Terrorisme dans la corne de l’Afrique : une nouvelle strategie d’Al-Qaeda ?
Alain CHARRET
L'actualité est là pour nous le rappeler, aucune région de la planète n'est à l'abri du terrorisme international et les pays de la corne de l'Afrique ne dérogent pas à la règle. C'est d'ailleurs pour cette raison que les États-Unis ont implanté une de leur base à Djibout. De ce petit pays à la position hautement stratégique partent discrètement de nombreuses missions de reconnaissance, mais également des opérations destinées à éliminer, purement et simplement, des terroristes présumés. On l'a vu en novembre 2002 où un drone Predator a décollé de Djibouti pour le Yémen où il a tiré un missile sur le véhicule d'un membre présumé d'Al-Qaeda.
Parmi les pays surveillés de près figure le Kenya, qui a été le théâtre de plusieurs attentats sanglants : celui qui a frappé l'ambassade américaine à Nairobi en 1998, mais également, en novembre 2002, où un hôtel de Mombasa a été la cible d'une attaque kamikaze et des missiles ont manqué de peu un avion israélien. Il est donc important de surveiller de près les moindres incidents et de noter tous les indices pouvant révéler les prémices d'attentats. C'est pourquoi la police kenyane tente de retrouver les auteurs du vol d'uniformes de policiers qui s'est déroulé à la mi-novembre 2005, à Mombasa, une ville qui compte une forte population musulmane et qui a souvent été le théâtre de manifestations de soutien à Ben Laden. On peut imaginer l'usage que pourraient en faire des membres d'Al-Qaeda qui, ainsi revêtus, approcheraient sans éveiller de soupçon des cibles potentielles placées sous surveillance, telles que certaines ambassades ou autres symboles occidentaux.
De son côté, la Somalie focalise, elle aussi, l'attention de bon nombre de services de renseignement. Ce pays d'où aurait été organisé les attentats de 1998 contre les ambassades américaines de Nairobi et de Dar Es-Salam, abrite différents mouvements islamistes proche d'Al-Qaeda. De plus, l'anarchie qui y prévaut depuis près de 14 ans tend à en faire un sanctuaire pour terroristes de tout poil. L'insécurité y est telle que le tout nouveau gouvernement de transition ne peut même pas siéger dans la capitale, Mogadiscio, et que le Premier ministre a échappé, le 6 novembre à un second attentat.
Notons également que l'ONU s'inquiète des violations répétées de l'embargo sur les ventes d'armes à la Somalie. Un récent rapport dénonce une augmentation de 350% des transactions relatives à des ventes d'armes vers ce pays, durant les huit premiers mois de l'année, en comparaison avec la même période de l'année dernière. Ces armes transiteraient par le Yémen, l'Éthiopie et l'Érythrée.
Recrudescence inquiétante des cas de piraterie maritime sur les côtes somaliennes
Encore plus inquiétant, le pas franchi, le 5 novembre, par les pirates qui écument les côtes somaliennes. Si ceux-ci avaient pris l'habitude de détourner les cargos ou autres navires de pêche y croisant et de kidnapper leurs équipages contre rançons, c'est un paquebot à bord duquel se trouvaient plusieurs centaines de touristes occidentaux qui a essuyé une violente attaque. Le drame fut évité grâce à la présence d'esprit de l'équipage et à la puissance des machines qui lui a permis de fuir vers le large. On n'ose imaginer ce qui serait advenu si ces pirates, hommes de mains des seigneurs de la guerre locaux, avaient pris en otages les passagers. N'oublions pas que bon nombre de ces chefs de guerre sont considérés comme proches de Ben Laden. De plus cet accroissement des actes terroristes survient au moment où apparaissent en Somalie et notamment à Mogadiscio et sa région, de nouveaux mouvements islamiques appelés « Les cours islamiques ». Ce sont eux qui sont à l'origine de la fermeture des cinémas et des magasins de vidéos dans la capitale somalienne. Fermetures qui ont déclenché de violents affrontements entre habitants de Mogadiscio et miliciens obéissant à l'autorité des tribunaux islamiques.
Dans ce contexte, on est en droit d'imaginer que cette attaque pourrait faire partie d'une nouvelle stratégie du réseau Al-Qaeda, ou tout du moins de ses sympathisants qui auraient trouvé un nouveau moyen pour frapper les ressortissants occidentaux, Américains ou alliés des Etats-Unis.
Le bureau maritime international (IMB) avait pourtant de quoi se réjouir. Durant les 9 premiers mois de l'année les cas de piraterie avaient sensiblement baissé puisque l'on n'avait enregistré qu'un total de 205 agressions, alors que durant la même période, en 2004, 251 attaques étaient déjà référencées. Si c'est effectivement le cas à l'échelle planétaire, les côtes somaliennes ont, pour leur part, vu le phénomène considérablement augmenter, pour devenir la région la moins sûre, détrônant les côtes indonésiennes jusqu'alors en tête.
Depuis le 15 mars 2005, ce sont pas moins de 32 cas de piraterie qui ont été recensés. La zone d'action des pirates ne cesse de s'agrandir et ils s'éloignent de plus en plus des côtes pour attaquer. Les consignes de prudence données aux navires croisant dans la région recommandent aux marins de ne pas s'approcher à moins de 200 miles des côtes somaliennes.
Ces groupes de pirates seraient composés en majorité d'anciens membres de la marine de guerre somalienne, accompagné de pêcheurs reconvertis dans la piraterie maritime. Tous, bien sûr, obéissent à des chefs de guerre dont certains sont connus comme étant proches d'Al-Qaeda. Lourdement armés – mitrailleuses lourdes et lance-roquettes – ils opèrent à partir de petites unités rapides dans lesquelles ils sont rarement plus de 4 ou 5. Très bien organisées, leurs actions seraient coordonnées par un navire amiral de plus grande taille.
Il est très inquiétant de constater que ces pirates puissent agir impunément dans des eaux censées être surveillées de très près par les marines occidentales et principalement américaine, dans le cadre de la guerre contre le terrorisme international. Devant l'importance des moyens déployés par Washington et ses alliés, que ce soit sur le plan maritime, aérien ou encore satellitaire, il paraît pour le moins surprenant que ce (ou ces) fameux bateau(x) amiral(s) n'ai(en)t pu être localisé(s). Si tel était le cas, on a du mal à imaginer comment une telle force serait à même d'intercepter les présumés militants d'Al-Qaeda qui naviguent entre l'Afghanistan et la Somalie
- 1Cette analyse a été également publiée dans le n° 50 de Les nouvelles d'Addis, du 15 novembre 2005 ( http://www.lesnouvelles.org ).