Sale temps pour Al-Qaida
Alain RODIER
Depuis la mort d'Oussama Ben Laden survenue le 2 mai à Abottabbad, au Pakistan, Al-Qaida subit de sérieuses pertes qui peuvent nuire à terme à ses capacités opérationnelles. Il est vraisemblable que les revers rencontrés par l'organisation terroriste sont dus en partie aux renseignements recueillis dans la villa où était réfugié le fondateur de la nébuleuse islamique. En effet, les ordinateurs et différents supports informatique, vidéo et papier récupérés par les commandos de la Marine américaine (SEALS) ont vraisemblablement commencé à parler, une cellule spéciale de traducteurs et d'analystes travaillant nuit et jour à éplucher cette manne providentielle. Dans le domaine de la guerre secrète, il convient d'exploiter le plus rapidement possible les informations recueillies avant qu'elles ne soient obsolètes. Il semble que Ben Laden, dans une réaction tout à fait humaine, avait pris pour habitude de garder par devers lui de nombreuses archives, faisant fi de tout souci élémentaire de sécurité. Il est vrai qu'il se sentait parfaitement en sécurité, pensant être couvert par les autorités pakistanaises.
Depuis mai, les raids de drones armés de la CIA se sont intensifiés dans les zones tribales pakistanaises ainsi qu'au Yémen. Les Américains agissent certainement en exploitant des renseignements fiables et recoupés. De nombreux activistes tombent et un bon nombre de responsables sont neutralisés sans que l'on puisse obtenir la confirmation absolue de leur identité. Car, pour être efficace et afin que la traque se poursuive avec succès, il convient de garder un maximum de discrétion sur les résultats obtenus sur le terrain de manière à ne pas trop effaroucher les activistes visés. Le risque réside dans le fait qu'ils peuvent s'égayer dans la nature à la moindre alerte.
Toutefois, quelques noms font surface. Ainsi, le Pakistanais Ilyas Kashmiri, un des plus importants chefs opérationnels d'Al-Qaida en zone Afpak, aurait trouvé la mort le vendredi 3 juin, près de Wana au Sud-Waziristan. L'information reste bien entendu à confirmer d'autant qu'il avait déjà été donné pour décédé à plusieurs reprises, avant de réapparaître officiellement.
L'insaisissable chef d'Al-Qaida pour le théâtre est-africain, le Comorien Fazul Abdullah Mohammed, aurait été abattu lors d'un contrôle routier « de routine » dans la nuit du 7 au 8 juin, au nord de Mogadiscio. Lui et un certain Abou Abderahman – alias « le Canadien » et doté d'un passeport sud-africain au nom de Daniel Robinson-, se seraient égarés dans une zone tenue par les forces du Gouvernement fédéral de transition (GFT) somalien. Si ce fait s'avère être vrai, cela démontre une grande « maladresse » de la part de cet opérationnel qui échappait aux recherches depuis 1998, date des attentats de Nairobi et de Dar es-Salaam dont il a été l'un des principaux instigateurs ! Le véhicule de type pick up à bord duquel se trouvaient les deux hommes contenait 40 000 dollars en liquide, des médicaments et des ordinateurs portables dont le contenu va certainement être exploité dans les plus brefs délais.
La lutte contre Al-Qaida est toutefois loin d'être terminée. Le docteur Ayman Al-Zawahiri est encore dans la nature. Il est apparu au début juin dans un enregistrement vidéo pour soutenir les révolutions arabes. Cela tend à prouver que, comme c'était le cas pour Oussama Ben Laden, il n'est pas réfugié au fin fond d'une grotte, mais beaucoup plus probablement dans une localité qui lui offre des facilités logistiques importantes. L'Egyptien Saif Al-Adel, le nouveau leader théorique d'Al-Qaida, est également libre de ses mouvements. C'est à se demander si après un bref séjour au Pakistan, où il est arrivé à la mi-2010, il n'est pas retourné s'abriter en Iran où il séjournait depuis 2001 sous la protection bienveillante des pasdaran…
Bousculé sur le plan idéologique par les révolutions arabes – les manifestants, manipulés ou non, ne réclamant en aucun cas l'établissement d'un califat mondial, but ultime d'Al-Qaida -, pourchassés par les Américains et leurs alliés qui s'appuient désormais sur des renseignements de première qualité, privé de leader charismatique, l'organisation de Ben Laden parait être profondément déstabilisée. De nouvelles pertes majeures devraient d'ailleurs être annoncées sous peu. Un des indices qui laisse à penser que le mouvement est en mauvaise posture réside dans le fait qu'il a été incapable de « venger la mort de son leader » en se livrant à un attentat significatif en dehors du Pakistan ; qui reste sa zone de prédilection, ou en Occident. Cela n'exclut pas que quelques « loups solitaires » ne lancent des actions désespérées mais ces dernières n'auront qu'un impact tactique limité si les autorités et les médias savent garder leur calme.
Les mouvements franchisés comme Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) sont en train de se réorganiser pour s'adapter aux nouvelles conditions. Pour eux, il n'est plus possible de compter sur le noyau central de l'organisation terroriste et il va lui prendre en compte les situations locales spécifiques. Cela devrait prendre du temps. Nul ne sait quand les terroristes réapparaîtront sur le devant de la scène et sous quelle forme exacte. Mais il ne faut pas se faire d'illusions : leur haine de l'Occident et leur pouvoir de nuisance restent bien présents. Le grand changement réside dans le fait qu'ils vont renationaliser leur combat dans le but d'obtenir des résultats dans les régions où ils sont présents. Par contre, l'internationalisme va passer au second plan de leurs préoccupations, ce qui ne veut pas dire qu'AQMI ne s'en prendra pas à l'Europe en général et à la France en particulier.