importance stratégique pour Moscou, un balcon exclusif d’où il pouvait observer l’évolution inquiétante de la situation dans l’Afghanistan voisin et protéger l’ensemble de l’Asie centrale[35].
Or, l’entrée du Tadjikistan dans l’OCS a fini par ouvrir le pays à la Chine. Depuis, Pékin s’impose peu à peu en lieu et place de Moscou, qui s’efface progressivement, faute de moyens financiers et matériels suffisants et ne pouvant plus rivaliser depuis 2012 avec le gigantesque projet économique chinois des « Nouvelles routes de la soie »[36]. Entre 2001 et 2015, l’influence de Pékin était exclusivement économique. Puis, elle est devenue militaire avec l’ouverture de bases chinoises au Haut-Badakhchan. Partout, grâce à des moyens financiers colossaux, la Chine comble petit à petit l’effacement de la Russie. Pour autant, le partenariat russo-chinois ne se trouve pas affecté par ce basculement des influences. Moscou se résigne à cette situation et d’un commun accord avec Pékin semble partager sa sphère d’influence militaire au sein de l’OCS : la Russie priorisera son action pour l’OCS en Europe orientale et dans le Caucase ; la Chine s’implantera, elle, progressivement en Asie centrale[37].
Depuis 2001, grâce aux investissements chinois, le Tadjikistan a vu une partie de son réseau routier être rénovée ; un nouveau Parlement a même été construit par la Chine. Cependant, les nouveaux investissements de Pékin ont presque exclusivement profité au clan de Kouliab au pouvoir et accru la corruption. La population locale en a été complètement écartée, ces grands travaux étant réalisés par de la main d’œuvre chinoise, notamment des prisonniers politiques chinois amenés au Tadjikistan.
Ce phénomène a été encore plus criant au Haut-Badakhchan. La réfection de la route reliant Mourghab à la Chine n’a non seulement pas profité à la population locale, écartée du développement économique, mais, elle a facilité la rapidité d’intervention des véhicules militaires, donc de la répression des autorités centrales ; elle a permis de surcroît à la Chine d’établir une base militaire à Mourghab et d’en envisager une seconde à Iskachim. D’autre part, depuis 2018, des patrouilles volantes de militaires chinois, à la recherche de djihadistes ouïghours de retour d’Afghanistan, ont régulièrement lieu en territoire tadjik (Mourghab) et dans le Wakhan afghan, à plus de 150 km de la frontière chinoise[38] ; ce qui laisse planer le sentiment d’une perte de la souveraineté nationale parmi la population locale.
D’autant plus que la Chine nourrit par ailleurs des revendications territoriales au Tadjikistan, souhaitant effacer à son profit le Traité inégal de 1881 que l’Empire russe lui avait, en son temps imposé. Ainsi, en 2011, le Tadjikistan a ratifié un traité signé en 1999, cédant 1 000 km² de terres à la Chine dans le Haut-Badakhchan, mettant fin à un litige frontalier vieux de 130 ans (Pékin réclame toutefois encore 28 000 km² de terres au Tadjikistan)[39].
La Chine s’est donc implantée en douceur au Tadjikistan. L’invasion de l’Ukraine par la Russie depuis février 2022 parachève, semble-t-il, cette avancée chinoise sans retour en arrière possible. La révolte de mai 2022 la met pour la première fois en lumière : manifestement à court de moyens et empêtrée dans le dossier ukrainien, la Russie a suivi, sans bouger, la révolte. Deux hypothèses pouvaient alors expliquer l’immobilisme russe :
– Moscou soutenait tacitement les révoltés et souhaitait changer le régime autoritaire de Douchanbé, à l’assise devenue trop clanique et familiale et qui avait profité du mouvement de condamnation internationale de la Russie dans le conflit ukrainien pour se rapprocher discrètement des États-Unis[40]. Moscou n’a pas encore d’« État gelé »[41] en Asie centrale[42], contrairement à l’Europe orientale (Transnistrie, « États » autoproclamés de l’est-ukrainien) et au Caucase (« États » autoproclamés nord-géorgiens », Artsakh). Le Haut-Badakhchan, parce que depuis toujours plus russifié et russophile, serait donc parfait pour Moscou pour devenir le premier en Asie centrale. Grâce à cet « État gelé », la Russie pourrait ainsi tenir l’Asie centrale et l’éviter de basculer dans le camp turc ou occidental. Les Pamiris sont certes très peu nombreux face aux Tadjiks, mais leur fine connaissance du terrain, leur maîtrise du combat de guérilla et leur esprit de résistance resté légendaire à travers l’Histoire sont des atouts indéniables pour tenir tête au pouvoir central de Douchanbé. En cela, les Pamiris tiendraient en Asie centrale une position équivalente à celle des Artsakhiotes (Haut-Karabakh) face aux Azéris dans le Caucase. Ils finiraient alors, comme eux, par demander la protection russe pour se défendre de populations plus nombreuses.
– Les Pamiris seraient en ce moment retournés par l’Agha Khan avec l’Occident derrière lui (les services de renseignement russes reprochent à l’Agha Khan des relations étroites avec les services secrets britanniques)[43]. Les Russes, se considérant déstabilisés par l’Occident dans l’affaire ukrainienne, appuieraient alors Douchanbé, mettant fin à tout contact du gouvernement tadjik avec les États-Unis. Moscou aurait pu envisager, dans cette option, d’intervenir, seul ou dans le cadre de l’OTSC, pour assurer la sécurité régionale en mettant fin aux ingérences étrangères dans le Haut-Badakhchan. Cependant, l’invasion de l’Ukraine mobilise son armée sur le front ukrainien et ne lui permet plus de dégager des hommes et des moyens supplémentaires dans le Pamir. Placée entre le marteau et l’enclume, la Russie aurait choisi l’attentisme pour ne pas casser, d’une part son alliance traditionnelle avec Douchanbé, et, d’autre part ne pas mécontenter la population pamirie, nombreuse et influente en Russie.
Cette deuxième hypothèse semble prendre corps depuis le 22 mai dernier… mais reprise à son compte par Pékin en lieu et place de Moscou et sans lui en avoir préalablement référé ; ce qui laisse courir les suppositions les plus folles : Pourquoi la Russie n’est-elle pas intervenue ? Elle disposait pourtant à Khorog de la 201e DFM[44] et le SVR avait déjà publié le 30 mars 2022 un rapport – dont Vladimir Poutine disposerait d’une copie – annonçant la déstabilisation programmée du Haut-Badakhchan par des « agents extérieurs, les talibans » et la nécessité d’une intervention de Moscou pour sa sécurisation. Pourquoi cette inaction russe ?[45]Trop occupée et engagée en Ukraine, la Russie déciderait-elle d’abandonner l’Asie centrale à la Chine ? Serait-ce alors convenu d’un commun accord tacite entre Moscou et Pékin ? Ou Pékin profiterait-il simplement du vide laissé par Moscou pour intervenir et réprimer toute agitation sur place ? Il est évident qu’en d’autres temps la Russie serait directement intervenue dans son « pré carré » pour « faire le travail » sans en référer à quiconque.
Autre élément enfin, et non des moindres, la persistance des trafics de drogues, d’armes et de pierres précieuses et la criminalité organisée locale – comme celle en provenance d’Afghanistan – opacifient encore plus la situation, empêchant d’y percevoir la vision d’avenir des camps en présence[46].
*
La situation au Haut-Badakhchan reste très délétère et se résume très bien par le terme de « terroristes » ostensiblement mis en avant par le pouvoir central de Douchanbé pour qualifier toute opposition politique. Mais, qui se cache exactement vraiment derrière ce terme ? Des opposants chiites pamiris pacifiques ou violents ? Des islamistes tadjiks de passage entre le nord de l’Afghanistan, les vallées du Tadjikistan central et la vallée de Ferghana ? Des talibans afghans et leurs alliés « tadjiks » d’Ansaroullah ? Des groupes franchisés de l’OEI-K (Mouvement islamiste du Turkestan, Mouvement islamiste du Turkestan oriental, Djound al-Khalifat., etc.), eux aussi de passage ? Des réseaux criminels se livrant à tous les trafics entre « zones grises » [47], profitant de la vénalité des gouverneurs et des commandants locaux mis en place au Haut-Badakhchan par Douchanbé ?
Désormais, une nouvelle page d’histoire semble s’ouvrir au Haut-Badakhchan, dans laquelle la Chine supplante peu à peu politiquement, économiquement et militairement une Russie qui lui devient de plus en plus inféodée. Quant à l’Agha Khan, il peut continuer à compter sur le soutien inconditionnel de la population locale et à demeurer sur place un des vecteurs de la présence occidentale par ses actions caritatives, ses projets de reconstruction, et surtout la très bonne aura dont profite son réseau universitaire d’orientation anglophone, notamment. A Khorog et dans d’autres zones montagneuses d’Asie centrale (Naryn, Tekeli)[48]. Le changement récent de la donne régionale au Haut-Badakhchan forcera donc inéluctablement la nouvelle ADB à trouver ses soutiens parmi les puissances régionales. Ils seront sans doute probablement occidentaux.
Enfin, la situation au Haut-Badakhchan restera très dépendante de celle du Badakhchan afghan, tout aussi volatile, tenue par les talibans. Cependant, de nombreuses poches de résistance persistent. Il y a celles de l’OEI-K et de ses « franchises nationales ». L’une d’entre elles, la « tadjike » Ansaroullah a été récemment retournée par les talibans qui souhaiteraient s’en servir pour faire pression, par des incursions en territoire tadjik, sur Rakhmon pour l’obliger à infléchir sa politique d’intransigeance vis-à-vis de Kaboul. Il y a encore les mouvements afghans de résistance nationale, eux aussi divisés. Le Front national de la résistance, dirigé par Ahmad Shah Massoud, le fils du Commandant Massoud, prend de plus en plus une inclinaison pro-occidentale. La Russie, un temps à l’écoute des talibans à Kaboul, sans pour autant les reconnaître, forme et arme désormais un autre mouvement de résistance concurrent[49]. Quant à la Chine, elle privilégie en Afghanistan un dialogue permanent, empreint de pragmatisme, avec l’ensemble des belligérants du pays et la non-ingérence dans les affaires internes[50], à l’exception du corridor du Wakhan, où comme au Tadjikistan, Pékin a installé une base pour arrêter les djihadistes ouïghours de retour d’Afghanistan et du Pakistan. L’idée chinoise est à long terme de mettre la main sur les richesses minières du Haut-Badakhchan et d’y accroître petit à petit son influence.
De très nombreuses inconnus demeurent donc quant à ce que sera l’avenir, forcément en ébullition, du Haut-Badakhchan et du peuple pamiri dans ce Grand jeu régional qui les dépasse et les exclut.
[1] https://www.novastan.org/fr/tadjikistan/le-tadjikistan-berceau-des-ismaeliens
[2] Gaüzere David, « Le Tadjikistan : Un avant-poste stratégique convoité de l’Organisation de coopération de Shanghai en Asie centrale », in Chabal Pierre (dir.), L’Organisation de Coopération de Shanghai et la construction de la « nouvelle Asie », Ed. P.I.E. Peter Lang, Coll. Enjeux Internationaux, Bruxelles, 2016, p. 206.
[3] C’est l’action déterminante de ravitaillement de l’Agha Khan depuis l’Afghanistan qui a pu éviter une famine généralisée pendant la guerre civile,
https://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/analyses-iris/2012-07-pamir-rene-cagnat.pdf
[4] Le Haut-Badakhchan regorge notamment d’une multitude de pierres précieuses, dont le rubis, le saphir et le lapis-lazuli.
[5] Gaüzere David & Nomine Yoann, Le chaudron vert de l’islam centrasiatique : Vers un retour des ethnies combattantes en Asie centrale post-soviétique, L’Harmattan, Coll. Diplomatie et stratégie, 2020, pp. 113-115.
[6] L’agence de presse Fergana, composée de journalistes indépendants basés à Moscou et disposant de relais médiatiques en Asie centrale post-soviétique et en Afghanistan, dément depuis janvier 2019 la mort du colonel Goulmorod Khalimov, ministre de la Guerre de l’OEI en Syrie-Irak depuis 2015 et auparavant ancien chef des OMON (forces spéciales) de la police du Tadjikistan. Se fondant sur le témoignage d’un informateur basé dans le Badakhchan afghan, Khalimov se serait trouvé en janvier 2019 dans la ville de Moundjon, dans le Badakhchan afghan (à 80 km de la frontière tadjike), commandant un groupe de « quelques dizaines d’hommes » (sic) pour l’OEI, dont certains seraient revenus de Syrie, ainsi que quinze membres du commando Alpha (commando des opérations spéciales tadjik) récemment « retournés » et passés au service de Khalimov ; ce qui en dit long sur la versatilité des commandants militaires tadjiks (https://fergana.agency/news/104222).
[7] Initiales russes de Gossoudarstvennyï Komitet dlia Natsional’noï Bezopasnosti, soit Comité de sécurité nationale d’État (ici, organe de sécurité et de renseignement de la République du Tadjikistan).
[8] http://ria.ru/trend/forces_raid_Tajikistan_24072012
https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-terrorist-protest/31856994.html
[9] https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-terrorist-protest/31856994.html
[10] https://eurasianet.org/explainer-why-tajikistans-pamiris-dont-trust-their-government
[11] https://novastan.org/fr/tadjikistan/tadjikistan-morts-et-blesses-lors-de-manifestations-dans-le-haut-badakhchan. Des contacts sur place à Khorog ont fait état auprès de Radio Ozodi, l’antenne tadjik de Radio Free Europe/Radio Liberty, de 21 morts au total. D’autres sources locales à Rouchan ont évoqué 46 morts pour seulement Rouchan.
https://novastan.org/fr/tadjikistan/tadjikistan-des-dizaines-de-personnes-tuees-dans-le-haut-badakhchan . Pamir Daily News dresse quant à elle la liste des victimes de chaque convulsion depuis 2012 – https://t.me/pamirdailynews/606
[12] https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-terrorist-protest/31856994.html
[13] https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-leader-killed/31863411.html
[14] La journaliste Anora Sarkorova, qui a été depuis interdite par les autorités tadjikes de continuer à exercer sa profession et qui reste presque la seule source d’information sur place, rapporte les mots de l’un des habitants : « Vamar est comme Boutcha [lieu de massacres et d’exécutions sommaires en Ukraine en mars 2022]. Il y a des cadavres partout. Ils cherchent des gens. Ils sont emmenés aux postes de police et au GKNB pour être interrogés et battus à mort ».
https://www.svoboda.org/a/zemlya-nad-oblakami-oljga-abramenko—o-nasilii-na-pamire/31865361.html
[15] https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-leader-killed/31863411.html
https://fergana.media/news/126209/
[16] https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-terrorist-protest/31856994.html
[17] https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-terrorist-protest/31856994.html
https://www.rferl.org/a/31687046.html
[18] https://rus.ozodi.org/a/31868612.html
https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-terrorist-protest/31856994.html. Il avait notamment tenu le 21 décembre 2021 à Khorog un discours resté célèbre appelant la population locale à la résistance : « vous avez tous vu ce qu’ils faisaient ici ces jours-ci, les corps de nos jeunes frères étaient ici. Je vous le conjure ! Pas un pas en arrière ! Que vingt d’entre nous soient tués, pour que nos enfants ne deviennent pas leurs esclaves ! Malheureux est le père dont on dit à son fils que « ton père est un traître ». Nos enfants ne doivent pas se moquer de nous ! Ils ne doivent pas devenir esclaves ! Peu importe qui ils envoient ici ! Tout cela est mensonger ! Nous les avons tous vus durant ces trois jours ! Nous n’avons pas peur d’eux ! » (https://t.me/pamirdailynews/254).
[19] https://t.me/pamirdailynews/804 + https://t.me/pamirdailynews/806
https://t.me/pamirdailynews/808
[20] https://www.rferl.org/a/31687046.html
[21] https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-terrorist-protest/31856994.html
[22] https://www.rferl.org/a/tajikistan-critics-missing-russia-disappearances/31297966.html
[23] https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-terrorist-protest/31856994.html
https://fergana.media/news/126182/
https://www.hrw.org/news/2022/05/18/tajikistan-tensions-escalating-autonomous-region
https://t.me/anserenko/3762 + https://rus.ozodi.org/a/31873627.html
[24] https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-terrorist-protest/31856994.html
[25] https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-terrorist-protest/31856994.html.
D’après Pamir Daily News, les autorités tadjikes auraient par ailleurs ordonné le 26 mai 2022 que « tous les natifs de Haut-Badakhchan servant dans les forces armées du Tadjikistan et d’autres structures de pouvoir de la république soient désarmés à titre temporaire ». D’après la même source, « un tel ordre serait lié au fait que les événements du Haut-Badakhchan, notamment la tuerie de masse de Rouchan et la terreur sur les habitants de Khorog, pourraient inciter les militaires du Pamir à utiliser les armes contre leurs collègues tadjiks ». En outre, tous les résidents du Haut-Badakhchan qui ont tenté d’entrer au Tadjikistan par l’aéroport de Douchanbé ces derniers jours subissent de lourdes tracasseries administratives ou sont arbitrairement détenus à leur arrivée (https://t.me/pamirdailynews/837 + https://t.me/pamirdailynews/765).
[26] https://rus.azattyk.org/a/31854069.html
https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-terrorist-protest/31856994.html
[27] « Le Haut-Badakhchan n’est pas le gendre du Tadjikistan : son peuple mérite une vie digne et libre », https://t.me/pamirdailynews/622
[28] https://t.me/pamirdailynews/617 + https://t.me/pamirdailynews/618
[29] https://t.me/anserenko/4139 + https://t.me/anserenko/4149 + https://t.me/anserenko/4454 + https://t.me/anserenko/4199. Certains hauts responsables politiques et militaires tadjiks, jusque-là proches du Président Rakhmon, voient de plus en plus d’un très mauvais œil la captation des richesses du pays par la seule famille présidentielle et surtout la mise en place de la transition dynastique du pouvoir d’Emomali Rakhmon à son fil aîné Roustam, sur le modèle du Turkménistan.
[30] https://www.rferl.org/a/tajikistan-gorno-badakhshan-terrorist-protest/31856994.html
[31] Déclaration de création de l’ADB : « La décision a été prise de créer l’ADB, a déclaré ce matin l’un des abonnés de la chaîne Telegram d’Andreï Serenko, soulignant que cette décision a été prise le 20 mai et est « une réaction aux dernières actions répressives du forces de sécurité du gouvernement du Tadjikistan contre des civils dans le Haut-Badakhchan ». Selon la source, « il y a des gens sérieux derrière le projet de l’ADB qui ne jetteront pas les mots au vent, contrairement aux différentes branches militaires de l’opposition » : « La branche militaire de l’opposition, si elle existe, de bien sûr, peut aller se battre avec le régime d’Emomali Rakhmon jusqu’au dernier Pamiri. Nous adoptons une ligne complètement différente et avons l’intention de protéger réellement le Pamir, ses habitants, de tout ennemi. La source a déclaré que « la sélection des volontaires pour l’ADB a déjà commencé ». « Des négociations sont également en cours avec des dirigeants chiites faisant autorité en dehors du Tadjikistan, en particulier, en Irak. L’idée de l’ADB trouve de plus en plus sympathisants de la communauté chiite internationale, sur qui nous pouvons déjà certainement compter ». Selon la source, « en plus de l’ADB, il a été décidé de créer un tribunal spécial pour punir les crimes de guerre des forces de sécurité tadjikes qui ont pris part à l’opération punitive contre la population du Haut-Badakhchan : « Nous allons adhérer aux tactiques et aux pratiques du Mossad – rechercher des criminels, les trouver et les punir, même si cela prendra 50 ans pour une telle recherche ». La source a déclaré que « dans un proche avenir, l’ADB ferait des déclarations pertinentes via ses propres canaux d’information » (https://t.me/anserenko/4414). La source locale d’Andreï Serenko a souligné que le projet de l’ADB n’a aucun caractère religieux : « nous sommes tous des patriotes du Pamir, des patriotes du GB, sans division en sunnites, chiites, ismaéliens. Nous apprécions grandement les manifestations de solidarité avec le peuple du Pamir du nos frères chiites en Irak, en Iran, au Liban, en Afghanistan et en Syrie, mais nous sommes avant tout des Badakhshanis. Actuellement, le processus de formation des structures organisationnelles de l’ADB est en cours. Un groupe spécial élabore une charte, des documents organisationnels et le texte du serment. Un quartier-qénéral est en cours de création avec tout le nécessaire. Une attention particulière est portée au Service de renseignement et de sécurité (SRS) Nous comprenons dans quelles conditions nous devrons agir, aussi l’efficacité du SRS revêt une importance particulière » (https://t.me/anserenko/4501).
[32] L’ADB entend poursuivre ses actions à l’avenir de manière clandestine et par des actes de guérilla (escarmouches, guet-apens, sabotages). Elle semble également bénéficier de soutiens de proches de l’Agha Khan, même si ce dernier ne la cautionne pas. Mamadbokirov a désormais l’image d’un martyr, surtout présente parmi les fidèles de l’Agha Khan. Pour Douchanbé, il est un « terroriste » ou un « narco-criminel ». Pour ses partisans et apparemment une grande partie de la population pamirie, une icône. Une légende locale complète déjà sa mort en « héros ». Il aurait, selon des proches, connu quelques minutes d’agonie avant de mourir, au cours desquelles il aurait prononcé ces mots « toujours avancer, ne jamais reculer » (https://t.me/pamirdailynews/809). Il est donc devenu un martyr dans l’iconographie chiite locale et bénéficiera à ce titre d’un mausolée, lieu de pèlerinage, sans doute très fréquenté (https://t.me/pamirdailynews/818).
[33] Interrogé par Viktoriia Panfilova journaliste de terrain pour la Nezasivimaia Gazeta, Aleksandr Kniazev, professeur à l’Université d’État de Saint-Pétersbourg (Russie) et expert de l’Asie centrale et du Moyen-Orient, note que « si Douchanbé allait trop loin, il y aurait un sérieux foyer de tension. Il existe un projet de création d’un État ismaélien et les choses peuvent aller jusque-là si les Pamiris sont complètement déçus de leurs espoirs d’améliorer les relations avec le centre. Les ismaéliens sont l’un des courants de l’islam chiite, les centres spirituels du mouvement sont situés hors du Tadjikistan et une importante communauté vit dans le Pamir. Le projet [ismaélien] implique l’unification de toutes les communautés ismaéliennes voisines au Pakistan, en Afghanistan, au Tadjikistan et même en Chine. Une telle « opération anti-terroriste » [de Douchanbé] pourrait déclencher une nouvelle tendance. Sans aucun doute, le gouvernement central supprimera l’indépendance du Haut-Badakhchan, mais cela pourra provoquer des sentiments plus radicaux, créer un centre de conflit sérieux, dans lequel pourraient être impliquées les forces d’Afghanistan, du Pakistan, de Chine, plus précisément, des régions où vivent les ismaéliens ». À son avis, si le conflit s’intensifie, les groupes radicaux situés sur le territoire afghan, poursuivant leurs propres objectifs, pourront aussi profiter de la situation. Il sera alors possible de parler de l’ouverture d’un deuxième front pour la Russie (https://www.ng.ru/cis/2022-05-18/1_8438_pamir.html).
[34] L’Inde dispose depuis 2011 d’un détachement de 180 aviateurs sur la base tadjike d’Aïni, dont elle partage la location avec la Russie, afin d’assurer une aide militaire précieuse au Tadjikistan. New Delhi et Douchanbé éprouvent notamment une aversion commune pour l’ennemi djihadiste afghan, manipulé selon eux par le Pakistan (http://www.ng.ru/cis/2015-07-14/7_india.html).
[35] Le Colonel (er) René Cagnat parle de « forteresse naturelle, équipée même d’un donjon (le Pic Somoni, culminant à 7 495 mètres d’altitude) » d’où les différents plateaux d’altitude de la province (3 000-4 000 mètres d’altitude), qualifiés de « places d’armes » peuvent être observés (https://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/analyses-iris/2012-07-pamir-rene-cagnat.pdf).
[36] Véritable doctrine politico-économico-militaire de Pékin depuis 2013, les Nouvelles routes de la soie visent à moderniser à la fois un ensemble de liaisons maritimes et de voies ferrées entre la Chine et l’Europe. Elles ont pour but d’améliorer la connectivité ferroviaire et de favoriser une stratégie de développement pour promouvoir la coopération entre les pays sur une vaste bande s’étendant à travers l’Eurasie, et pour renforcer la position de la Chine sur le plan mondial, par exemple en préservant la connexion de la Chine avec le reste du monde en cas de tensions militaires sur ses zones côtières.
[37] Chabal Pierre (Dir.), L’Organisation de Coopération de Shanghai et la construction de la « nouvelle Asie », Ed. P.I.E. Peter Lang, Coll. Enjeux Internationaux, Bruxelles, 2016, 492 p.
[38] Pékin dément depuis toujours cette présence, mais les gouvernements tadjik et afghan, ainsi que les locaux l’attestent (https://eurasianet.org/china-denies-plans-to-build-military-base-on-afghan-tajik-border + http://www.fergananews.com/articles/9788).
[39] https://www.bbc.com/news/world-asia-pacific-12180567
[40] L’Ambassadeur américain au Tadjikistan a notamment déclaré lors d’une conférence de presse à Douchanbé le 10 mai 2022 que « Washington fournira plus de 60 millions de dollars au Tadjikistan pour sa sécurité au cours des deux prochaines années. Dans le cadre de cette assistance, le gouvernement américain fournira au Tadjikistan des drones de reconnaissance Puma pour surveiller l’espace aérien du pays dans les zones frontalières » (https://rus.azattyq.org/a/31845727.html). La tournée américaine du secrétaire d’État adjoint aux Affaires d’Asie du Sud et centrale,Donald Lu, accompagné d’une délégation importante en Asie centrale (dans les quatre États les plus pro-russes) dix jours plus tard, ne doit rien au hasard et confirme le regain d’intérêt des États-Unis pour l’Asie centrale depuis l’invasion russe de l’Ukraine en février dernier, d’autant que la visite de Donald Lu se veut être axée sur le renforcement des coopérations économiques et militaires (sécuritaires) stratégiques entre Washington, Nour-Soultan, Bichkek, Tachkent et Douchanbé, https://www.stl.news/us-state-department-donald-lus-travel-to-central-asia/521802
[41] Un « État gelé » est une zone indépendante de facto, mais non reconnue de jure par la communauté internationale.
[42] Le 17 mars 2022, la Russie envisageait d’ouvrir un consulat honoraire à Khorog (https://t.me/pamirdailynews/587).
[43] https://www.reddit.com/r/ismailis/comments/rz1zyj/why_is_russian_foreign_intelligence_attacking_aga . La proximité de l’Agha Khan avec les autorités britanniques n’est pas nouvelle. L’Université d’Asie centrale et des ONG caritatives locales promeuvent depuis 1991 un enseignement universitaire de haut niveau international et des actions éducatives de développement local en langue anglaise à destination des zones montagneuses enclavées d’Asie centrale. En 2018, cette proximité est réapparue par une certaine activité britannique sur le Piandj depuis l’Afghanistan, concrétisée par le renforcement avec 400 hommes du contingent britannique dans le nord de l‘Afghanistan, la construction de ponts frontaliers depuis le côté afghan, et par plusieurs cérémonies officielles en présence de l’Agha Khan et en l’absence spectaculaire d’autorités tadjikes de premier ordre (https://en.trend.az/casia/tajikistan/2927186.html). L’un de ces ponts transfrontaliers, celui de Khorog, a été victime d’une explosion le 29 mai 2022, un acte de sabotage perpétré par les militaires tadjiks selon la population locale (https://t.me/anserenko/4488).
[44] Certains experts russes, tel Andreï Serenko, directeur du Centre d’analyse de la société russe des politologues et du centre d’étude de la politique afghane, parlent du départ précipité d’une partie des 7 000 hommes de la 201e DFM en Ukraine et de la vulnérabilité de la frontière tadjiko-afghane (https://news.ru/cis/novye-argumenty-vlasti-tadzhikistana-dozhdalis-opponentov-s-oruzhiem-v-rukah), lorsque d’autres démentent (Aleksandr Kniazev, https://t.me/orientalreviewAK/1122 ) . Cela expliquerait le cauchemar chinois de voir, à juste titre, une renaissance et une coalition des oppositions tadjikes et afghanes.
[45] https://cabar.asia/ru/rol-rossii-na-pamire-igrok-ili-nablyudatel?_utl_t=fb&fbclid=IwAR3Q8bxCIteqjMlZa7c65eNzJG8eA7Z-2Tr1HGWiVuO01kgxWjzTq4F1G38. La porte-parole russe des Affaires étrangères Maria Zakharova a simplement condamné le 18 mais 2022 les désordres en cours au Haut-Badakhchan et a mollement réaffirmé son soutien à Douchanbé dans le rétablissement de l’ordre dans la région (https://ria.ru/20220518/obostrenie-1789319255.html).
[46] https://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/analyses-iris/2012-07-pamir-rene-cagnat.pdf. Les termes russes de tret’ia sila (la troisième force) traduisent et résument pudiquement ce maelstrom poreux et volatile où convergent islamisme, narcotrafic et criminalité organisée. Cf. Gaüzere David & Nomine Yoann, Le chaudron vert de l’islam centrasiatique : Vers un retour des ethnies combattantes en Asie centrale post-soviétique, L’Harmattan, coll. Diplomatie et stratégie, 2020, p. 117.
[47] Zone échappant à l’état de droit.
[48] Cf. le site de la Fondation de l’Agha Khan Development Network, https://www.akdn.org/fr/front
https://novastan.org/fr/tadjikistan/comment-la-fondation-aga-khan-tente-de-se-maintenir-au-tadjikistan. Nous saluons l’attitude responsable et conciliante de l’Agha Khan, appelant en tant que responsable religieux le 19 mai 2022 la population pamirie à se tenir hors du conflit et à ne penser qu’à bâtir des initiatives de paix et de développement : « En tant qu’imam, j’appelle ma communauté tadjike à rester calme ; se conformer aux lois du pay s; de s’abstenir de toute violence, désordre, activité illégale ou toute autre action susceptible de mettre en danger leur bien-être. J’exhorte mes partisans à ne pas recourir à la violence, à toujours préserver les traditions de notre communauté, à vivre en paix avec tous ses compatriotes … et d’apporter une contribution active au développement de son pays » (https://rus.ozodi.org/a/31857987.html).
[49] « Les services spéciaux du Tadjikistan participent à la compétition déjà engagée entre les différents mouvements de résistance afghans anti-taliban. Selon des représentants de la diaspora afghane à Douchanbé, récemment Yasin Ziia, qui s’est autoproclamé chef du Front de Libération de l’Afghanistan, avec l’aide des forces de sécurité tadjikes [et plus discrètement de la Russie], a pu retirer de la république certains des anciens officiers de l’ex-Armée Nationale Afghane (ANA) qui avait auparavant fui Kaboul. Dans le même temps, le chef d’un autre mouvement anti-talibans, Ahmad Massoud [d’orientation pro-occidentale], s’est catégoriquement opposé au départ d’anciens officiers. On ne sait pas où et dans quel but Ziia a exfiltré les officiers de Douchanbé » (https://t.me/orientalreviewAK/1125). Moscou se rend également compte que sa politique de séduction du régime taliban le conduit vers une impasse et, suite aux derniers événements du Haut-Badakhchan, reconsidérera sans doute prochainement son orientation diplomatique vis-à-vis de Kaboul (https://t.me/anserenko/4228).
[50] Lors de sa dernière visite à Kaboul [le 24 mars 2022], le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a déclaré aux responsables talibans que « la Chine respecte l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Afghanistan, respecte les choix indépendants faits par le peuple afghan et respecte les croyances religieuses et les coutumes nationales de l’Afghanistan. Lors de cette même réunion, Wang Xi a été assuré que les talibans amélioreraient « l’environnement de sécurité » de l’Afghanistan de manière à le rendre sûr pour la Chine et la région. Pour la Chine, l’Afghanistan est donc en train de devenir un pays hospitalier, offrant une possibilité croissante d’étendre le Corridor Économique Chine-Pakistan (CECP) à l’Afghanistan également. En effet, Wang Yi a laissé entendre lors de cette même visite que la Chine l’envisageait sérieusement » […] « C’est dans ce contexte géopolitique qu’il faut comprendre l’émergence de la résistance anti-taliban. Un défi de l’intérieur de l’Afghanistan, dirigé par les Afghans eux-mêmes, contre Kaboul contesterait les affirmations russes et chinoises, et même la propre affirmation des talibans, selon lesquelles l’Afghanistan se stabiliserait. Une insurrection à grande échelle, ou une guerre civile, en Afghanistan forcera, une fois de plus, la Chine à retirer ses plans d’extension du CEPC, tout en forçant la Russie à repenser la possibilité d’étendre sa coopération. D’autre part, cela permettra également à l’Occident de retirer tout soutien qu’il a apporté aux talibans en faveur du soutien à ces groupes de résistance ».
https://www.newagebd.net/article/171092/a-new-war-comes-to-afghanistan