Syrie : la guerre au sol acharnée
Alain RODIER
Le général Qassem Suleimani en compagnie de Faleh Hasan Khazali,
le chef de la milice irakienne Kata’ib Sayyid al-Shuhada (à gauche), lors de la bataille d’Alep.
Les attentats de Paris désignent l’Etat islamique (EI ou Daesh) comme commanditaire. Il peut être utile de résumer la situation qui prévaut actuellement en Syrie pour tenter de comprendre pourquoi les dirigeants du mouvement salafiste-djihadiste ont lancé une vague terroriste à l’extérieur de leur berceau syro-irakien : contre l’Airbus russe à Charm-el-Cheikh, contre le Hezbollah à Beyrouth, contre les Irakiens à Bagdad, puis contre les Français à Paris. Malheureusement, il est vraisemblable que d’autres actions du même type soient déclenchées dans un proche avenir.
Depuis l’intervention de l’armée russe en Syrie, le régime a lancé de multiples opérations au sol afin de reconquérir une partie du terrain perdu progressivement depuis des mois. Il est appuyé en cela par des conseillers des pasdaran iraniens, des unités du Hezbollah libanais et des milices chiites irakiennes – ainsi que quelques Afghans – qui servent de troupes de choc. Les chasseurs bombardiers et hélicoptères russes ont deux missions : frapper les djihadistes dans la profondeur mais aussi appuyer au plus près les troupes au sol. Pour cette dernière mission, les équipages prennent des risques énormes en volant au plus bas afin de délivrer des tirs les plus précis possibles, l’emploi des bombes guidées – trop rares – étant réservé à des objectifs importants décelés dans la profondeur.
Toutefois, les positions ne sont pas linéaires, les combattants des deux bords étant trop peu nombreux pour occuper tout le terrain. Il en découle une mobilité des lignes qui se modifient au fil des avancées des uns ou des autres. Si les forces régulières sont appuyées par les aéronefs russes et syriens – quelques appareils du régime étant encore en état de voler -, les rebelles ont reçu de nombreux armements antichars, dont des missiles guidés TOW dont ils font en emploi massif. Ils sont ainsi parvenus à détruire 123 blindés courant octobre, ce qui entrave considérablement les opérations mécanisées lancées par l’armée de terre syrienne. Enfin, les populations civiles, comme dans toutes les guerres civiles, se retrouvent coincées entre les différents protagonistes ne trouvant souvent leur salut que dans la fuite. C’est ainsi que plus de 7,6 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays, trouvant refuge soit dans des zones contrôlées par le gouvernement, soit à la frontière turque. Environ quatre millions sont exilées à l’étranger, en particulier au Liban, en Jordanie et en Turquie. Depuis 2011, plus de la moitié de la population syrienne est donc déplacée !
– Région d’Alep. Des combats très durs ont lieu dans la région d’Alep où les unités de Dames sont partiellement assiégées. Depuis le début de l’intervention russe, Daesh a lancé une offensive vers Alep et se retrouve aujourd’hui au sud de la ville ayant conquis les villages de Safira et de Itirya. Les combats ont lieu pour maintenir ouvertes les rares routes d’approvisionnement, les rebelles de la coalition Jaish al-Fateh (L’Armée de la conquête, proche d’Al-Qaida « canal historique »[1]), du mouvement Fatah Halab (Conquête d’Alep[2]) ou de l’Etat islamique parvenant les interrompre régulièrement.
Au sud de la ville, la 4e division blindée appuyée par des milices locales, des forces du Hezbollah libanais et des conseillers iraniens tente de desserrer l’étau dans la région du village de Talayat qui a changé plusieurs fois de main.
Les unités loyalistes de la Cheetah force sont parvenues à effectuer la jonction avec la base aérienne de Kuwerie, située à l’est de la ville, dont la garnison forte de 300 à 500 combattants était assiégée depuis 2013. Elles tentent également de pousser vers les villages de Nubl et Zarai au nord-ouest. Les forces gouvernementales appuyées par les pasdaran et des milices irakiennes – dont la Harakat al Nujabat – tentent aussi de progresser vers le sud-ouest. Elles se sont emparées du village Al-Hadher à partir duquel elles sont parvenues à couper l’autoroute M5 par où transite une grande partie des approvisionnements destinés aux rebelles depuis la ville d’Idlib.
Les combats sont si rudes que les conseillers iraniens dispatchés dans les différentes unités ou auprès des milices chiites connaissent de lourdes pertes quotidiennes. Nombre d’officiers généraux et supérieurs ont ainsi trouvé la mort en octobre et novembre provoquant d’ailleurs une vague de mécontentement au sein de ce corps d’élite[3].
– Lattaquié. La 103e brigade de la Garde républicaine[4] appuyée par des milices des Forces de défense nationale et du parti Baas vise la localité stratégique de Salma, dans les montagnes kurdes de Jabal Al-Akrad, avec comme objectif final la reprise de la ville de Jish Al-Shugour. Mais les rebelles de l’Armée de la conquête et de la 1e brigade côtière (ASL) sont solidement retranchés sur les hauteurs.
– Province de Hama. Tous les gains réalisés par les forces gouvernementales mi-octobre auraient été reperdus début novembre, Jund al-Aqsa s’emparant notamment de la localité de Moreq sur l’autoroute qui relie Hama à Alep. Les forces syriennes ont le plus grand mal à progresser dans cette région à majorité sunnite, les milices chiites étant particulièrement honnies par les populations locales. Les Russes ont détaché des hélicoptères sur l’aéroport militaire de Hama pour appuyer au plus près les troupes au sol.
– Damas. La coalition Jund al Malahim (Les soldats de l’aventure) qui regroupe le Front al-Nosra, Ahrar al-Sham et Ajnad al Sham, s’est formée dans le quartier de la Ghouta. Toutefois, le plus important mouvement rebelle, le Jaish al-Islam, n’en fait pas partie. Daesh est aussi présent dans les camps de réfugiés palestiniens.
Le 12 novembre, la 105e brigade mécanisée de la Garde républicaine appuyée par les Forces de défense nationale et des groupes palestiniens a repris la base aérienne Majr Al-Sultan, située dans le quartier occidental de Deir Salman (La Ghouta Est) occupée par Jaish al-Islam depuis 2012[5].
– Région de Palmyre. La 167e brigade de la 18e division blindée a reçu le renfort, début novembre, du 555e régiment aéroporté dépendant de la fameuse 4e division blindée. Ces unités se sont emparées du village de Qasr Al-Hayr, situé à l’ouest de Palmyre. Des voilures tournantes ont été dépêchées sur la base de Tiyas, située à l’ouest de Palmyre, afin d’appuyer l’offensive. Mais Daesh a poussé vers le sud-ouest et menace directement l’autoroute M5 qui relie Damas à Homs, à hauteur d’Hasiya. Des hélicoptères ont donc été dépêchés en catastrophe à la base aérienne de Shariat au sud de Homs et sur l’aéroport de Damas pour tenter d’endiguer cette infiltration.
– Deir ez-Zor. La 104e brigade mécanisée de la Garde républicaine, la 137e brigade mécanisée de la 17e division de réserve mécanisée[6] assiégées sur la base aérienne située au sud-est de la ville (elle-même aux mains des forces loyalistes) résistent à de nombreux assauts lancés par Daesh.
– Région de Deraa. L’opposition, regroupée au sein du Front sud formé essentiellement de la Liwa al-Yarmouk (Brigade d’Al-Yarmou/ASL) et du Front al-Nosra, subit les assaut de la 5e division mécanisée appuyée par des éléments du Hezbollah et les milices gouvernementales.
Les forces régulières gouvernementales syriennes sont en sous-effectif et épuisées par quatre années de guerre. Le recrutement se fait difficilement, les jeunes préférant tenter de migrer vers l’Europe que rejoindre les rangs de l’armée. Mais les succès rencontrés devraient faire remonter le moral des troupes d’autant que les salafistes-djihadistes de Daesh ont également essuyé un revers en Irak voisin : le perte de Sinjar, repris par les peshmergas kurdes appuyés par l’aviation américaine.
- [1] Les mouvements principaux de cette coalition sont le Front al-Nosra (le représentant officiel d’Al-Qaida en Syrie) et Ahrar al-Sham, groupe est noyauté par des cadres provenant de la nébuleuse islamique. Une nouvelle alliance a été crée en juillet entre les deux formations sous le nom Ansar al-Sharia.
- [2] Coalition formée d’une quarantaine de groupes dont dix-neuf se revendiquent de l’Armée syrienne libre (ASL). Elle a exclu le Front al-Nosra afin de pouvoir être soutenue directement par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie.
- [3] Cela s’est traduit par des demandes de mise à la retraite anticipée pour certains cadres qui sont très réticents à combattre sur le front syro-irakien.
- [4] La Garde républicaine, forte aujourd’hui de 15 000 hommes majoritairement alaouites, est composée des 101e et 102e régiments de sécurité ; des 103e, 104e, 105e et 106e brigades mécanisées ; et du 100e régiment d’artillerie.
- [5] C’était une des premières installations militaires syriennes à tomber dans les mains des rebelles qui portaient alors le nom de Liwa al-Islam
- [6] Les autres unités de cette division (93e brigade blindée, 154e régiment des forces spéciales et 121e régiment d’artillerie) ont pour ainsi dire été dissoutes, les éléments restant venant épauler la 137e brigade mécanisée.