Un ancien officier de renseignement du KGB défraie la chronique
Alain RODIER
Un livre accusant Donald Trump d’avoir été un « jouet » des services secrets russes pendant quarante ans, American Kompromat de Craig Unger, obtient un franc succès aux États-Unis. Les révélations l’auteur s’appuient sur les récits de Youri Borysovych Shvets, un ancien officier de renseignement de la Première direction du KGB (renseignement extérieur), devenue depuis le SVR. Pour juger la crédibilité des informations fournies, il est utile de tenter de savoir qui est cet ancien « espion » soviétique d’origine ukrainienne.
Un bien curieux officier de renseignement
Né en 1952, Shvest est diplômé en droit international de l’Université d’amitié entre les peuples Patrice Lumumba (rebaptisée Université d’amitié entre les peuples de Russie). Il est ensuite passé par l’Institut Andropov (rebaptisé en 1994 « Académie de renseignement extérieur »), un établissement d’enseignement supérieur spécialisé dans la formation de cadres du renseignement. Tous les futurs officiers de renseignement soviétiques, puis russes, la fréquentent, ce qui a été le cas de Vladimir Poutine et Shvest laisse entendre qu’ils s’y sont croisés[1].
Il a servi au sein du KGB de 1980 à 1990, affecté à la « résidence[2] » du KGB hébergée au sein de l’ambassade soviétique à Washington de 1985 et 1987[3]. Sa couverture était celle de correspondant de l’agence de presse TASS, un « classique » à l’époque. Il aurait atteint le grade de commandant mais aurait été licencié du KGB en 1990. Il a ensuite rejoint les États-Unis en 1993 et a obtenu la nationalité américaine[4].
Se présentant comme spécialiste des services secrets soviétiques, il intervient régulièrement dans les medias anglo-saxons. Dans les livres qu’il a écrits, il vante ses exploits en tant qu’officier de renseignement. Selon lui, lors de son séjour de deux ans à Washington, il aurait recruté deux sources de haut niveau : «Sputnisa », un journaliste travaillant à Washington et « Socrates », un ancien conseiller du président Jimmy Carter[5]. Ces dernières assertions ont été démenties par Victor Cherkashin, un officier de renseignement soviétique à la retraite d’un autre calibre ayant servi au sein du KGB de 1952 à 1991[6].
Lors de l’affaire Alexander Litvinenko en 2006, Shvets aurait été interrogé par Scotland Yard car il avait affirmé à la presse avoir travaillé avec la victime sur un dossier « sensible » compromettant pour des responsables du Kremlin. Ces derniers auraient été mouillés dans une affaire impliquant une société britannique qui voulait investir des « douzaines de millions de dollars » en Russie. Malheureusement, selon lui, Litvinenko aurait montré ce dossier à Andrei Lugovoi, un ancien officier du FSB (contre-espionnage russe). Il aurait ensuite été assassiné pour cette raison[7].
Shvest est à l’origine de nombreuses informations impliquant les services secrets soviétiques, puis russes, bien qu’il n’ait pas appartenu à ces derniers, ayant quitté le KGB avant son éclatement. Certaines de ces révélations peuvent être jugées comme complotistes, en particulier au sujet de la Covid-19[8].
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Dans le domaine de l’espionnage, il existe une catégorie de personnages qui est réputée pour ses affabulations (même s’il y a toujours un fond de vérité). Ils sont surnommés les « rats bleus » (expression aussi employée pour des agents retournés). Shvets semble être l’un d’entre eux. Il va certainement continuer à alimenter la presse d’informations croustillantes qui passionnent le public. Le pire, c’est que des responsables politiques puisse le croire.
[1] Ce n’est pas impossible mais le « commandant » Poutine n’a fréquenté cette université qu’à partir de 1984 alors qu’il servait déjà au sein du KGB.
[2] « Poste » pour la DGSE, « station » pour la CIA.
[3] C’est une période pour le moins courte pour un OT implanté à l’étranger. La moyenne est plutôt de trois ans voire plus. Rester si peu de temps sans être désigné comme « persona non grata » par les autorités locales n’est pas un signe de « succès » pour l’OT en cause.
[4] Alors qu’il était interdit de sortie du territoire… Mais les désordres régnant alors en Fédération de Russie peuvent expliquer ce départ d’autant qu’il n’avait pas de passeport russe étant Ukrainien. Le fait qu’il ait ensuite obtenu la nationalité américaine ne peut s’expliquer que par des bons et loyaux services rendus aux autorités de Washington. Ses dix ans passés au sein du KGB impliquent qu’il a obligatoirement fait l’objet d’interrogatoires approfondis de la part du FBI.
[5] En deux ans de séjour, il est quasi impossible de recruter formellement une « source ». Au mieux, l’OT noue des liens, car le processus est long. À noter qu’un « journaliste » (même célèbre) n’est jamais considéré comme une « source de haut niveau ». Son utilité est uniquement sa capacité à désinformer son public.
[6] Également membre de la Première direction du KGB, Cherkashin a notamment été l’officier traitant de deux célèbres taupes américaines : Aldrich Ames, officier de la CIA, et Robert Hanssen, agent du FBI. Sa carrière l’a amené à résider au Liban, en Inde, en Australie, en Allemagne de l’Ouest et aux États-Unis. Il a pris sa retraite à Moscou
[7] L’affaire Litvinenko est loin d’avoir livré tous ses secrets. Les Britanniques veulent que Moscou soit derrière tous les meurtres d’anciens des services secrets russes commis en Grande Bretagne. Une source comme Shvets est du pain béni car il raconte tout ce qu’ils veulent entendre… Par contre, sauf erreur de la part de l’auteur, il n’y a eu aucune publication sur ce fameux contrat conclu entre des responsables du Kremlin et cette mystérieuse société britannique…
[8] Sur tous les sujets, il a une réponse et celle-ci est systématiquement hostile au Kremlin en général et à Poutine en particulier. Cela doit enchanter tous les détracteurs, officiels ou non, du président russe.