Turquie : Reformes pour contrer le séparatisme kurde
Alain RODIER
Au début de l’année, le gouvernement et l’état-major général turcs ont pris des mesures drastiques pour améliorer la lutte contre le terrorisme séparatiste kurde. Cela fait suite à l’assaut, mené le 3 octobre 2008, par 300 rebelles du PKK contre un poste de gendarmerie ( Jandarma ) à Aktütün, dans la province d’Hakkari, au sud-est du pays. Les assaillants qui ont soumis le poste militaire turc à un intense feu d’armes d’infanterie durant des heures, ont également été appuyés par des tirs de mortiers provenant du territoire irakien voisin. Après cet audacieux coup de main, la plupart des activistes ont pu se replier en bon ordre de l’autre côté de la frontière. Pour dégager le poste attaqué, l’armée turque a dû engager des chasseurs bombardiers et des hélicoptères armés. Le bilan s’est révélé être particulièrement lourd : 17 militaires turcs tués et une vingtaine de blessés. Neuf corps d’activistes du PKK ont été récupérés après la cessation des combats ; les autorités ont annoncé 23 rebelles tués mais ce chiffre est à prendre avec précautions.
Ce coup de main est le plus meurtrier mené par le PKK depuis des années. Il a mis en lumière de nombreuses carences de la part des autorités turques. Bien que les services de renseignement militaires aient été avertis depuis plus d’un mois des intentions du PKK, et en dépit du fait que ce même poste avait déjà subi quatre attaques – certes de moindre envergure – en 2007, aucune mesure de sécurité particulière n’avait été prise. Si le renseignement en amont a bien fait son travail, le renseignement tactique pour sa part a lourdement péché. Même avec l’appui des informations fournies par les Américains, qui surveillent étroitement le nord de l’Irak, aucun renseignement concernant le regroupement de 300 combattants et leur infiltration en territoire turc n’est parvenu aux autorités. L’effet de surprise a donc joué à plein alors que cela n’aurait jamais dû être le cas.
Un autre fait anecdotique a particulièrement choqué la presse turque : le général Aydogan Babaoglu, qui commande l’Armée de l’Air, aurait appris cet évènement que le 5 octobre (l’attaque a eu lieu le 3 octobre) alors qu’il terminait une partie de golf à Antalya. Il a y là un dysfonctionnement grave de la chaîne de commandement ! Enfin, la communication des autorités concernant cette attaque a été particulièrement désastreuse, les medias apprenant plus de choses sur les sites internet du PKK que de la part des portes paroles officiels.
La réaction des autorités turques
Afin de remédier aux défaillances constatées, une des premières décisions prises a consisté à redonner au ministère de l’Intérieur la gestion de la situation sécuritaire dans le sud-est anatolien. En effet, depuis 1997, c’étaient les forces armées qui en avaient l’entière responsabilité.
Une des premières conséquences a été l’affectation d’un renfort de 7 000 membres des forces spéciales de la police dans la région. L’état-major a également décidé d’évacuer certains postes jugés comme trop exposés et de renforcer d’autres installations militaires.
Surtout, partant du principe que la lutte contre le terrorisme est globale -sécuritaire, sociale et psychologique -, Ankara s’est résolu à réorganiser la bureaucratie étatique afin d’y apporter une réponse plus efficace. La coordination entre les différents ministères concernés et les forces armées devraient s’en trouver notablement améliorée. Enfin, un certain nombre d’imams (qui en Turquie sont des fonctionnaires) vont être affectés dans des mosquées actuellement délaissées dans le sud-est de la Turquie, de manière à gagner la guerre psychologique en tentant, en particulier, d’éviter que les jeunes ne rejoignent le maquis.
Suite à cette tragédie, le général Ilker Basbug, chef d’état-major des forces armées turques ( Turk Silahli Kuvvetleri ) perd un peu plus des prérogatives qui étaient les siennes face au pouvoir politique « modéré islamique » en place à Ankara. Toutefois, à y regarder de plus près, les mesures adoptées ont déjà été appliquées dans le passé sans obtenir de résultats significatifs.
Bien que le chef historique du PKK, Abdullah Öcalan, soit incarcéré depuis de longues années, et que son frère Osman Öcalan [1] – également ancien haut responsable du mouvemen – ait pris ses distances avec le mouvement séparatiste kurde, le PKK compterait encore, selon les chiffres officiels, 3 000 combattants en Irak du nord et 1 500 en Turquie même [2]. Ce que se gardent bien de dire les autorités, c’est que la population turco-kurde accorde majoritairement sa sympathie et parfois son soutien direct ou indirect aux activistes du mouvement séparatiste.
L’armée turque, qui est en effectif la deuxième de l’OTAN après celle des Etats-Unis, applique toujours des traditions stratégiques et tactiques « à la prussienne ». Elle a beaucoup de mal à s’adapter à la guerre révolutionnaire : quadrillage du terrain, création de commandos de chasse, action psychologique, etc.
On peut déduire de tous ces faits que la « sale guerre » qui a lieu dans le sud-est de la Turquie va perdurer encore de longues années, même si le pouvoir politique fait des ouvertures en direction de la population d’origine kurde comme celle qui a consisté à mettre sur pied une chaîne de télévision d’Etat (la TRT 6) qui émet en langue kurde non sous-titrée.