« Boinas verdes » : Les forces spéciales espagnoles aux premiers rangs de l’élite mondiale
Gaël PILORGET
Unités militaires spécialement entraînées pour mener à bien des missions qui ne peuvent être réalisées par des troupes conventionnelles, les forces spéciales sont spécifiquement formées à des interventions dans tous types de contextes et dans des conflits de toute nature. Les structures de base de ces unités sont des « équipes » de composition variable, mais toujours hautement spécialisées, aptes à manier des armes et du matériel à la pointe de la technologie. Ces unités reçoivent une formation très complète et – aspect souvent méconnu dans l’imaginaire courant – cette préparation se situe autant sur les plans psychique, mental et intellectuel que sur le plan physique.
Dans ce dernier domaine, des qualités hors du commun sont naturellement exigées, dans toutes les disciplines sportives, en particulier en natation et en parachutisme. A cela s’ajoutent la maîtrise de techniques spécifiques (survie, contre-guérilla, contre-insurrection, combat urbain, etc.), mais aussi d’innombrables connaissances dans les domaines les plus divers (topographie, maniement d’armes et d’explosifs de toute nature, maîtrise des moyens informatiques et de communication, connaissance des langues étrangères, etc.) qu’il est indispensable de maîtriser pour servir au sein de ces unités. En effet, ces hommes doivent savoir se déplacer, vivre et combattre sur tous types de terrains, tant de jour que de nuit.
Les forces spéciales peuvent opérer seules ou en appui des forces conventionnelles. Elles ne doivent être engagées que dans des missions qu’elles seules peuvent réaliser ou bien qui requièrent le plus grand secret. Leur emploi, étant donné le coût de leur préparation et celui des opérations, est nécessairement limité et proportionné. La décision de leur engagement, le plus souvent dans le cadre d’opérations « sensibles », est prise au plus haut niveau, c’est-à-dire celui de la sphère politique.
Histoire et composition des forces spéciales espagnoles
En décembre 2011 ont été célébrés sur la base d’Alicante du Commandement des opérations spéciales (Mando de Operaciones Especiales, MOE) les cinquante ans de la création des Compagnies d’opérations spéciales, les célèbres « COEs ». Ces unités ont été de véritables pionnières au sein de l’armée espagnole en matière d’opérations spéciales, d’abord pour cadre fonctionnel les Brigades de défense opérationnelle du territoire (BRIDOT), unités aujourd’hui disparues. On surnommait alors les soldats de ces COEs les « guérilleros ». Mais la véritable naissance des forces spéciales se situe lors de la mise en place des premières formations d’officiers et de sous-officiers à l’Ecole militaire de montagne de Jaca, en 1956.
Au sein de l’armée de Terre
Les Compagnies d’opérations spéciales
Les deux premières Compagnies d’opérations spéciales ont été créées en 1961 à Oviedo (COE n°71) et Orense (COE n°81). L’équipement et l’armement étaient les mêmes que dans les unités classiques ; seuls un couteau et un béret vert venaient s’ajouter au paquetage. Avec la réorganisation de l’armée en juillet 1965, les COEs sont rattachées aux BRIDOT, qui sont elles-mêmes intégrées au sein de régiments d’infanterie. Entre 1966 et 1969, le reste des COEs est mis sur pied, à l’exception de la 103 – qui ne sera créée qu’en 1976 au sein du régiment d’infanterie Canarias 50 – et de celles de la Légion (Tercio de legion) et de l’Ecole militaire de montagne – qui le seront en 1981.
L’engagement de ces unités est intense et leur instruction comprend de nombreuses sorties, tant diurnes que nocturnes. C’est pourquoi les membres des COEs, du capitaine jusqu’au soldat, sont dispensés des différentes corvées liées à la vie de caserne, ce qui soulève parfois quelques problèmes avec le reste des troupes. De plus, l’apparence des « guérilleros » se démarque souvent de celle des autres soldats : en plus du port distinctif du béret vert, ils peuvent notamment porter barbe et « pattes »… Enfin, l’instruction des COEs bénéficie de bien meilleurs moyens que celle des autres unités.
Les Groupes d’opérations spéciales
A la fin des années 1960 et au début des années 1970, entre en vigueur un plan de modernisation de l’armée (plan META). Ce plan entraîne la réduction des régions militaires (des neuf auparavant, on passe à six), et la dissolution des BRIDOT, dont dépendent les COEs. Le plan préconise un redéploiement de ces unités et plusieurs d’entre elles sont dissoutes. Les compagnies conservées sont intégrées dans des unités plus importantes – de type bataillon – désormais appelées « Groupes d’opérations spéciales » (Grupos de Operaciones Especiales, GOE). Le premier d’entre eux (GOE 1) est créé en 1979 sur la base de Colmenar el Viejo. Il regroupe trois compagnies : la COE 11 (Madrid), la COE 12 (Plasencia,) et la COE 13, nouvellement créée. Le dernier groupe, le GOE VI, est créé en 1988. L’apparition de ces unités, même si elles conservent l’essence et l’esprit des COEs disparues, donne une nouvelle dimension aux forces spéciales. C’est à l’époque une authentique révolution quant à la structure et au concept même de ces unités. Les GOEs reçoivent de nouvelles missions, on les dote d’un matériel plus adéquat et on unifie les critères d’instruction et d’emploi.
Le prince des Asturies (au centre) assistant à une démonstration des GOE
Le Commandement des opérations spéciales (MOE)
Puis le MOE voit le jour en 1997. Initialement, il est établi à Jaca et est placé sous les ordres d’un colonel. Mais en 2000, il est transféré à Alicante et c’est alors un général de brigade qui en prend le commandement. Ce commandement regroupe les GOE 3 (Alicante) et 4 (Barcelone) et la Bandera[1] d’opérations spéciales de la Légion (GOE 19), basée à Ronda. Les autres unités sont dissoutes.
La désignation d’un général comme commandant du MOE donne à celui-ci une toute nouvelle stature. Son premier chef, le général Andreu, a singulièrement marqué le MOE, tant dans son organisation, son infrastructure que dans les opérations menées.
Dans la Marine
L’Unité d’opérations spéciales (Unidad de Operaciones Especiales, UOE)
En septembre 1966 est créée, à partir d’éléments de la Compagnie d’éclaireurs amphibies, la Compagnie d’opérations spéciales : il s’agit là de la structure de base de ce qui sera l’UOE. Cette unité est incluse au sein de la Brigade d’infanterie de Marine, mais s’y voit confier des missions très spécifiques (reconnaissances, incursions, coups de main et opérations avec les guérillas), parfois en appui à des forces de débarquement (liaison entre les unités, conquête d’objectifs sur les arrières de l’ennemi, etc.).
La Force de guerre navale spéciale (Fuerza de Guerra Naval Especial, FGNE)
La FGNE a été créée en 2009 et a intégré en une seule entité l’ancienne Unité des opérations spéciales et l’Unité des nageurs de combat. Aux ordres d’un colonel ou d’un capitaine de vaisseau, cette unité est basée à Carthagène. Bien qu’assumant pleinement l’héritage, les valeurs et la tradition des deux unités qui l’ont composée, la FGNE est la plus moderne des unités d’opérations spéciales qui existent dans les forces armées.
Membres des GOE (à gauche) et de l’UEO (à droite) s’entraînant à la libération d’otages
Dans l’armée de l’Air
Héritière de la 1era Bandera de parachutistes de l’Aviation, créée en 1947, l’Escadrille des chasseurs-parachutistes (Escuadrilla de Zapadores Paracaidistas, EZAPAC) a été créée en 1965 et a pris la dénomination d’ « Escadron » en 2002. Cette unité est spécialement préparée pour mener à bien des missions en territoire ennemi après s’être infiltrée par parachutage à haute altitude. Par ailleurs, l’EZAPAC instruit ses équipages dans le domaine des techniques de survie, d’évasion et d’exfiltration.
Le MOE : de la sélection à l’action
Le MOE est une des rares unités à laquelle un civil ne peut accéder directement. Pour y entrer, il faut au moins compter deux années de service dans d’autres unités militaires, suivre une formation de base aux opérations spéciales, en plus d’épreuves physiques et psychotechniques bien plus difficiles que celles qui sont imposées aux autres soldats. Entre le moment où l’aspirant-béret vert achève sa formation en opérations spéciales jusqu’au jour où il intègre une équipe opérationnelle, il peut se passer un an, voire un an et demi. Pendant ce temps, le nouveau béret vert se spécialise, et finit par se voir attribuer la fonction pour laquelle il a démontré le plus d’aptitude. Il s’entraîne en haute montagne, fait du ski, suit des cours de parachutisme, pratique le tir de précision, s’exerce à la survie et à l’orientation, à la plongée sous-marine, au maniement d’explosifs, aux premiers secours, à la botanique, à la chasse, à la conduite, à la navigation, à la photographie, etc. Il doit de plus maintenir une forme physique intacte et accoutumer son corps et son esprit à supporter la faim et la privation de sommeil, s’habituer à être en permanence entouré d’ennemis, tout ceci afin de pouvoir réagir de manière appropriée et avec efficacité face à n’importe quel événement.
Derrière la devise « Honneur, devoir, patrie » et le cri de guerre « J’ose ! », adoptées par le MOE, se cachent, contrairement à ce que l’on pourrait penser, non des Rambo tels qu’on peut les voir au cinéma, mais des soldats équilibrés, patients, habités d’un grand sens de la camaraderie, discrets, capables de s’adapter à toutes sortes de situations, d’endurer des périodes difficiles et de savoir faire preuve néanmoins d’esprit d’initiative, une des grandes attentes du commandement à leur égard.
La carrière d’un béret vert ne se prolonge que rarement au-delà de l’âge de 35 ans, car l’usure physique et psychique est très forte au sein du MOE. Sur un mois, dix jours sont consacrés à des exercices en pleine nature, dans des conditions très dures. Les soldats doivent être préparés à affronter des températures extrêmes, à travailler sur un objectif pendant des jours sans appui extérieur et sans moyens de survie autres que ceux qu’ils se procurent ; ils peuvent devoir, par exemple, demeurer enterrés dans une cache durant de longs jours, à attendre et épier l’ennemi.
La plupart de leurs missions se déroulent derrière les lignes adverses, que cela soit dans un désert aride ou dans une zone polaire, tout en haut d’une montagne ou dans la jungle la plus épaisse, ou encore suite à une infiltration subaquatique. Les missions sont très diverses : elles peuvent aller de la destruction d’objectifs stratégiques par des coups de mains et des opérations chirurgicales (pénétration, « élimination », fuite, etc.) ou par la designation-laser de cibles pour les avions. Mais les missions comprennent également le sauvetage et l’exfiltration d’otages, la protection rapprochée de personnalités, l’observation de points stratégiques ou l’entraînement des forces spéciales d’autres pays.
Entrainement en montagne et en mer pour les unités du MOE
En plus d’un entraînement quotidien très poussé, les forces spéciales espagnoles participent à des exercices de mise en situation à partir d’une base opérationnelle d’où sont conduites les opérations et d’où est gérée l’intervention de moyens spécifiques de transport (avions, hélicoptères, sous-marins…). Dans les différents exercices, se mêlent des éléments des trois armées, ainsi que, souvent, des soldats d’autres nationalités ; l’objectif est alors de mesurer et d’améliorer l’interopérabilité des éléments et des procédures.
Aux missions très spécifiques précédemment mentionnées, s’en sont ajoutées d’autres qui concernent la majeure partie des forces armées dans le monde, à savoir les missions humanitaires, de maintien de la paix, d’évacuation de civils et d’assistance aux populations face à des catastrophes naturelles.
Les forces spéciales assurent, on le voit, un très large spectre de missions qui doivent être menées d’une manière très discrète, si ce n’est clandestine. La récente évolution des missions est due, d’une part, au spectaculaire et fulgurant développement des technologies et, d’autre part, à une participation toujours plus marquée des troupes espagnoles – en particulier des forces spéciales – dans les opérations militaires multinationales. Ainsi, en juillet 2007, l’armée espagnole, en s’appuyant sur le MOE, a assuré le commandement de la composante « opérations spéciales » de la Force de réaction de l’OTAN (NRF – NATO Response Force). L’Espagne est ainsi devenue le premier pays non-anglophone de l’OTAN, après les Etats-Unis et le Royaume-Uni, à assumer ce commandement.
Le soutien aérien des opérations spéciales
Il est difficile de concevoir un entraînement des forces spéciales qui n’inclue pas le recours à l’hélicoptère. Afin de parvenir à une parfaite complémentarité, les équipages des appareils se doivent d’intégrer la mentalité, les missions et les procédures des unités qu’ils transportent. Les formations d’hélicoptères de l’armée de terre ne disposaient pas, il y a encore quelques années, d’une instruction spécifique pour leurs équipages. Actuellement, en plus de l’adaptation technique de certains appareils à des missions spéciales, ont été organisés des exercices de survie et d’évasion à l’attention des pilotes. L’objectif est de se familiariser avec les techniques de pénétration et d’exfiltration, et d’être préparés à survivre dans un cadre hostile jusqu’à l’arrivée d’une équipe de secours. La collaboration avec les personnels et les moyens des unités d’intervention de la Guardia Civil s’est également développée, pour le plus grand bénéfice de tous les intervenants.
Le guidage d’appareils vers leurs cibles est désormais une mission très classique des conflits modernes. La destruction très précise de l’objectif, évitant les fameux « dommages collatéraux », est obtenue non seulement grâce à la qualité de l’armement employé, mais également grâce au guidage opéré depuis le sol. Actuellement, la totalité des membres des forces spéciales de l’armée espagnole a accès à un stage qui les forme aux procédures d’appui aérien ou à des missions de désignation de cibles pour l’aviation.
De la Méditerranée à l’océan Indien : les forces spéciales en action
La Guinée, Ifni, le Sahara et plus récemment la Bosnie, le Kosovo, l’Irak, l’Afghanistan et le Liban ne sont que quelques-uns des théâtres où sont intervenues – et continuent de le faire – les forces spéciales espagnoles des trois armées. Elles sont également présentes dans l’océan Indien, dans le cadre de l’opération Atalante. Cette opération, de nature tant militaire que diplomatique, a été mise en place par l’Union européenne, laquelle a activé une Force navale européenne (EUNAVFOR) dans le cadre de la Politique de sécurité et de Défense commune (PSDC). Il s’agit de lutter contre l’insécurité dans le golfe d’Aden et l’océan Indien, zones où sévissent de très nombreux pirates opérant depuis les côtes somaliennes.
Le drapeau marocain ne flottera pas sur le Perejil
L’îlot du Perejil est un îlot inhabité du détroit de Gibraltar, appartenant à l’Espagne. Il est situé à quelques 200 mètres de la côte d’Afrique du Nord et à environ 8 kilomètres au nord-ouest de l’enclave espagnole de Ceuta. L’ « incident armé » du Perejil a opposé l’Espagne et son voisin marocain du 11 au 20 juillet 2002, suite à l’occupation de l’îlot par des soldats de la Marine royale marocaine.
Au matin du 11 juillet 2002, un groupe de soldats marocains aux ordres d’un sous-officier débarquent sur l’îlot et y plantent deux drapeaux marocains. Un navire de patrouille de la Guardia civil s’en rend compte et décide de s’approcher. Après avoir envoyé un Zodiac pour enjoindre les soldats d’abandonner l’îlot, les gardes civils s’entendent dire : « Partez d’ici, ce n’est pas une terre espagnole ». La discussion s’envenime et les soldats marocains pointent sur eux leurs AK-47 et menacent de leur tirer dessus comme « par erreur ». Les gardes civils, seulement armés de leurs pistolets réglementaires, décident de se retirer prudemment et de communiquer l’incident à leur base. Le Maroc justifie alors officiellement l’occupation de l’îlot par des contraintes liées à une opération anti-drogue, l’îlot ayant été utilisé pendant quelques années comme refuge par des pirates et des contrebandiers. Mais Rabat va plus loin, en affirmant que l’îlot ne sera pas abandonné, car il appartient au Maroc.
Le 14 juillet, la Présidence danoise de l’Union européenne, dans un communiqué sans appel, exige de Rabat qu’il « retire immédiatement ses troupes », et exprime par ailleurs sa « totale solidarité avec l’Espagne ». Le 15 juillet, l’OTAN exige de Rabat le retour au statu quo antérieur. Le 16 juillet, le Maroc remplace la douzaine de marins qui ont initialement fait irruption sur l’île par un détachement d’infanterie de marine. De son côté, l’Espagne renforce ses troupes dans les villes de Ceuta et Melilla par des unités de la Guardia civil et la flotte mobilise, entre autres, la frégate Alvaro de Bazán. L’Espagne annonce également le rappel, pour une période indéterminée, de son ambassadeur à Rabat.
Le 17 juillet à 6 h 00, commence l’opération Romeo-Sierra destinée à déloger les occupants marocains. L’infanterie de Marine espagnole procède d’abord à une reconnaissance. A 6 h 21, le « Top départ » de l’opération est donné. Plusieurs hélicoptères Cougar et BO-105 observent que les soldats marocains stationnés sur l’îlot n’opposent aucune résistance. Quelques minutes plus tard, les bérets verts sont parachutés et commencent à se déployer sur la partie arrière de la colline. A 7 h 36, les soldats hissent le drapeau espagnol et 20 minutes plus tard, envoient un message au commandement pour l’informer que l’îlot est sous contrôle. A 8 h 07, les bérets verts sont relevés par des légionnaires et par hélicoptère, les six soldats de la Marine royale marocaine sont transférés à Ceuta, d’où ils sont remis aux autorités marocaines. En octobre 2004, le Président du gouvernement espagnol de l’époque, José María Aznar, remet, sur la base d’Alicante, la Croix du mérite militaire aux bérets verts qui ont participé à la « reconquête » de l’îlot.
Cette mission n’a pas présentée de grande difficulté pour les « guérilleros » du MOE (la majorité appartenant au GOE III) et les cinq marins qui sont intervenus. En fait, au cours nombreux exercices réalisés auparavant, ils avaient connu des situations bien pires. La différence résidait dans le caractère particuler de la mission, dans l’énorme responsabilité qui pesait sur ses exécutants.
En moins d’une heure, l’unité au complet était parfaitement équipée et prête à intervenir ; pourtant les soldats ont été alertés à 20 h 00 un 11 juillet, en plein été. Durant les six jours qui ont précédé l’entrée en action des forces spéciales, la planification a été effectuée de manière minutieuse, et ce en dépit du manque de renseignements. Il n’y pas eu la moindre fuite d’information vers l’extérieur, pas même dans la sphère familiale : le secret a été total. Au terme de l’opération, la portée médiatique de cette brillante intervention a accru le prestige des unités spéciales espagnoles et a fait largement connaître les capacités dont disposait le royaume dans ce domaine.
Reconquête de l’îlot de Perejil et arraisonnement du So-San
La FGNE : de l’affaire de l’Alakrana à l’arraisonnement du So-San
Le 2 octobre 2009, les 36 membres d’équipage du bateau de pêche espagnol Alakrana sont pris en otages par des pirates au large des côtes somaliennes. Au moment de l’abordage, ce navire de pêche se trouve dans la zone protégée par l’opération Atalante. La frégate Canarias, qui participe à cette mission, vient au secours de l’Alakrana mais ne parvient pas à intercepter le thonier capturé avant qu’il ne parvienne à Harardhere, le port somalien qui sert de base aux pirates. Les marins espagnols parviennent néanmoins à capturer deux pirates qui ont abandonné le bateau dans une petite embarcation.
Le 13 octobre, les ravisseurs menacent de procéder à des représailles contre les marins si l’Armada (la flotte espagnole) ou les forces navales de l’Union européenne tentent de lancer un assaut. Le 27 octobre, les ravisseurs menacent de remettre quelques membres d’équipage aux proches des deux pirates détenus en Espagne. Le 30 octobre, un autre bateau de pêche basque, l’Iria Flavia, subit une tentative d’attaque de la part de pirates somaliens, mais parvient à y échapper.
Fin octobre 2009, après avoir achevé sa mission dans le cadre de l’opération Active Endeavour de l’OTAN en Méditerranée orientale, la frégate Méndez Núñez est envoyée en renfort pour prendre la relève du Canarias et lui permettre de réaliser des travaux de maintenance et de se ravitailler en vivres et combustible. Puis les deux frégates demeurent sur zone.
Le 5 novembre 2009, afin d’obtenir la libération de leur deux comparses arrêtés et détenus en Espagne, les pirates annoncent qu’ils débarquent trois membres d’équipage de l’Alakrana et menacent de les assassiner ou de les remettre aux familles des pirates arrêtés si ces derniers ne sont pas libérés sous trois jours. On découvrira plus tard qu’à aucun moment les marins du thonier n’ont été emmenés à terre et qu’il ne s’est agi que de faire pression sur le gouvernement espagnol.
Le 17 novembre 2009, après 47 jours de captivité, les membres de l’Alakrana sont libérés après le paiement d’une rançon de quelque 4 millions de dollars. Tout comme dans la prise d’otages du navire Playa de Bakio, la rançon a été payée par l’armateur, mais une partie de la somme a été avancée par les fonds réservés du Centro Nacional de Inteligencia (CNI), le service de renseignement intérieur et extérieur espagnol[2].
Au cours de la libération, les hélicoptères des frégates Canarias et Méndez Núñez tentent, sans succès, de capturer les derniers pirates qui ont abandonné le navire, et leur tirent même dessus. Comme cela s’est passé pour le Playa de Bakio, il s’agit d’éviter que le bateau soit à nouveau investi par des pirates d’un autre clan. Cette version est démentie par le patron de l’Alakrana, qui a nié que des tirs aient été effectués et que l’on ait tenté de capturer les pirates. Après l’assaut, l’Alakrana se dirige vers les îles Seychelles, escorté par les deux frégates.
La FGNE est entrée en action suite au paiement de la rançon et a poursuivi les pirates. En cette occasion, certains membres de l’unité sont sortis de leur obligation de réserve et ont critiqué la gestion de la prise d’otages et les ordres reçus, qui étaient d’intimider les pirates et de ne pas répondre par le feu, sauf en cas dattaque. Selon eux, tout s’est passé comme s’ils étaient partis là-bas « distribuer des bonbons » car le gouvernement « ne voulait ni morts ni blessés ». Ces soldats déclarent : « Nous pouvions les arrêter, nous avons eu entre trois et quatre minutes pour leur bloquer le passage avant qu’ils ne s’approchent du rivage. C’était le moment propice […] nous nous sommes posé la question : que faisons-nous ? Et nous n’avons pas reçu l’ordre d’intervenir. Rien que du silence ».
Ces affirmations contredisent l’explication des faits donnée le lendemain de la libération des otages par le chef d’état-major de la Défense (JEMAD), José Julio Rodríguez, lors d’une conférence de presse. Selon le JEMAD, après s’être assuré que l’Alakrana n’allait pas faire l’objet d’une seconde prise d’otages, un des hélicoptères a poursuivi la dernière embarcation des pirates et « a ouvert le feu au niveau de la proue de l’embarcation, puis dans la zone du moteur » pour tenter de l’arrêter. Bien plus, le JEMAD a précisé que c’est le commandant des opérations, le général Jaime Domínguez Buj, qui a donné l’ordre du « disabling fire » (halte au feu).
Les soldats de la FGNE estiment, eux, qu’ils sont déconsidérés, tant aux yeux des pirates qui n’hésiteront pas à lancer de nouvelles attaques, qu’auprès des autres forces spéciales étrangères. Ils affirment même que l’Armada espagnole « est devenue à présent la risée des autres armées ». A tout cela s’ajoute par ailleurs une autre tromperie : les pirates ont abusé le Centro Nacional de Inteligencia grâce au portable d’un marin de l’Alakrana et ont fait croire au CNI qu’ils avaient conduit à terre trois otages. Tout cela n’était qu’un stratagème pour augmenter le montant de la rançon.
La prise d’otages à bord de l’Alakrana a été la première mission officielle de la FGNE. La poursuite, non couronnée de succès, des pirates qui ont séquestré pendant 47 jours les occupants du navire basque a généré tous types de commentaires, négatifs dans leur grande majorité, sur les capacités opérationnelles de l’unité. Mais les soldats attribuent l’échec de l’opération aux restrictions d’engagement imposées par le cadre d’action de l’opération Atalante. Le commandement de l’unité affirme néanmoins que la FGNE dispose de l’entraînement et des moyens spécifiques pour mener à bien des opérations de contre-terrorisme maritime, d’attaque de navires, de sauvetage d’otages, et des abordages avec opposition.
Mais les bérets verts de la FGNE n’ont pas dit leur dernier mot.
Le 10 septembre 2011, ils libèrent la Française Evelyne Colombo, prise en otage deux jours auparavant par des pirates somaliens qui ont attaqué son catamaran. Les bérets verts opèrent avec une précision et une efficacité qui suscitent l’admiration du président français d’alors, Nicolas Sarkozy. Quelques tirs d’un tireur d’élite ont immobilisé l’embarcation des pirates et le chef de l’unité a sauté à l’eau et sauvé l’otage. Une mission complexe, exécutée à la perfection.
De même, en avril 2012, la FGNE a libéré l’équipage du bateau de pêche Nimesha Duwa, attaqué six mois auparavant à la hauteur des côtes du Sri Lanka.
De fait, l’« échec » de l’Alakrana ne doit pas masquer une longue série de vrais succès comme celui de l’opération Socotora, en décembre 2002. Ce qui était encore à l’époque l’Unité d’opérations spéciales fait alors preuve dans l’océan Indien d’une capacité d’action et d’une précision remarquables. Les services de renseignement américains ayant signalé la présence d’un navire soupçonné de trafic d’armes, le So-San, la frégate Navarra et le navire Patiño se portent à sa hauteur. Le commandant du So-San, qui assure convoyer du ciment, refuse d’arrêter le navire. Bien au contraire, il le fait accélérer. Alors, l’UOE entre en action. Deux tireurs d’élite reçoivent l’ordre de viser l’antenne, qui permet au navire de communiquer, et les gréements d’acier qui traversent le navire de la poupe à la proue, afin de permettre à l’hélicoptère de faire descendre les commandos qui doivent prendre le contrôle du So-San. Les tireurs d’élite font mouche et les commandos montent à bord du navire qui, effectivement, transportait bien des missiles.
*
Depuis la fin de la Guerre froide, la situation internationale a subi de profonds changements en un temps réduit. De nouveaux acteurs sont apparus et avec eux de nouvelles menaces. Les avancées de la technologie ont été spectaculaires ces dernières années et ont mis à la portée de n’importe quel individu des outils potentiellement très dangereux et destructeurs.
Les forces qui affrontent et affronteront demain ces menaces doivent s’accoutumer à utiliser des techniques, de l’armement et plus généralement des moyens très sophistiqués, ce qui suppose un effort continu et permanent de mise à jour des connaissances et des aptitudes dans ce domaine. Les conflits actuels requièrent de nouvelles formes d’actions spécifiques et les armées se sont adaptées à ces contextes mouvants et imprévisibles en développant les forces spéciales.
Un exemple d’une brûlante actualité nous est donné par l’état d’alerte maximale dans lequel se trouve plongé le MOE, en raison des tensions entre l’Israël et l’Iran d’une part, et de l’aggravation du conflit syrien d’autre part. 800 soldats espagnols seraient chargés d’agir au cas où l’OTAN se verrait impliquée dans sur l’un de ces théâtres. Les groupes de forces spéciales terrestres, navales et aériennes espagnoles feront partie de la pointe de lance des troupes de l’Alliance atlantique en cas de guerre. Une des principales missions qui leur serait confiée en cas de conflit serait de type NEO (Non-combatant Evacuation Operations), c’est-à-dire des opérations d’évacuation de civils occidentaux piégés dans la zone de guerre.
Les forces spéciales espagnoles ont régulièrement évolué, souvent avec une grande rapidité, depuis leur création, sans jamais renoncer aux traditions qui les ont modelées. Elles font aujourd’hui partie de l’élite mondiale des unités spéciales.
[1] Littéralement « bannière », en fait bataillon ou compagnie. Il s’agit d’une des unités les plus en pointe de l’armée de terre espagnole.
[2] Lors de la prise d’otages du Playa de Bakio, le CNI avait dû avancer toute la rançon.