Russie : troubles au sein du FSB
Alain RODIER
Depuis début décembre 2016, d’étranges évènements se déroulent au sein et en périphérie des services de renseignement russes et en particulier du FSB, le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (Federalnaïa sloujba bezopasnosti Rossiyskoï Federatsii) chargé de la sécurité intérieure. Les medias prompts à s’enthousiasmer pour les affaires d’espionnage, toujours vendeuses auprès d’un public avide de fantasmes, font le rapprochement avec les accusations portée par l’administration sortante américaine.
Une mort étrange
Selon la presse russe, le corps sans vie d’Oleg Erovinkin (61 ans) a été retrouvé à Moscou, le 26 décembre 2017, à l’arrière d’une voiture de fonction Lexus de la société Rosneft, par son chauffeur. L’homme est un ancien officier général qui a servi au sein du KGB puis du FSB avant d’être nommé, en mai 2008, chef de cabinet au sein de la société d’État russe Rosneft, spécialisée dans le traitement des hydrocarbures. Son dirigeant est Igor Sechin, ancien Premier ministre adjoint et proche conseiller du président Vladimir Poutine[1].
Les autorités ont laissé entendre que, malade du coeur depuis des années, Erovinkin était mort d’une crise cardiaque. Mais la rumeur court qu’il était en fait une des principales sources russes de Christopher Steele, l’ancien officier du Secret Intelligence Service britannique qui a rédigé un rapport controversé sur Donald Trump, daté du 19 juillet 2016. Selon Steele, le nouveau président américiain se serait livré à des frasques sexuelles alors qu’il était en voyage d’affaires à Moscou en 2013, date à laquelle il n’était même pas question de sa candidature à la présidentielle. Il aurait également fait souiller le lit où aurait couché le couple Obama lors d’un précédent voyage par des prostituées russes. La raison est qu’il « haïssait » les Obama au plus haut point ! Cette information largement relayée par la presse américaine confine au ridicule, mais pour les détracteurs de Trump, il est toujours bon de lancer des rumeurs dont il restera toujours quelque chose. Plus c’est gros, plus ça passe !
Il est vrai qu’Igor Sechin est cité à plusieurs reprises dans ce dossier explosif de 36 pages. Si cette information était vérifiée, cela voudrait dire que la proximité professionnelle d’Erovinkin avec son patron lui donnait accès à de nombreuses informations classifiées, ce qui en aurait fait une source de « haut niveau » comme cela est dit dans les services. Mais il est aussi connu qu’Igor Sechin a toujours eu la réputation d’être un « taiseux ».
Il est donc fort probable que le malheureux Erovinkin est vraisemblablement mort de sa belle mort. S’il avait été la victime des services, cela aurait été par une indigestion de plomb, ou mieux encore, on n’aurait jamais retrouvé son corps : la « mort blanche » comme aiment à la surnommer les mafieux siciliens.
Des arrestations comme dans l’ancien temps
En décembre 2016, le colonel Serguei Mikhailov[2] et son subordonné, le commandant Dimitri Dokouchayev, deux officiers du Centre de la sécurité des informations du FSB[3] – qui dépend du deuxième Directorat du contre espionnage – ont été arrêtés. Des fuites dans la presse russe parlent de « suspicions de violation de l’article 275 du Code criminel », en clair de trahison. Le FSB-SCI a pour mission de protéger les informations de sécurité russes et surtout d’enquêter sur la cybercriminalité.
Presque simultanément, Rouslan Stoyanov, le responsable du département des enquêtes de la société de sécurité informatique Kaspersky Lab, spécialisée dans les antivirus, a aussi été appréhendé. Cette dernière arrestation a été confirmée par la direction de la société. Elle a tenu à préciser qu’elle était totalement étrangère aux faits reprochés à son collaborateur. A noter que Stoyanov avait été embauché par Kaspersky Lab en 2012 après avoir servi depuis le début des années 2000 au sein du bureau moscovite de la police chargé de lutter contre la cybercriminalité au sein du ministère de l’Intérieur (Directorat K).
Il serait reproché à toutes les personnes inculpées d’avoir espionné dans le passé de hautes personnalités russes dont Dimitri Medvedev, le vice-Premier ministre Arkady Dvorkovich, des fonctionnaires de l’administration présidentielle, de la Défense et de l’agence Roskomnadzor chargée de la censure. Elles auraient utilisé l’intermédiaire d’un groupe de hackers bien connu appelé « Shaltai-Boltai » ou « Anonymous International ».
Plus précisément, le colonel Sergei Mikhalov aurait été l’officier-traitant (OT) en charge au sein du FSB-CSI de la pénétration de Shaltai-Boltai.
Les deux officiers de renseignement russes auraient été placés sous surveillance depuis septembre 2016 quand le FBI a accusé la société King Servers, propriété de Vladimir Fomenko[4] (27 ans), d’avoir hébergé des hackers qui ont mené des cyberattaques contre les systèmes électoraux des Etats d’Arizona et de l’Illinois. Le président Barack Obama avait nommément désigné le FSB et le GRU (le renseignement militaire dont on se demande encore ce qu’il vient faire dans cette affaire) et neuf membres de ces organismes comme responsables de ces attaques informatiques qui auraient transité par King Servers.
Plus grave pour Moscou, Mikhalov serait soupçonné avoir fourni des informations à la CIA ce qui expliquerait les « certitudes » de la centrale américaine sur les attaques informatiques russes. C’est sur cette base[5] que 35 diplomates russes et leurs familles ont été expulsés des États-Unis fin décembre 2016. Pour des hommes de l’Art, si d’aventure Mikhalov a été recruté par le CIA – ce qui est loin d’être impossible -, il est aussi possible qu’il ait abreuvé son officier-traitant américain d’informations croustillantes non vérifiées mais généralement très rémunératrices… Ce ne serait pas la première fois que la CIA se serait auto-intoxiquée en demandant à une source haut placée des renseignements qu’elle souhaitait recevoir.
Suite à ces arrestations, Andrei Gerasimov, le directeur du FSB-CSI devrait vraisemblablement faire valoir ses droits à la retraite courant janvier 2017. Là aussi, tout est normal, en tant que chef hiérarchique, il est responsable de ses subordonnés.
Toutes les hypothèses sont aujourd’hui ouvertes mais il est aussi possible que cette affaire soit le résultat d’une guerre interne au FSB qui opposait le FSB-CSI au Centre de la sécurité des communications[6] (CSC) chargée de la cryptographie, et, cela pourrait être ironique, de la surveillance des systèmes de votes électroniques en Russie.
Il n’en reste pas moins que le FSB comme toute la communauté du renseignement russe, est en pleine reconfiguration et le président Poutine doit être particulièrement attentif à la suite de son évolution[7].
[1] Certains observateurs pensent que Sechin est l’« éminence grise » du Kremlin. Considéré comme un « dur », il est frappé par les sanctions américaines et européennes depuis 2014 en raison de l’attitude de Moscou dans la crise ukrainienne.
[2] Son arrestation aurait eu lieu lors d’une réunion de hauts responsables du FSB à laquelle il participait à la Loubianka. Il aurait été entravé, la tête recouverte d’un sac et emmené manu militari vers la prison Lefortovo. Un « exemple » pour les candidats à la défection.
[3] FSB-CSI ou Unité 64829.
[4] Fomenko n’est pas un inconnu. Il aurait entretenu des liens avec Pavel Vroblewski, propriétaire de la société ChronoPay qui aurait été convaincu de malversations contre des firmes russes en 2013 pour lesquelles il a été condamné à deux ans et demi de prison. Il a été libéré en 2014.
[5] Mais pas seulement. Washington a aussi mis en avant des harcèlements dont seraient victimes ses propres diplomates en poste en Russie.
[6] Egalement dénommé Unité 43753
[7] Cf. Note d’actualité n°455, « Russie : retour du KGB ? », www.cf2r.org, octobre 2016.