Russie : menaces sur le jeux olympiques d’hiver
Alain RODIER

Oksana Aslanova, la veuve (par deux fois) noire
qui s'est fait exploser le 29 décembre à Volgograd
A mesure que l'ouverture des Jeux olympiques d'hiver, prévue le 7 février 2014, se rapproche, la menace terroriste se fait de plus en plus pressante, non seulement dans le Caucase mais aussi sur l'ensemble du territoire russe.
La dernière attaque date du 30 décembre 2013, lorsqu'une bombe a explosé dans un trolleybus à Volgograd causant la mort de quatorze personnes et en en blessant une vingtaine d'autres. Le nombre des victimes est important car l'attentat a eu lieu à une heure de pointe. Le kamikaze serait un homme qui a utilisé un engin explosif équivalent à quatre kilos de TNT.
La veille, Oksana Aslanova, une Daghestanaise de 26 ans, avait actionné une charge équivalente à dix kilos de TNT qu'elle portait sur elle dans la gare de la même ville, dans le hall d'entrée, à hauteur d'un portique de sécurité. Cet attentat a fait au moins 17 tués, dont un policier, et plus de 35 blessés. Les gares et aéroports sont actuellement très fréquentés en raison des fêtes religieuses. La terroriste a pu être identifiée grâce à ses papiers d'identité et à sa tête décapitée (phénomène courant lorsqu'un kamikaze porte les explosifs au niveau du tronc).
Déjà le 21 octobre, Naida Asiyalova, également une Daghestanaise de 31 ans, s'était fait exploser dans un car à proximité de Volgograd, provoquant la mort de sept personnes (dont la kamikaze) et en en blessant une trentaine d'autres[1]. Il est à noter que Volgograd (anciennement Stalingrad) n'est pas vraiment à côté de Sotchi, mais à 690 kilomètres au nord-est. Toutefois, la ville se situe dans la zone revendiquée par l'Emirat du Caucase et constitue un nœud ferroviaire et routier vital, qui représente un objectif de choix pour des terroristes en recherche d'actions symboliques. Il est probable qu'une cellule terroriste est présente dans cette ville. Cette hypothèse se base sur le fait que, selon les forces de police, les deux veuves noires, Oksana Aslanova et Naida Asiyalova, semblaient se connaître. De plus, les trois opérations meurtrières qui viennent de s'y dérouler impliquent des complicités pour effectuer les reconnaissances, préparer les explosifs et héberger – puis éventuellement accompagner, d'assez loin, au moment de la déflagration – les kamikazes
En parallèle, le 27 décembre, une voiture piégée avait tué trois policiers dans la cité thermale de Pyaligorsk située à 210 kilomètres de Sotchi.
Dokou Oumarov, le chef de l'Emirat du Caucase – qui couvre d'est en ouest le Daguestan, la Tchétchènie, l'Ingouchie, l'Ossétie du Nord, le Krai de Stavropol, la Karatchaï-Tcherkessie, le Krai de Krasnovar et la République des Adyhéens – a été très clair. Dans une déclaration officielle faite en juillet 2013, il a appelé ses partisans à attaquer les intérêts russes, non seulement dans l'Emirat islamique du Caucase mais également en Russie. Son but affiché est d'empêcher – ou du moins de fortement perturber – la tenue des Jeux olympiques de Sotchi. Il a même levé la consigne qu'il avait donné le 3 février 2012 de ne pas attaquer les civils pour concentrer la lutte sur les officiels russes et leurs collaborateurs (parmi eux le président tchétchène Ramzan Kadirov dont le père Akhmad a été assassiné par ses hommes en 2004). Il avait pris cette mesure à l'époque en se rendant compte de l'impopularité grandissante au sein des populations des actions provoquant des pertes civiles. La raison évoquée est la suivante : « nous savons que les ossements de nos ancêtres, que les ossements de nombreux musulmans qui sont morts et ont été enterrés sur nos terres reposent le long de la mer Noire. Aujourd'hui, ils y organisent les Jeux olympiques. Nous, en tant que moudjahiddines ne devons pas permettre cela par tous les moyens possibles ». En fait, Oumarov essaye de profiter de l'intérêt suscité par les Jeux olympiques pour attirer l'attention sur son combat de « libération » qui participe au djihad salafiste mondial. En effet, si Oumarov n'a jamais fait allégeance ni à Ben Laden ni à son successeur, le docteur Ayman Al-Zawahiri, il n'en affiche pas moins sa sympathie pour la cause djihadiste mondiale. Mais lui, il reste avant tout un « nationaliste » qui souhaite l'indépendance de son émirat.
Quels sont les moyens de nuisance des islamistes caucasiens ?
Si sur le terrain, les insurgés caucasiens se sont considérablement affaiblis depuis les deux guerres de Tchétchénie (1994-1996, puis 1996-1999), les accrochages n'ont jamais vraiment cessé, même s'ils ne présentent plus qu'un caractère sporadique. En effet, les quelques centaines d'activistes opérationnels répartis au sein des différents djamats (commandements) ont poursuivi les coups d'épingle ici et là, maintenant un niveau d'insécurité latent dans l'ensemble du Caucase russe, et plus particulièrement au Daghestan et en Ingouchie. Le régime d'« opérations anti-terroristes » établi en 1999 en Tchétchénie a pour sa part été levé le 16 avril 2009, la situation semblant stabilisée.
Par contre, les attentats terroristes se sont poursuivis avec régularité. Pour ce faire, Dokou Oumarov a annoncé en 2009 la renaissance de la brigade Riyad-us Sahiheen. Cette unité spécialisée dans les attentats kamikazes a été créée en 1999 par Chamil Bassaïev[2]. Elle a été officiellement dissoute en 2005. C'est dans ses rangs qu'étaient formées les fameuses « veuves noires » qui ont défrayé la chronique à de maintes reprises.
Il convient aussi de compter avec les combattants caucasiens qui sont présents en Syrie aux côtés des forces islamistes. La brigade Jaish al-Mujahireen wa-Ansar commandée par Abou Omar Shihani, alliée à l'Etat islamique d'Irak et du Levant (EIIL), serait forte de plusieurs centaines de combattants aguerris. Il n'est pas impossible qu'Oumarov ait battu le rappel de ces volontaires pour venir épauler le djihad dans leur pays d'origine. Toutefois, il y a peu de chance qu'ils soient rentrés en masse, le théâtre syro-irakien ayant trop besoin de leur présence.
Il est à craindre que d'autres opérations terroristes aient lieu avant et pendant les jeux de Sotchi. La présence de caméras et de journalistes agit comme un aimant pour les terroristes qui veulent faire connaître leurs exploits au plus grand nombre. Les lieux des compétitions olympiques sont déjà sévèrement gardés, limitant le risque au maximum[3]. Mais les rebelles vont vraisemblablement tenter des coups d'éclat dans les régions avoisinantes ou dans la profondeur du territoire russe. En effet, toutes les infrastructures ne peuvent être protégées aussi étroitement. Parallèlement, le président Poutine va intensifier notablement les mesures coercitives invitant, dès à présent, les citoyens à avoir en permanence sur eux une pièce d'identité, ce qui sous-entend que les contrôles policiers vont se multiplier.