Russie/Norvège : curieuse arrestation pour espionnage
Alain RODIER
Le 5 décembre 2017, Frode Berg, un citoyen norvégien de 62 ans résidant à Kirkenes – une petite ville située dans le nord du pays, à une centaine de kilomètres de Mourmansk – a été arrêté alors qu’il était en déplacement privé à Moscou. Il est accusé par le contre-espionnage russe (FSB) d’avoir reçu des documents confidentiels concernant la flotte de Moscou. Les autorités russes pensent qu’il devait transmettre ces informations aux services de renseignement norvégiens et américains. Berg aurait reçu ses documents confidentiels d’Alexey Zhitnyuk, un policier russe affecté au district de Severnoye Medvedkovo, au nord de Moscou, Celui-ci a été arrêté le 30 novembre pour trahison au profit de la CIA, puis mis au secret jusqu’à sa mise en accusation officielle, survenue le 12 décembre.
Depuis 2014, Frode Berg est à la retraite. Il a servi 25 ans comme sous-officier, inspecteur des accords frontaliers de 1949 existant entre la Norvège et la Russie. Il est très engagé dans les organisations charitables, dirigeant notamment une congrégation religieuse et ayant des activités au sein de la Croix rouge. A l’inverse de la russophobie dominante actuelle, Frode Berg est connu pour militer en faveur d’une coopération accrue avec la Russie et souhaite renforcer le dialogue entre les deux pays. Il a notamment lutté contre l’idée d’édifier un mur à la frontière entre russo-norvégienne, estimant que cela constituerait une véritable provocation à l’égard de Moscou.
Une cour de justice russe a décidé de la maintenir au secret dans la sinistre prison de Lefortovo, au moins jusqu’au 5 février 2018. Néanmoins, sa famille a désigné l’avocat indépendant Ilya Novikov pour le défendre. Ce dernier s’est fait connaître pour avoir représenté en 2015 la pilote ukrainienne Nadiya Savchenko, accusée d’avoir tué deux journalistes russes. Elle a été condamnée à 22 ans d’emprisonnement mais a été expulsée vers l’Ukraine sur ordre du président Vladimir Poutine. Si la culpabilité de Berg était reconnue, il risque de dix à vingt ans d’emprisonnement selon l’article 276 du code pénal russe
L’ambassade norvégienne en Russie n’a pas encore fait de commentaires. Les relations de la Norvège et de la Russie se sont considérablement dégradées ces dernières années, en partie en raison des revendications de souveraineté sur les fonds marins dans l’Arctique, accessibles depuis la fonte des glaces due au réchauffement climatique. De plus, des incidents ont régulièrement lieu entre des aéronefs de l’OTAN et des forces aérospatiales russes à la limite des espaces aériens respectif, au-dessus de la mer de Barents et de la mer de Norvège. Il est possible que cette arrestation entre dans le cadre de l’exacerbation des tensions qui existe entre la Russie et la Norvège, et plus généralement avec les pays membres de l’OTAN.
Les services de contre-espionnage soviétiques avaient pour habitude, dans le passé, de se livrer couramment à des provocations vis-à-vis des visiteurs étrangers de manière à les compromettre. La technique consistait à envoyer un agent provocateur qui permettait d’incriminer l’étranger visé dans un acte délictueux, ce qui permettait ainsi le faire condamner en justice. Le Kremlin en profitait ensuite pour négocier des échanges avec de vrais espions soviétiques arrêtés à l’Ouest. Les autres méthodes de compromission utilisées étaient de provoquer et de filmer les relations sexuelles entre des étrangers et des agent(e)s1 des services russes qui pullulaient dans les halls d’accueil des grands hôtels ; de provoquer des accidents de la route ou des actes répréhensibles commis sous l’emprise de l’alcool, etc. Il n’y a pas de raison pour que le FSB n’utilise plus les bonnes vieilles méthodes de ses prestigieux prédécesseurs.
L’avenir dira si Frode Berg s’est fait piéger « à l’ancienne » où s’il était vraiment un correspondant des services norvégiens envoyé en mission de renseignement. L’affaire semble être tout de même un peu trop grossière pour être totalement vraie.
- L’ex-KGB ne faisait pas appel à des professionnels du sexe, n’ayant aucune confiance en leur fidélité pour le régime. Les officiant(e)s étaient des fonctionnaires qui acceptaient de se « sacrifier » pour la mère patrie. ↩