Tentative de coup d’Etat en Mauritanie
Alain RODIER
Ould Abdi, le ministre mauritanien de la Communication et porte-parole du gouvernement a annoncé, le 19 mai 2005, que les forces de sécurité avaient empêché la réalisation d’un plan visant à renverser le président Maaouya Ould Sid Ahmed Taya, afin de le remplacer par un gouvernement islamiste radical soutenu en sous main par la mouvance Al-Qaeda.
Des perquisitions menées dans une douzaine de mosquées de Nouakchott 1 , le 12 mai, ont permis de découvrir le complot ourdi par des islamistes radicaux. Au cours de cette opération, plusieurs responsables religieux ont été appréhendés.
Depuis avril, plus d’une quarantaine de personnes ont ainsi été arrêtées, soupçonnées de fomenter un complot contre le pouvoir en place. Parmi elles se trouvent l’ancien ambassadeur Moctar Ould Mohamed Moussa et l’imam Mohamed El-Hacen Ould Dedow, une autorité religieuse très influente et reconnue.
Les perquisitions font suite à l’arrestation en avril, à Nouakchott, de 7 activistes. Ils ont été inculpés le 9 mai pour avoir suivi un entraînement militaire dans le Sud de l’Algérie auprès de militants du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), mouvement radical algérien connu pour être une émanation d’Al-Qaeda. Les opérations de police sont également liées au fait qu’une gendarmerie a été attaquée dans le sud-ouest du pays en avril. Des armes y ont été dérobées par les assaillants. Autre signe inquiétant, depuis quelques temps, de grandes quantités d’explosifs industriels ont également été dérobées.
Selon les autorités mauritaniennes, une organisation extrémiste islamique, appuyée financièrement par Al-Qaeda, recruterait des jeunes, via les mosquées, et les enverrait combattre en Irak et en Afghanistan. Un certain nombre de membres de cette organisation clandestine proviendrait des rangs des Cavaliers du Changement (Foursan Taghyir) ; ce groupe a déjà tenté d’assassiner le président Taya, le 8 juin 2003, afin de s’emparer du pouvoir. Si de nombreux insurgés ont été arrêtés après cette tentative, beaucoup d’autres ont trouvé refuge au Sénégal, puis se sont installés à la frontière mauritano-malienne. Depuis, ces clandestins parcourent la zone sahélienne, trouvant un appui politique auprès de Moustapha Ould Liman Chaffi, un opposant politique du président Taya, devenu conseiller de Blaise Compaoré, le président du Burkina Faso. Forts du soutien discret de cet Etat, les Cavaliers du Changement ont tenté de nouvelles actions violentes début août et fin septembre 2004. Les forces de sécurité ont alors arrêté de nombreux activistes de ce mouvement dont l’un de ses deux membres fondateurs : le commandant Mohamed Ould Hanena. Par contre, Mohamed Ould Cheikhna, l’autre dirigeant de ce groupe, est toujours en fuite.
Le président Taya a aussi profité de l’occasion pour s’en prendre à son opposition en faisant incarcérer un certain nombre de ses leaders pour « trahison ». A noter qu’une ordonnance du 25 juillet 1991 stipule que « l’Islam ne peut être l’apanage exclusif d’aucun parti politique », ce qui empêche de facto la création de tout parti islamique. Il semble cependant que de nombreux radicaux se retrouvent au sein du Parti de la convergence démocratique (PCD), actuellement non reconnu par le pouvoir.
Si le gouvernement mauritanien fait un rapide amalgame entre islamistes (le Al-Hazb Al-Islami est le mouvement le plus ancien créé en 1991), mouvements d’opposition et Al-Qaeda, il n’en reste pas moins que l’influence des radicaux ne fait que s’accroître dans le pays par le biais des mosquées de tendance wahhabite et des écoles coraniques qui sont financées par des Etats du Golfe. Cette situation est particulièrement sensible dans villes comme Nouakchott, Nouadhibou, Rosso, Zouérat et au sein de la population des Haratines, qui constitue le sous-prolétariat urbain. Les jeunes, confrontés à une crise économique grave et victimes d’un chômage dont ils ne peuvent sortir, sont sensibles à certains prêches enflammés d’imams formés à l’étranger.
Paradoxalement, alors que le pays se nomme officiellement « République Islamique de Mauritanie », le président Taya mène une politique très personnelle dont le but essentiel semble être de se maintenir au pouvoir à tout prix. Il a pris ses distances avec la France en signe d’indépendance vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. Ainsi, l’enseignement ne se fait plus qu’en arabe, si bien que les jeunes n’apprennent plus le français, ce qui nuit encore plus à leurs possibilités de débouchés professionnels. Taya s’est résolument tourné vers les Américains et bénéficie des subsides du plan d’assistance militaire « Pan-Sahel », qui permet à ces derniers de s’implanter durablement dans une zone d’influence française où des gisements de pétrole ont été découverts. Ce dispositif est le pendant ouest-africain du Combined Joint Task Force (CJTF), qui opère dans la Corne de l’Afrique, depuis Djibouti. Ces deux structures sont dirigées par l’European Command basé à Stuttgart, en Allemagne. Par ailleurs, la représentation israélienne à Nouakchott a été élevée au rang d’ambassade, au grand mécontentement des islamistes, y compris de ceux qui sont jugés comme modérés.
Le danger représenté par la mouvance Al-Qaeda semble écarté du Sahel, en raison des actions énergiques des Etats-Unis et de la France, soutenus par les gouvernants en place, colonel Khadafi y compris. Toutefois, le pouvoir sans partage du président Taya, la corruption d’une partie des classes dirigeantes mauritaniennes 2 la pauvreté et le chômage font le lit des islamistes, dont l’influence est grandissante dans le pays. La situation sécuritaire est donc jugée préoccupante par Washington qui craint qu’une déstabilisation de la Mauritanie ne s’étende aux Etats voisins (Maroc notamment).