Téhéran défie ouvertement le président Barack Obama
Alain RODIER
Les résultats des élections présidentielles iraniennes qui se sont tenues le 12 juin 2009 constituent un véritable défi que lance le pouvoir des mollahs au président Barack Obama et à sa politique de proposition de dialogue.
En effet, il est de notoriété publique qu'en Iran, le vote dit « démocratique » n'est en réalité qu'un subterfuge pour imposer la volonté du Guide suprême de la Révolution iranienne, Ali Khamenei. Dans les faits, c'est ce dernier qui décide à l'avance quelle marionnette sera élue au poste de président de la République. La liberté d'action de ce dernier est donc très limitée, le Guide ayant notamment la faculté d'interdire toutes les lois et initiatives qui ne lui conviennent pas. En fait, ces élections permettent au Guide suprême d'adresser aux dirigeants mondiaux en général, et occidentaux en particulier, une sorte de message subliminal qui leur dévoile quelle est sa volonté politique pour les quatre années à venir – le temps du mandat présidentiel.
En l'espèce, l'ayatollah Khamenei a décidé de répondre aux propositions d'ouverture faites par la nouvelle administration américaine en affirmant trois points :
– il est désormais hors de question de négocier quoique ce soit en ce qui concerne le programme nucléaire en cours de développement en Iran ; selon ses instructions, Mahmoud Ahmadinejad proclamait depuis un certain temps que « le problème a déjà été réglé » ;
– Téhéran est prêt à parler des problèmes internationaux (« la gestion mondiale, la paix et la sécurité durable ») dans la mesure où l'Etat iranien est reconnu comme une puissance mondiale et pas uniquement régionale ;
– Le régime des mollahs considère toujours les Etats-Unis – même dirigés par le président Obama – comme leur ennemi prioritaire (le « Grand Satan »), sous-entendant qu'Israël reste le deuxième sur la liste (le « petit Satan »).
Des élections truquées
Les élections en Iran ont toujours été truquées d'une manière ou d'une autre. Depuis la révolution, c'est le Guide suprême qui choisit en fin de compte les candidats qui se présentent. Ainsi, les quatre retenus (Mir Hossein Moussavi, Mehdi Karroubi, Mohsen Rezaï et Mahmoud Ahmadinejad) l'ont été parmi 250 postulants dont les dossiers ont été soigneusement épluchés par le Conseil des gardiens de la Constitution (Choura-e Negahban) dont les membres sont nommés directement (pour six d'entre eux) ou indirectement (pour les six autres) par le Guide. Au final, ce dernier affiche officiellement sa préférence. C'est ainsi qu'il a soutenu la candidature d'Ahmadinejad.
Ses plus fidèles serviteurs, les pasdaran et les miliciens bassij votent alors dans le sens désigné, ce qui fait plusieurs millions de bulletins dans l'urne ! Ensuite, le ministère de l'Intérieur se charge de vérifier que les résultats sont conformes avec ce qui a été décidé par le Guide. Lors de ces dernières élections présidentielles, il a même fait un peu de zèle. L'ayatollah Khamenei avait demandé que la participation soit de 75% et que Mahmoud Ahmadinejad soit élu dès le premier tour. Les résultats officiels qui ont pris en compte un certain nombre de manipulations techniques (bourrages d'urnes, intimidation d'opposants, manque de bulletins de vote pour des candidats d'opposition, décomptes trafiqués, etc.) ont donné une participation de 85% – soit dix points de mieux que demandé – et 62,63% de bulletins pour Ahmanidejad alors qu'un pourcentage de 51/55% auraient suffi et aurait pu un peu mieux donner le change ! Résultat de cet empressement à satisfaire les désirs de l'ayatollah Khamenei : la fraude est évidente et personne n'est vraiment dupe.
L'apparence de la démocratie est battue en brèche
Le second candidat en lice, Moussawi a tout de même obtenu 33,75% des suffrages exprimés – par le pouvoir.
Le danger n'était pas bien grand car Moussawi, à l'inverse de ce que nombre de medias occidentaux affirment, n'est pas un modéré. Une radio française bien connue l'a d'ailleurs qualifié de « conservateur modéré », ce qui est une appellation intéressante à retenir. Moussawi qui fut le dernier Premier ministre iranien de 1981 à 1989, le poste étant ensuite supprimé, est un homme issu du « système ». Il n'a d'ailleurs pas fait mystère du fait que, s'il était élu, le programme nucléaire iranien se poursuivrait normalement. Une fois le résultat des élections connu, il a appelé ses supporters à éviter toute violence et à continuer la lutte légalement. Cette deuxième partie de déclaration est une erreur individuelle qui va peut-être lui coûter très cher dans l'avenir.
Même les démonstrations violentes qui ont largement été diffusées sur les chaînes de télévision et la toile laissent perplexes. Comment un Etat aussi policier que l'Iran a t-il pu laisser se déclencher des troubles, et encore plus, permettre leur diffusion visuelle à l'étranger. En effet, les autorités iraniennes ont les moyens techniques de couper tous liens avec l'extérieur, ce qu'elles ne se sont pas gênées de faire pour les téléphones portable le samedi 13 juin.
Certains opposants iraniens en exil affirment que ces mouvements de foules « spontanés » sont le fait de miliciens bassij qui ont joué, sur ordre, le rôle de provocateurs. Cela a permis par la suite aux forces de sécurité d'avoir le bon prétexte pour effectuer un tour de vis répressif dans les milieux de tous ceux qui s'opposent plus ou moins directement au régime des mollahs. Un certain nombre de nouveaux jeunes opposants qui ont cru en ce mouvement de révolte, ont ainsi pu être identifiés et neutralisés. Même Moussawi peut connaître des problèmes. En effet, si ce fidèle des mollahs est puni, cela constituera un exemple qui étouffera dans l'œuf toute velléité de dérive contestataire dans les années à venir.
Si tout cela se confirme, il s'agit alors d'un plan vraiment machiavélique destiné à neutraliser pour longtemps toute opposition intérieure, aussi minime soit-elle. Cette tactique a déjà été mise en oeuvre du temps du « président réformateur » Mohammad Khatami (1997-2005). C'est en effet sous le règne de ce mollah très bien vu à l'étranger pour son « réformisme » que le plus grand nombre d'arrestations politiques ont eu lieu – les opposants au régime étant alors assez mis confiance pour se montrer au grand jour, ce qui parait être également le cas aujourd'hui – et, accessoirement, que le programme nucléaire militaire est reparti !
Un échec pour la politique étrangère américaine
La politique d'ouverture prônée par le président Obama lors de son discours du 4 juin 2009 délivré au Caire semble rencontrer sa première difficulté sérieuse. Le président Obama pensait pourtant avoir convaincu les électeurs iraniens de se détourner des extrémistes anti-américains. Il a même déclaré peu avant le scrutin : « ce qui a été vrai au Liban [1] peut-être vrai aussi en Iran […] On voit des gens qui cherchent de nouvelles possibilités… ». En Iran, les limites de l'ouverture semblent être atteintes, tant l'adversaire est subtil.
Ahmadinejad, maintenant réinvesti à son poste pour quatre ans, s'est toujours dit prêt à débattre de la paix mondiale et de la stabilité avec Washington, mais aux Nations Unies et pas lors de négociations organisées par les Etats-Unis. L'objectif du régime des mollahs est d'être reconnu sur l'ensemble de la scène internationale : les Nations Unies sont la meilleure tribune pour cela. Il est donc peu probable que les choses évoluent notablement lors de la prochaine réunion des ministres des Affaires étrangères des huit, fin juin à Trieste. Pour Téhéran qui y a été convié, l'audience offerte serait trop faible !
Toutefois prudente, l'administration américaine s'est dite prête, avant les élections, à poursuivre sa politique d'ouverture vers l'Iran quelle que soit la faction parvenue au pouvoir. Par contre elle a donné comme limite la fin de l'année 2009 pour obtenir des résultats dans le domaine des négociations sur le nucléaire iranien. Après, des sanctions énergiques devraient être prises… Malheureusement, on connaît le résultat de telles mesures adoptées dans le passé, par exemple à l'égard de la Corée du Nord.
Il est possible que l'ayatollah Khamenei ait mis intentionnellement la barre un peu haut. Les ambitions affichées ont probablement pour but de lui donner une marge de manœuvre pour des négociations, Téhéran se contentant à terme d'avoir une influence régionale majeure. Cet objectif est primordial aux yeux des mollahs qui ont toujours eu, vraisemblablement à juste titre, un complexe de « nation assiégée ». Non seulement des bases militaires américaines réparties dans la zone et la présence de la Ve Flotte sont ressenties comme des menaces militaires directes, mais l'Afghanistan et encore plus le Pakistan sont des pays que craignent les mollahs. En effet, un retour au pouvoir des taliban à Kaboul et une accession de leurs frères pakistanais à la tête de l'Etat à Islamabad sont des craintes très présentes dans la tête d'Ali Khamenei. En effet, si historiquement les chiites iraniens n'entretiennent que peu de velléités à l'égard des sunnites, l'inverse n'est pas vrai, particulièrement en ce qui concerne les taliban qui nourrissent un véritable ressentiment vis-à-vis de l'Iran, qui date du début des années 1990. Or, Washington s'est déclaré prêt à négocier avec des taliban « modérés » [2]. Ce fait renforce le peu de confiance qu'entretient le paranoïaque Ali Khamenei à l'égard de Washington. Il reste persuadé que le géant américain souhaite, bien qu'il s'en défende, la chute pure et simple de la théocratie iranienne. C'est d'ailleurs pour cette raison que s'est tenue le 24 mai 2009, à Téhéran, une réunion tripartite qui a rassemblé le président afghan Hamid Karzaï, son homologue pakistanais Asif Zardari et Mahmoud Ahmadinejad. Le but de cette rencontre était d'élaborer une stratégie susceptible de résoudre les problèmes de la région, en particulier celui des taliban. A cette occasion, le Guide suprême a déclaré que l'intervention américaine était la source même des problèmes auxquels était confrontée la région. Il en a profité pour réclamer le départ de toutes les forces américaines, ce qui desserrerait un peu l'étau du côté est de l'Iran.
A l'extérieur, Téhéran se sent aujourd'hui en position de force. En effet, l'attitude d'ouverture du président Obama est considérée comme un aveu de faiblesse. A noter que c'est également vrai dans la rue arabe. Si le président Bush avait réussi à faire l'unanimité dans la haine de sa personne, la politique étrangère de son successeur déconsidère les Etats-Unis dans les yeux des islamistes radicaux et même chez les plus modérés.
Les mollahs, qui ont cru un temps à une intervention militaire américaine sur leur sol sont désormais convaincus que cette « option n'est plus sur la table », pas parce que Washington ne le veut pas, mais parce qu'il ne le peut pas. Quand on ne peut faire la guerre à un adversaire, on est bien obligé de négocier et c'est ce que tente de faire le président Obama… Il reste l'incertitude israélienne. Cependant, sans accord formel de Washington, on voit assez mal comment l'Etat hébreu pourrait s'y prendre, rien que sur le plan strictement tactique.
Se sentant renforcés à l'extérieur, les mollahs vont se retourner contre tout ce qui leur paraît représenter un risque à l'intérieur. La répression des velléités séparatistes va être sévère. Tout ce qui est considéré comme un danger pour l'avenir du régime théocratique va être impitoyablement combattu. En un mot, une chape de plomb va retomber sur l'Iran. D'ailleurs, Ali Khamenei l'a proclamé : le résultat de ces élections constituent une « troisième révolution », la deuxième ayant été la prise d'assaut de l'ambassade américaine en novembre 1979. Et à la différence de beaucoup de dirigeants politiques, particulièrement occidentaux, les leaders iraniens ont pour habitude de faire ce qu'ils disent !