Syrie : assassinat d’un cadre du Hamas
Alain RODIER
Mercredi 27 juin, en fin d'après-midi, un commando pénètre en force dans l'appartement d'un immeuble situé dans le camp de réfugiés palestiniens d'Al-Yarmouk, près de la localité de Qudsaya, à sept kilomètres à l'ouest de Damas. Les assaillants assassinent son occupant, Kamal Hussein Ghanaja, vraisemblablement à l'arme blanche. Une fois leur forfait effectué, ils repartent, en prenant soin de tenter de mettre le feu à l'habitation de manière à effacer leurs traces. Toutefois, ils n'emportent pas les armes, l'ordinateur portable et l'argent qui se trouvent dans l'appartement. Ce fait semble écarter la version d'un crime purement crapuleux. Le cadavre en partie carbonisé de Ghanaja sera retrouvé dans un placard. Il porte des signes de tortures dont des brûlures de cigarettes. Les obsèques de Ghanaja ont lieu le jeudi 28 juin en Jordanie en raison de l'insécurité qui règne en Syrie.
Ghanaja – plus connu sous le pseudonyme de Nizar Abou Moujahid – aurait été l'ancien adjoint de Mahmoud Abdel Rauf al-Mabbou, lui-même vicitme d'une opération homo attribuée au Mossad, le 19 janvier 2010, dans sa chambre de l'hôtel Al Bustan Rotana, à Dubaï. Selon Yisrael Hasson, un politicien hébreu et ancien adjoint du chef du Shin Beth, le service de renseignement intérieur israélien, Ghanaja avait remplacé
al-Mabbou après la mort de ce dernier. Il avait notamment en charge l'approvisionnement du Hamas en « armes spéciales ». Ces matériels proviendraient clandestinement de Libye, d'Iran et de Syrie. Les Israéliens croient qu'il se serait procuré des missiles anti-char ainsi que des armes anti-aériennes portables. A l'évidence, Ghanaja constituait une cible de choix pour les services spéciaux israéliens.
Qui est derrière cet assassinat ?
Prudents, les responsables du Hamas attendent le résultat de l'enquête pour se prononcer officiellement bien que certains montrent du doigt le Mossad. En effet, on ne prête qu'aux riches !
Bien que les Israéliens se réjouissent ouvertement de la disparition de cet individu – le ministre de la Défense Ehud Barak déclarant même qu'il ne s'agissait en aucun cas d'un saint -, il semble, une fois n'est pas coutume, que le Mossad n'est vraisemblablement pas derrière cet assassinat.
En effet, les opérations homo comme les attentats terroristes, portent généralement une « signature ». Le Mossad agit, quoiqu'en disent ses détracteurs, avec un très grand professionnalisme qui certes, n'empêche pas quelques erreurs ponctuelles comme celles survenues lors du meurtre d'al-Mabbou. « Il n'y a que ceux qui ne font rien à qui il n'arrive rien » dit le dicton populaire. Or, dans l'affaire Ghanaja, des détails sont très curieux. Selon des témoins, le commando de cinq ou six membres aurait cherché peu avant où se trouvait l'appartement de leur cible. Il est aisé d'en déduire qu'ils n'avaient pas l'adresse de leur future victime. Or, le Mossad effectue toujours les reconnaissances nécessaires avant de passer à l'action (processus appelé par les professionnels « reconnaissance à fin d'action »). L'improvisation n'est pas de mise dans la guerre secrète. Ensuite, selon les premières constatations, la malheureuse victime a été torturée sauvagement. Les opérationnels du Mossad ne sont certes pas des enfants de cœur, mais ils ne pratiquent pas de la sorte. C'est une question de morale historique que respecte l'Etat hébreu en raison de la Shoah : ne jamais faire ce qu'ont pratiqué les nazis à l'égard de juifs. Si des opérationnels israéliens doivent obtenir des renseignements par la contrainte, elle sera plus psychologique ou chimique (le penthotal n'a pas été inventé pour rien[1]) que directement physique[2]. Par contre, le Mossad utilise tous les autres savoir-faire offensifs des services spéciaux et pour paraphraser Bernard Blier dans Les tontons flingueurs, il n'hésite pas à « dynamiter, disperser, ventiler[3] ».
Seul bémol à cette thèse : si les Israéliens sont derrière cette affaire, ils peuvent avoir agi par personnes interposées qui ne montrent pas le même professionnalisme ni les mêmes obligations morales. Mais généralement, comme cela a été vu en Iran, ils choisissent et forment alors au minimum leurs agents étrangers pour éviter les bavures.
Alors, s'il ne s'agit pas des Israéliens, qui est responsable ? A noter que le 14 avril de cette année, Mustafa Lidawi, un ancien responsable du Hamas, avait déjà été enlevé à Damas. L'individu n'a jamais été retrouvé et le pire est à craindre pour son sort. Il se trouve que Lidawi avait ouvertement critiqué le chef politique du Hamas, Khaled Meshaal, et avait demandé au mouvement palestinien de s'éloigner de la violence pour s'inspirer des révolutions arabes afin de poursuivre la lutte. Ghanaja quant à lui, s'il ne s'est pas opposé formellement à la direction du Hamas, a tout de même refusé de la suivre hors de Syrie quand cette dernière a quitté le pays suite à un désaccord avec le pouvoir en place à Damas. De plus, Ghanaja est présenté que comme un « cadre intermédiaire » du Hamas. Cela signifie qu'il n'a pas dû reprendre toutes les charges de son ancien patron al-Mabbou. Son importance réelle au sein du mouvement palestinien reste à démontrer. Serait-ce alors un règlement de comptes intérieur ? L'hypothèse est plausible mais difficile à croire. Le Hamas sanctionne les traîtres mais, pour le moment, il a d'autre souci que de s'occuper d'éléments subalternes restés en Syrie. Et c'est sans compter le fait que ses capacités d'action dans ce pays sont désormais relativement limitées.
Le Conseil suprême de la direction de la révolution syrienne accuse les milices Shabiha qui sont employées pour les basses besognes du régime du président Bachar el-Assad. En effet, le Hamas avait installé son état-major en Syrie en 1999 après avoir été chassé de Jordanie avec l'appui de régime d'Hafez el-Assad. Or, depuis un an, tous ses responsables, dont Khaled Mechaal, ont quitté le pays pour rejoindre la bande de Gaza, l'Egypte et le Qatar. En effet, le mouvement palestinien a condamné officiellement la politique du régime à l'égard de son opposition. Pire encore, il reconnaît la justesse et la légitimité de la cause de l'opposition armée ! Damas considère qu'il s'agit là d'une véritable trahison. Une première réaction était venue d'Iran. Le régime iranien, qui est un allié indéfectible de Damas, a coupé les vivres au Hamas. Le mouvement s'en est trouvé affecté mais, peu à peu, le relais a été repris par l'Arabie saoudite et le Qatar. Il n'empêche que le Hamas est sorti de la sphère d'influence de Téhéran pour rejoindre celle de Riyad et de Doha[4]. Cette hypothèse est crédible car elle correspond à la manière d'opérer des tueurs incontrôlés des milices Shabiha. Si Damas aurait voulu « punir » le Hamas pour son ingratitude, il ne s'y serait pas pris autrement.
Les révolutions arabes sont en train de complètement redistribuer les cartes en Afrique et au Proche-Orient. Cet assassinat est un des signes les plus visibles de la guerre que se mènent les mondes chiite et sunnite sur des théâtres d'opérations de contournement, particulièrement en Syrie et en Palestine. Dans ce dernier cas, il sera utile de savoir comment va se comporter le dernier allié sunnite de Téhéran : le Djihad islamique palestinien.
- [1] Rien n'est jamais venu prouver que les Israéliens ont employé cette substance chimique qui, de toute façon, est très difficile d'emploi.
- [2] Cela n'a pas été le cas de la CIA car le waterboarding peut être assimilé au supplice de la baignoire infligé par les sbires de la Gestapo.
- [3] Voir sur ce sujet la Note d'Actualité n°235 de décembre 2010.
- [4] En réalité, le Qatar tente d'établir sa propre sphère d'influence indépendante de Riyad, considéré non comme un adversaire mais comme un concurrent.