Syrie/Chine : une entente discrète mais réelle
Alain RODIER
Une rumeur persistance fait état de l’envoi prochain des membres des forces spéciales chinoises en Syrie pour épauler les unités gouvernementales dans leur guerre contre les rebelles. Pékin surveille en effet avec attention le millier de combattants étrangers ouigours1 qui sont présents au sein du Mouvement islamique du Turkestan oriental (East Turkestan Islamic Movement, ETIM), en particulier dans la province d’Idlib, située au nord-ouest du pays. Ce mouvement qui a pour objectif final l’indépendance de la province du Xinjiang où la charia serait établie, est traditionnellement lié à Al-Qaida « canal historique ». Ses combattants ont tout d’abord été vus au Pakistan et en Afghanistan aux côtés du Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO), puis ils sont apparus en Syrie, vraisemblablement acheminés et soutenus par les services secrets turcs qui se sont servis pour cela d’organisations « humanitaires » non gouvernementales. Officiellement, cela s’est terminé le 3 août 2017 quand l’ETIM a enfin été reconnu comme « terroriste » par Ankara.
Pékin aurait désigné pour cette mission en Syrie des éléments des forces spéciales de la province du Liaoning, les « Tigres de Sibérie » – qui dépendent de la marine – et de la province de Ganzou, les « Tigres de la nuit ». Ils devraient s’intégrer aux différentes unités présentes autour de la province d’Idlib : l’armée régulière mais aussi les milices étrangères présentes depuis des années (Hezbollah libanais, Irakiens, Afghans, Pakistanais, Iraniens).
En fait, quelques 300 instructeurs chinois sont déja discrètement présents dans l’ouest de la Syrie et à Damas depuis plus d’un an. Ils été officiellement envoyés pour former les Syriens dans des domaines “non combattants“ comme le soutien médical ou la logistique. Certains stagiaires syriens auraient même été envoyés s’instruire en Chine. Il est à noter que des armes chinoises – dont des missiles anti-aérien portable FN-6 – ont été jusque-là surtout vues entre les mains des insurgés. Ces dernières auraient fait l’objet de différents trafics, les autorités chinoises ne surveillant pas de près les certificats de d’utilisateurs finaux (End user certificates) qui théoriquement doivent être signés avec les pays acheteurs.
Depuis le début de la guerre civile syrienne, Pékin a joint ses vetos à ceux de Moscou contre toutes les résolutions coercitives qui ont été présentées au Conseil de sécurité des Nations Unies à l’encontre le régime de Bachar El-Assad. Pékin a par ailleurs toujours maintenu des relations diplomatiques avec Damas. Un envoyé spécial a même été désigné en la personne de Xie Xiaoyan, qui effectue régulièrement la navette entre les deux pays. Cela dit, jusque là, la Chine a pris garde de ne pas froisser les pays du Golfe persique dont elle est très dépendante pour ses approvisionnements en hydrocarbures.
La Chine propose désormais de participer à la reconstruction des zones « libérées » de Syrie, notamment aux côtés de la Russie, de l’Iran et du Brésil. Ces derniers pays étaient très représentés par leurs industriels lors de la première foire commerciale internationale qui s’est tenue en août dernier à Damas. Le point positif pour Pékin réside dans le fait que quatorze pays – majoritairement occidentaux et du Golfe persique – refusent de participer à cette reconstruction dont le coût est estimé à plus de 300 milliards de dollars. Ils exigent qu’au préalable un processus de changement politique soit initié, en clair que Bachar el-Assad quitte le pouvoir. Le conseiller pour la Sécurité nationale américain, H.-R. McMaster, a même déclaré le 19 octobre que « nous nous assurerons que pas un dollar n’ira à la reconstruction de quoique ce soit si c’est sous le contrôle de ce régime brutal ». Autant dire que cela ferme beaucoup d’opportunités à des sociétés étrangères qui effectuent leurs échanges en monnaie américaine ! Mais il s’agit d’une véritable aubaine pour Pékin qui voit ainsi beaucoup de ses concurrents commerciaux éliminés !
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Les sanctions américaines importent peu à Pékin qui entend faire de la Syrie un des terminaux méditerranéens de son projet titanesque appelé One Belt One Road, plus connu sous le nom de “Nouvelle route de la soie“. Ce projet lancé en 2013 par le président Xi Jinping a pour objectif de relier la Chine à l’Europe par voies terrestre et maritime.
Jusqu’à présent, la Chine était le seul pays membre du Conseil de sécurité de l’ONU à ne pas être engagé militairement en Syrie. Si la rumeur2 – certes démentie par Pékin – de déploiement de forces spéciales chinoises s’avère exacte, cela ne sera plus le cas. Mais cela ne devrait pas avoir une importance stratégique significative. Raqqa étant tombée, les Américains ont retiré 400 artilleurs devenus inutiles ; de même, les Russes ont annoncé une diminution de leurs effectifs. Les Chinois qui arrivent ne vont pas occuper les mêmes créneaux tactiques. Ce qui semble certain, c’est que les services chinois, syriens, irakiens et russes coopèrent étroitement pour identifier les djihadistes de manière à les neutraliser avant qu’ils ne rentrent dans leurs pays respectifs.
- Les autorités syriennes avancent le chiffre de 5 000 hommes mais il semble qu’il soit considérablement exagéré pour des raisons de propagande. ↩
- Déjà une fausse information avait circulé en décembre 2015 concernant l’arrivée du porte-aéronefs Liaoning (CV-16) sur les côtes syriennes. Il s’agissait à l’époque d’une grossière intoxication de la presse israélienne. ↩