Situation explosive au Proche-Orient
Alain RODIER
Le 26 janvier 2006, les résultats des élections palestiniennes tombent : le Hamas remporte 74 des 132 sièges de l’assemblée palestinienne. Nul ne remet en cause la légalité du déroulement de ces élections. Ce résultat ne surprend pas les spécialistes qui s’attendaient à une victoire du Hamas, car la situation des Palestiniens ne cessait de se dégrader depuis des années : chômage et misère généralisés, accompagnés de la corruption d’une partie des élites politiques. Le Hamas, grâce à l’intégrité apparente de ses dirigeants, à ses actions importantes caritatives et à sa « lutte contre l’oppresseur israélien », semblait être la seule solution pour la majorité des déshérités palestiniens. Ce mouvement va se trouver maintenant aux commandes de l’Autorité palestinienne avec d’immenses problèmes à régler.
Tout d’abord, il va devoir continuer à payer les plus de 100 000 « fonctionnaires » (ce qui fait plus d’un million de personnes en comptant les familles), apporter du travail à une jeunesse désespérée et redonner espoir à tout un peuple. Ses choix sont limités : soit il « intègre » la vie politique et parvient à devenir un interlocuteur acceptable pour la communauté internationale qui finançait jusque-là ce qui pouvait l’être ; soit il choisit la fuite en avant en « talibanisant » la bande de Gaza et la Cisjordanie. Dans ce dernier cas, sa planche de salut pourrait venir d’un accroissement extrêmement important de l’aide iranienne, laquelle pourrait suppléer au tarissement des financements occidentaux. Le Hamas pourrait également accepter l’aide d’Al-Qaeda qui a été soigneusement tenu hors de la zone jusqu’à aujourd’hui. Dans les deux cas, le risque de guerre civile n’est pas exclu, le Hamas n’ayant pas le contrôle de tous les groupes armés palestiniens, en particulier, celui du Djihad islamique. Le Fatah n’a peut-être également pas dit son dernier mot. Dans tous les cas, les Israéliens vont verser dans leur grande majorité dans le « sécuritarisme à tout prix », ce qui aura immanquablement des répercussions lors des élections prévues le 28 mars 2006. Pour tenter de mieux comprendre ce problème, il convient de se reporter à la Note d’actualité n°13 du CF2R (« Les ennemis de l’Etat hébreu », A. Rodier, juillet 2005).
Qu’est-ce que le Hamas ?
Le Hamas (Harakat Al Moukawama Al Islamiya – Mouvement de la Résistance Islamique) est issu du mouvement sunnite Al-Moujamma al-Islami créé en 1967 par le cheikh Ahmed Yassine. Cette organisation servait de couverture aux activités des Frères musulmans (eux-mêmes actifs depuis les années 1920) dans les territoires occupés. Le Hamas voit officiellement le jour le 14 décembre 1987 avec la première Intifada et se positionne dès lors comme le principal rival de l’Organisation de libération de la palestine (OLP). Il réclame la création d’un Etat palestinien islamique couvrant Israël et les territoires palestiniens. Il se définit aussi comme anti-occidental. Il prône une lutte armée, employant quand il le faut des kamikazes. Il s’ingénie à monter une structure socio-politique puissante et efficace dans les territoires occupés et dans la bande de Gaza, ce qui a pour effet de lui apporter un soutien populaire important (d’où les résultats des élections de janvier 2006). Après la première guerre du Golfe, comme il s’est publiquement déclaré contre le régime de Saddam Hussein à la différence de Yasser Arafat, une grande partie des fonds saoudiens qui allaient jusque-là à l’OLP lui sont alors destinés. Des affrontements particulièrement sanglants ont alors lieu avec l’OLP. Après les accords d’Oslo de 1993 qu’il rejettee, il reperd du terrain au sein de la population palestinienne. Il déclenche de nombreuses opérations terroristes dont l’attaque kamikaze d’un bus à Haïfa (16 tués) revendiqué par une « brigade des martyrs de Jenine » qui, en réalité, n’est qu’une des multiples appellations du Hamas, destinée à brouiller les pistes. Son chef historique, le cheikh Yassine est victime d’une « élimination ciblée » en 2004. Son successeur, l’extrémiste Abdel Aziz Al-Rantissi, connaît peu après le même sort. Pour cette raison, le mouvement ne livre plus l’identité de ses responsables. Cependant, certains sont connus comme Mohammed Deif (l’artificier du mouvement, recherché depuis plus de 10 ans), Mahmoud Zahar (le porte-parole du mouvement), Ismaïl Haniyeh, Ibrahim Ghousheh, Mahmoud Abou Hanoud, Izz el-Deen al Cheikh Khalil, Abou Moussa Marzuq et le cheikh Hassan Youssef, représentant de l’organisation en Cisjordanie. Son représentant à l’étranger est Khaled Mechaal (aussi autoproclamé comme le représentant politique du mouvement) qui se trouve en Syrie où il a rencontré récemment le président iranien qui souhaite comme lui « qu’Israël soit rayé de la carte ». Le représentant du Hamas à Téhéran est Imad Al-Alami.
Actuellement, la branche militaire est composée de petites cellules indépendantes qui comptent un millier de combattants aguerris. Elle se divise en deux mouvements : les Brigades Ezzedine al-Qassam créées en 1989 et le Jihad Aman, qui peut être comparé à un service de sécurité intérieure particulièrement chargé de l’élimination des « traîtres ».
Le Hamas comprend également deux branches politiques chargées de la propagande, du recrutement, de l’instruction, des finances et de la coopération existent : l’A’Alam et la Dawa. Très actives dans les zones occupées – en particulier dans la ville d’Hébron – et dans la bande de Gaza, elles ont tendance à supplanter les représentants de l’OLP dont nombre des dirigeants sont considérés comme totalement corrompus.
Le Hamas est actuellement soutenu financièrement par l’Arabie saoudite, l’Iran, de nombreux pays musulmans et des organisations musulmanes et arabes comme l’Islamic Relief Association. Des ONG occidentales participent également à son financement via des associations charitables.
Le Hamas est considéré comme un mouvement infréquentable par Washington et par l’Union européenne qui l’a inscrit sur la « liste noire » du terrorisme, car ce mouvement exclut toute négociation avec Israël et réclame la création d’un Etat islamique palestinien allant de la Méditerranée au Jourdain. Le Hamas a néanmoins accepté de prendre part à diverses élections. Il a d’abord connu un succès aux élections municipales partielles de décembre 2004/janvier 2005, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Lors de la deuxième phase des élections municipales de mai 2005, il a obtneu 34% des sièges contre 55% pour le Fatah. Ce semi-échec électoral doit être nuancé par le fait qu’il a obtenu la majorité dans les grandes villes. Le moment de vérité a eu lieu à la mi-janvier 2006, lors des élections législatives qui lui ont donné la majorité absolue. Mais ses intentions restent claires. Ainsi, Mohammed Deif déclarait dans une vidéo, à l’intention des Israéliens, fin août 2005 : « Aujourd’hui, vous quittez Gaza dans la honte […] Aujourd’hui, vous quittez l’enfer. Mais nous vous promettons que demain, c’est la Palestine entière qui sera l’enfer pour vous, si Dieu le veut […] Nous n’aurons pas d’hésitation ou de repos tant que nous n’aurons pas libéré totalement notre terre sacrée ».
Mouvement pouvant s’opposer par les armes au Hamas
A l’exception du Fatah, deux mouvements pourraient être conduits à s’opposer au Hamas :
Le Djihad Islamique Palestinien/DIP
Le Harakat al-Djihad al-Islami al-Filastini est issu, comme le Hamas, des Frères musulmans. C’est un mouvement sunnite créé en 1981 par des étudiants de l’Université islamique de Gaza, emmenés par le cheikh Assad Bayoub Al-Tamini, aujourd’hui emprisonné en Israël. Ce dernier reste, malgré son incarcération, le leader spirituel du DIP. Sous la pression internationale, son secrétaire général, le docteur Ramadan Abdallah Shallah (qui a remplacé Fathi Shaqaqi abattu à Malte le 26 octobre 1995, vraisemblablement par des agents du Mossad), a dû quitter Damas pour le Qatar en 2004. L’objectif de ce mouvement très violent est la destruction d’Israël et la création d’une Palestine islamique. Ses quelques centaines d’activistes ont été rejoints par des dizaines de chiites.
Très actif dans la bande de Gaza (son chef de zone est Mohamed Al-Hindi assisté du cheikh Abdullah Shami et de Nafez Azzam) et dans les villes les plus radicales de Cisjordanie (Naplouse et Jénine), le DIP a été le premier mouvement à se livrer à des attentats suicide après le début de la deuxième Intifada, par le biais de son bras armé, les « Brigades de Jérusalem ».
Ayant des bureaux à Amman, le DIP entretient sur le terrain, des relations opérationnelles étroites avec le Hamas. Il est soutenu directement par le Hezbollah libanais et par Téhéran qui fournit des moyens logistiques et des facilités en Iran même. Contrairement aux autres mouvements palestiniens, le DIP ne se livre pas à des actions politico-sociales destinées à gagner le soutien populaire mais uniquement à la lutte armée. D’ailleurs, il n’a pas participé aux élections législatives.
Jund Allah (les Brigades d’Allah)
En mai 2005, les Israéliens ont fait état de l’apparition d’un nouveau groupe qui dépendrait d’Al-Qaeda au sud de la bande de Gaza. Jund Allah regrouperait des activistes radicaux qui auraient quitté le Hamas et le Djihad islamique palestinien car ils refusent toute idée de cessez-le-feu. Ils auraient commis leur première attaque à Rafah à la mi-mai. Al-Qaeda aurait apporté son aide financière à ce nouveau mouvement. La création de ce mouvement n’est donc pas surprenante en soi. Des groupes extrémistes apparaissent toujours lors des périodes d’accalmie entre Israël et les Palestiniens. Ce qui l’est plus, ce sont les liens qui l’uniraient à Al-Qaeda qui, jusqu’à aujourd’hui, n’avait jamais réussi à s’implanter dans la zone.
La situation va certainement évoluer dans les toutes prochaines semaines. De nombreuses questions restent actuellement sans réponse. La première : le Hamas va-t-il créer un gouvernement de coalition ? Dans ce cas, quels seront les postes ministériels laissés au Fatah qui a obtenu 45 sièges? Quelles vont être les premières mesures politiques, en particulier à l’égard d’Israël (le minimum acceptable par la communauté internationale étant la reconnaissance de l’Etat hébreu) ? Les dirigeants du Hamas vont-ils se montrer pragmatiques et habiles comme certains le pensent, ou vont-ils choisir la pire des solutions : la « talibanisation » ? Une seule certitude, le gagnant dans l’affaire, c’est Téhéran qui va profiter de cette opportunité pour desserrer un peu plus l’étau qui l’étrangle actuellement sur la scène internationale, d’autant que l’Iran n’a pas encore abattu tous ses atouts, particulièrement en Irak et en Afghanistan. Les Américains le savent bien, les Européens aussi mais n’ont que peu de moyens à faire valoir (sauf celui de couper les vivres aux Palestiniens).