Tentatives d’attentats des 29 et 30 juin à Londres
Alain RODIER
Le 29 juin, deux attentats à la voiture piégée ont été déjoués à Londres. Deux Mercedes équipées de bombonnes de gaz propane, de jerricans contenant de l’essence et de clous ont été découvertes par les forces de sécurité. Les systèmes de mise à feu devaient être activés à l’aide de téléphones portables.
- Le premier véhicule, une Mercedes grise, était garé à proximité de la boîte de nuit « Tiger Tiger » à Haymarket. Il y avait environ 500 personnes dans cette discothèque réputée de Londres. Vers 01 h 30 du matin, c’est un ambulancier appelé sur place pour soigner un client légèrement blessé qui a cru voir de la fumée à l’intérieur de la voiture. En réalité, il s’agissait de vapeur d’eau. Les autorités prévenues se sont rendues sur place à 02 h 00 et ont découvert et désamorcé l’engin explosif.
- Le deuxième véhicule, une Mercedes bleue, était garé non loin de là sur un emplacement interdit situé Cockspur Street. Ne se doutant de rien, les services de police avaient emmené cette voiture en infraction à la fourrière située en sous-sol de Park Lane, à proximité de Hyde Park. Le ticket d’entrée dans cette fourrière indique l’heure de 02 h 30. Là, au cours de la journée, des employés ont senti une odeur d’essence inhabituelle et ils ont alors prévenu la police. Arrivée sur place, elle a constaté que la Mercedes contenait le même genre de charge explosive que celle découverte dans la nuit dans le premier véhicule. Les artificiers ont procédé au désamorçage de l’engin.
Si les deux véhicules avaient explosé, le nombre des victimes aurait été très important et de plus, l’impact médiatique aurait été colossal.
Le 30 juin, à 15 h 11, une jeep Cherokee verte essayait de s’engouffrer en force dans l’entrée principale du terminal n°1 de l’aéroport international de Glasgow, en Ecosse. Heureusement, la voiture était bloquée par les plots de sécurité et, malgré les efforts du conducteur, elle ne parvenait qu’à s’encastrer dans la porte d’entrée en pulvérisant la baie vitrée. Deux occupants du véhicule étaient appréhendés juste après cette tentative d’attentat suicide. Le conducteur était hospitalisé au Royal Alexandra Hospital proche de l’aéroport en raison des graves brûlures dont il avait été la victime lorsqu’il avait mis le feu au véhicule 4X4 à l’aide d’un jerrican d’essence. Il y avait également à bord quatre bouteilles de gaz propane, des bidons remplis d’essence et des clous.
Les arrestations se succédaient alors à un rythme soutenu, les conducteurs qui avaient garé les Mercedes ayant laissé suffisamment d’indices pour permettre la progression rapide de l’enquête. Les policiers sont persuadés que la même cellule clandestine est à l’origine des tentatives d’attentats de Londres et de Glasgow. Il est même possible – les caméras de surveillance le confirmeront peut-être – que les kamikazes de Glasgow soient les conducteurs qui ont garé les Mercedes.
Qui est derrière ces tentatives d’attentats ?
La constitution des explosifs et le fait qu’ils soient cachés à bord de voitures de luxe rappelle curieusement des projets d’attentats qui avaient été déjoués à Londres en 2004, avec l’arrestation de Dhiren Barot et de sept de ses complices. Ce dernier a été condamné pour ces faits à la prison à vie, assortie d’une peine incompressible de 30 ans d’incarcération. Il avait comme idée de faire exploser trois limousines remplies de bonbonnes de gaz et d’explosifs dans des parkings souterrains. Il avait également envisagé d’utiliser des « bombes sales » et de faire sauter une rame de métro au moment où elle passait sous la Tamise. Il est également accusé d’avoir voulu mener des attentats aux Etats-Unis contre les sièges du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale à Washington, contre ceux de la bourse, du groupe financier Citigroup à New-York et de la société d’assurances Prudential à Newark (New Jersey).
L’enquête a permis de déterminer que Dhiren Barot, un citoyen britannique d’origine indienne qui s’était converti à l’islam, s’était rendu à Lahore au Pakistan pour rendre compte à la direction d’Al-Qaida de l’état de préparation des attentats qu’il programmait. Auparavant, il avait été entraîné en Afghanistan par Khaled Cheikh Mohamed, le chef opérationnel d’Al-Qaida, aujourd’hui incarcéré aux Etats-Unis. Il souhaitait aussi obtenir les fonds nécessaires à leur réalisation. Surveillé depuis de longues années (vraisemblablement depuis 1999) par le MI 5, il a été arrêté car sa présence dans la rue était jugée comme trop dangereuse. Le contenu du disque dur d’un ordinateur saisi au Pakistan a confirmé les intentions de Barot qui a été contraint à reconnaître les faits. Jugé comme ayant trop d’influence sur ses codétenus, il a dû être transféré de la prison de Belmarsh (sud-est de Londres) à celle de Frankland, dans la province de Durham. Dans ce dernier établissement, il a demandé à conduire la prière du vendredi, ce qui lui a été refusé. Les autorités étudient la possibilité qu’il ait dirigé le réseau terroriste responsable des tentatives d’attentats de Londres et de Glasgow depuis l’intérieur de sa prison.
Sur le site de discutions Internet « Al Hesbah », un certain Abou Ossama al Hazen écrivait quelques heures avant que les Mercedes piégées ne soient découvertes : « aujourd’hui je déclare : réjouissez-vous, au nom d’Allah, Londres va être l’objet d’attaques à la bombe ».
La tentative de Glasgow qui, selon les autorités britanniques, serait liée à celles de Londres serait différente dans sa conception. Il s’agissait là indubitablement d’un attentat suicide alors que les charges embarquées à bord des Mercedes devaient être actionnées à distance par appel téléphonique.
Ces deux affaires sont effectivement liées et la signature d’Al-Qaida semble être une évidence. En effet, la quasi-simultanéité des opérations, les méthodes utilisées et les personnes impliquées permettent de dire que l’on a affaire à une cellule terroriste dormante forte d’une vingtaine de personnes, qui s’est inspirée des savoir-faire déjà employés par des activistes d’Al-Qaida.. De l’aveu même des autorités, il existerait en Grande-Bretagne quelques 200 cellules terroristes clandestines. 1 300 individus suspects seraient sous surveillance policière, mais une partie d’entre-eux aurait disparu de la circulation…
Par contre, cette cellule n’aurait vraisemblablement pas de lien direct avec le commandement d’Al-Qaida, toujours réfugié au Pakistan. Dans le jargon des experts, il s’agirait d’une « cellule franchisée ». Ses membres, qui dans leur grande majorité sont issus du milieu médical, auraient agi de leur propre chef. La cellule aurait vu le jour dans la région de Liverpool, au sein des étudiants en médecine étrangers. Ces derniers sont très nombreux, en Europe occidentale en général, et en Grande-Bretagne en particulier. En effet, depuis des années, les autorités sanitaires européennes pallient le manque crucial de médecins autochtones par l’accueil d’étrangers qui ont obtenu leurs diplômes chez eux. Les jeunes expatriés incriminés n’étaient pas particulièrement motivés idéologiquement à leur arrivée en Grande-Bretagne. Il semble qu’ils se soient radicalisés peu à peu. Ils en sont venus à décider de passer à l’action violente, vraisemblablement en 2006.
Dès le 3 juillet 2007, les autorités britanniques ont dévoilé les identités de plusieurs suspects.
- Mohamad Jamil Abdelkader Asha, citoyen jordanien d’origine palestinienne âgé de 27 ans. Il a obtenu un diplôme en médecine en 2004 en Jordanie. Il est arrivé en Grande-Bretagne en 2005 avec son épouse, dont il a eu un fils aujourd’hui âgé de deux ans. Sur place, il se spécialise en neurochirurgie. Il a été appréhendé avec son épouse sur l’autoroute M6 près de Sandbach dans le Cheshire. Il logeait dans une maison à Newcastle-under-Lyme.
- Son épouse Maroua Daana, est laborantine. Elle a été appréhendée en même temps que son mari. A noter que le couple s’habillait comme des musulmans « intégristes », ce qui constitue un indice de manque de professionnalisme pour des activistes qui veulent rester clandestins. En effet, de véritables professionnels comme les kamikazes du 11 septembre 2001, n’arborent pas une tenue particulière qui permet de les identifier.
- Bilal Talal Abdul Samad Abdulla, médecin irakien arrivé en Grande-Bretagne en 2004 après avoir obtenu son diplôme à l’université de Bagdad. Il était le passager de la jeep Cherokee.
- Mohamed Haneef, un médecin indien âgé de 27 ans. Il officiait au service des urgences de l’hôpital Gold Coast à Southport (Etat de Queensland) en Australie. Il a été arrêté alors qu’il tentait de prendre un vol aller simple à l’aéroport de Brisbane à destination de l’Inde via la Malaisie. Son épouse était retournée en Inde en 2006. Diplômé de l’université de médecine Rajiv Gandhi de Bangalore en 2002, il a ensuite rejoint l’hôpital de Liverpool où il a officié jusqu’en 2006. Répondant à un appel d’offre australien, il a rejoint ce pays cette même année.
Les identités des autres personnes arrêtées en Grande-Bretagne et en Australie n’ont pas été dévoilées.
Quel est l’objectif des terroristes ?
Partant du principe que la programmation de tels attentats nécessite une longue préparation technique (confection des charges explosives, reconnaissance, désignation des cibles, etc.), le moment choisi est révélateur. C’est le nouveau Premier ministre britannique et la politique qu’il va appliquer en Irak et en Afghanistan qui sont visés. En effet, Gordon Brown sait que la position de Londres dans la guerre en Irak est très impopulaire en Grande Bretagne en général et au sein de son électorat en particulier. Les terroristes imaginaient que des attentats causant de nombreuses victimes pourraient le pousser à se désengager d’Irak comme l’Espagne l’avait fait après les attentats de Madrid du 11 mars 2004. Le fait que Glasgow, le plus grand aéroport d’Ecosse, ait été ciblé alors que cette province n’avait jamais été menacée et que les immatriculations des deux Mercedes étaient écossaises sont des messages également révélateurs. En effet, Gordon Brown est lui-même écossais. L’avertissement lui est donc bien destiné !
Par contre, il est peu probable que la nomination de Tony Blair en tant que représentant du quartet (ONU, Etats-Unis, Union européenne et Russie) pour le Proche-orient soit à l’origine de ces actions terroristes. En effet, cette désignation a été connue trop tard pour que les activistes islamiques initient le processus qui devait conduire à ces attentats. Il en est d’ailleurs de même avec l’anoblissement de Salman Rushdie par la Reine. Cependant, ce dernier fait a dû conforter les activistes dans leurs intentions terroristes.
Pourquoi les attentats ont-ils échoué ?
A Londres, en théorie, les deux véhicules auraient dû exploser. Heureusement, ce n’a pas été le cas. A quoi doit-on ce miracle ? Vraisemblablement, les systèmes de mise à feu n’ont pas fonctionné. Les véhicules retrouvés intacts ont livré à la police scientifique une foule d’informations qui ont permis à l’enquête de progresser rapidement. Ainsi, les téléphones portables qui devaient activer les détonateurs comportaient encore des renseignements précieux. En effet, les cartes Sim ont pu être exploitées et ont révélé des identités et des adresses utiles.
A Glasgow, le pire a été évité par une simple borne de sécurité qui a bloqué le 4X4 à l’entrée du hall d’embarquement des passagers. S’il avait réussi à aller plus avant, cela aurait constitué un véritable carnage avec en plus, l’incendie du bâtiment principal de l’aéroport. Les conséquences médiatiques toujours recherchées par les terroristes avides de publicité1 auraient alors été impressionnantes. Les activistes avaient effectué une reconnaissance insuffisante de l’objectif (ou bien, le conducteur a manqué de la dextérité nécessaire pour infiltrer son véhicule à l’intérieur du bâtiment visé). De plus, le déclenchement de l’incendie du véhicule a dû se faire à la main, ce qui semble prouver que le système de mise à feu était, là aussi, défaillant. D’ailleurs, les quatre bouteilles de gaz propane que contenaient le véhicule 4X4, bien qu’exposées à la chaleur intense de l’incendie, n’ont pas explosé.
Il convient de se rappeler que la même « mésaventure » avait été rencontrée par les kamikazes amateurs qui avaient tenté de mener des attentats à Londres le 21 juillet 2005. Ils avaient fait preuve de beaucoup moins de professionnalisme que leurs collègues qui avaient été à l’origine des attentats du 7 juillet. Ces derniers avaient réussi leur coup en provoquant la mort de 56 personnes dans le métro londonien. Il est donc possible que l’on ait également affaire là à des apprentis terroristes qui n’ont pas été assez bien formés (ou qui se sont auto-formés grâce à Internet). Il est vrai que dans le cadre de la guerre déclenchée contre le terrorisme, les forces de sécurité ont neutralisé nombre d’activistes chevronnés. Ceux qui restent sont surtout présents en Irak et en Afghanistan, considérés comme des champs de bataille prioritaires. C’est d’ailleurs le but poursuivi par les Américains, particulièrement en Irak : fixer l’ennemi dans des pays lointains pour préserver le sol national. Ces vétérans sont facilement remplacés car la ressource est immense, mais la qualité n’est actuellement pas là. En effet, ces nouvelles recrues manquent de formation sérieuse n’ayant généralement jamais fréquenté des camps d’entraînement pour djihadistes internationalistes, et surtout, elles n’ont pas l’expérience de leurs anciens. En résumé, ces activistes étaient certainement meilleurs en médecine qu’en technique terroriste.
S’il faut se réjouir de ce fait, il convient de ne pas en déduire qu’il en sera toujours de même. Les nouveaux djihadistes finiront par mener à bien leurs projets car la formation et l’expérience s’acquièrent avec le temps. Il convient donc de rester prudent. Cette cellule avait peut-être d’autres projets en cours dont certains peuvent être menés à bien. C’est pour cette raison que le degré d’alerte en Grande-Bretagne a été relevé au maximum : le niveau « critique ».
Enfin, une partie des activistes qui sont présents sur les théâtres irakien et afghan reviendront un jour en Occident. Ils apporteront avec eux leur savoir-faire acquis sur le terrain. Il faudra alors redoubler de vigilance. Des informations font d’ailleurs déjà état de l’arrivée en Europe, en Afrique et au Proche-orient de quelques vétérans. La donne risque donc de changer rapidement.
*
De l’aveu même des autorités britanniques, plus de 30 tentatives d’attentats ont été déjouées (donc cinq très sérieuses) sur le sol de la Grande-Bretagne depuis le 7 juillet 2005. Ce pays est donc bien un des objectifs prioritaires des djihadistes internationalistes. Sur un plan strictement opérationnel, cet Etat est aussi plus facile à atteindre que les Etats-Unis ou Israël (qui sont le « grand et le petit Satan »). En effet, les activistes peuvent facilement se dissimuler au sein de l’importante communauté immigrée de religion musulmane. Bien sûr, l’immense majorité de cette communauté réprouve les actions terroristes et n’aspire qu’à vivre paisiblement, mais il suffit de quelques illuminés dont la haine anti-occidentale est alimentée par des prêches enflammés qui ont encore lieu, pour pourrir la situation. En effet, un des objectifs des stratèges d’Al-Qaida est de monter les populations musulmanes contre « lesJuifs et les croisés » – et inversement. Des attentats de ce type ne peuvent qu’accroître les risques d’affrontement intercommunautaires.
Nul doute que la nouvelle ministre de l’Intérieur, Jaqui Smith, et le comité Cobra qu’elle préside – il réunit les responsables des services de renseignement, de Scotland Yard et des principaux services gouvernementaux intéressés – auront fort à faire dans l’avenir. La guerre contre le terrorisme n’est pas gagnée, elle ne fait que commencer. En effet, pour les fondamentalistes musulmans, le temps ne se compte pas en années mais en générations !
- 1 L’objectif des groupes terroristes quelque-soit leur obédience, est de faire un maximum de battage médiatique afin de frapper l’opinion publique. C’est pour cette raison que les attentats « réussis » sont les plus spectaculaires. Il faut bien sûr que la presse soit présente. Là où il n’y a pas de presse, les actes terroristes ne servent pas à leurs auteurs qui ont alors tendance à utiliser d’autres moyens comme celui de la guérilla.