Syrie/Israël : opération “homo“ probable contre un scientifique syrien
Alain RODIER
Le scientifique syrien Aziz Esber a été assassiné le samedi 4 août, près de la ville de Masyaf, dans la province de Hama. Une bombe aurait été déposée dans l’appui-tête de son véhicule personnel, ce qui rappelle étrangement la méthode employée lors de l’assassinat, en février 2018, d’Imad Mugniyeh[1] à Damas. Le chauffeur d’Esber ayantaussi été tué par l’explosion, l’hypothèse de l’utilisation d’une mine télécommandée déclenchée au passage du véhicule, circule également dans les milieux autorisés. Une revendication a été émise aussitôt par la Brigade Abou Amara, une faction islamique qui a rejoint en 2017 le Hayat Tahrir al-Cham, mouvement héritier du Front al-Nosra, très actif dans la province d’Idlib située au nord-ouest de la Syrie. Toutefois, cela semble être un leurre destiné à égarer les observateurs.
Aziz Esber, natif de Tartous, était un scientifique de haut niveau ayant obtenu deux doctorats (dont, semblerait-il, un en France). Très récemment, il était responsable du développement des missiles syriens, en particulier de la modernisation du Fateh 110 en M-600 Tishreenpouvant emporter une charge militaire de 450 kilos à 250 kilomètres. Auparavant, il aurait aussi dirigé le « Comité de coordination Iran » chargé de réceptionner et de redistribuer les armes en provenance d’Iran, en particulier à destination du Hezbollah libanais.
Esber dirigeait à Masyaf l’antenne numéro 4 du Centre d’études et de recherche scientifique (CERS), l’agence syrienne chargée du développement des armes non conventionnelles. Ces installations avaient été visées à plusieurs reprises par l’aviation israélienne, le dernier raid datant du 22 juillet 2018. Selon la rumeur, il avait toute la confiance du clan Assad et entretenait des rapports privilégiés avec Téhéran, ce qui en faisait une cible de choix pour le Mossad qui mène une guerre secrète active contre l’Iran et ses alliés.
Ainsi, le 30 avril 2018, Benjamin Netanyahu a officiellement expliqué comment les services israéliens ont été capables de dérober 55 000 pages de documents, 55 000 dossiers et 183 CD d’un entrepôt iranien situé à Téhéran et de rentrer tranquillement au pays pour les exploiter. Selon lui, les informations recueillies prouvent la poursuite du programme nucléaire iranien en dépit de l’accord JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) signé en 2015 entre Téhéran et les pays membres du Conseil de Sécurité de l’ONU plus l’Allemagne. À la grande satisfaction d’Israël, le président Donald Trump a dénoncé cet accord en 2018 rétablissant les sanctions contre la République islamique d’Iran.
Dans le cadre de cette guerre secrète, sept scientifiques iraniens ont été assassinés ces dix dernières années en Iran[2]. À la suite de ces actions, Téhéran a été obligé d’accroître significativement la protection des personnalités jugées sensibles car d’évidence, l’État hébreu est d’une grande efficacité en la matière. Il semble que les Syriens ont encore des progrès à faire afin de protéger également leurs savants. Sous la présidence Obama, Washington avait marqué un temps sa désapprobation à la poursuite de ce type d’opération visant des scientifiques iraniens. Le Mossad aurait donc„“levé le pied“ en ce qui les concerne, mais les Syriens ne font vraisemblablement pas partie de l’accord tacite conclu entre les Washington et Tel Aviv.
Plus que la perte d’un expert, aussi bon soit-il, Israël envoie des messages à ses voisins en menant ce type d’action : l’État hébreu est capable de frapper à tout moment qui il veut et là où il le veut. Personne n’est à l’abri. Il est évident que cette guerre secrète va perdurer dans les années à venir. Les différents responsables politiques de la zone en sont parfaitement conscients et prennent toutes les mesures nécessaires en conséquence. C’est-à-dire qu’ils « n’oublient pas » de discuter avec l’État d’Israël, acteur incontournable, même si cela passe par des voies détournées.
[1] Le responsable des opérations extérieures du Hezbollah libanais.
[2] Dont Mostafa Roshan en 2012 et Majid Shahriari en 2010, deux spécialistes du domaine nucléaire.