Russie : les 60 ans du fusil d’assaut AK 47
Alain RODIER
Le 6 juillet 2007, Moscou a fêté en grande pompe les 60 ans de son mythique fusil d’assaut AK-47 de calibre 7,62 mm. Son inventeur âgé aujourd’hui de 87 ans, Mikhaïl Timofeïevitch Kalachnikov, était présent au musée de la guerre de Moscou pour cet anniversaire. Sans revenir sur les caractéristiques techniques de cette arme de légende qui a fait l’objet de milliers d’articles et de livres spécialisés, il est intéressant de voir comment les Français ont été confrontés d’une manière opérationnelle à l’AK-47 et à ses variantes étrangères. En effet, cette arme qui a été produite à environ 100 millions d’exemplaires a été présente sur tous les théâtres d’opération qu’ont connus les armées françaises depuis des décennies.
Inventé par le sergent. Kalachnikov sur un lit d’hôpital où il se remettait de blessures de guerre, l’AK-47 est en réalité une copie très améliorée du Sturmgewehr 44 allemand. L’originalité de cette arme réside dans sa simplicité, sa légèreté, son incomparable rusticité et son faible coût. Un autre point fort tient dans le fait qu’à partir du modèle de base, les Soviétiques ont développé des versions fusil-mitrailleur, mitrailleuse légère, mitrailleuse de char et fusil de précision destiné aux tireurs d’élite. Sur ces armes, de nombreuses pièces sont interchangeables, ce qui constitue un avantage logistique important.
Adopté en 1951 par l’Armée rouge, elle n’est distribuée largement aux troupes russes qu’à partir de 1959. Ensuite, l’ensemble des forces du Pacte de Varsovie en sera équipé, des versions « indigènes » étant produites. Il ne sera donné aux mouvements d’insurrection d’inspiration communiste que plus tard. C’est pour cette raison que l’armée française ne le rencontrera ni en Indochine (1945-55), ni lors de l’opération de Suez (1956), ni en Algérie (1954-1962).
Tout au plus, les unités au contact du pacte de Varsovie, et plus particulièrement à Berlin1, ne pourront que constater qu’elles sont encore en retard d’une guerre, qui heureusement n’aura pas lieu. Les soldats français étaient en effet dotés du pistolet mitrailleur MAT 49 de calibre 9 mm Parabellum et du fusil semi-automatique FSA 49/56 chambrant la 7,5 mm modèle 1929. Ces deux armes étaient techniquement très correctes mais totalement dépassées par les fusils d’assaut en général, et l’AK-47 en particulier. En effet, l’état-major avançant des raisons de choix budgétaires, n’avait pas jugé utile de lancer un programme de dotation de l’infanterie en fusil d’assaut. Il convient de souligner aussi que nos stratèges et nos ingénieurs militaires n’ont jamais apporté beaucoup d’attention à l’armement léger considéré, par eux, comme subalterne. Un exemple historique criant est celui du revolver d’ordonnance modèle 1892. Cette arme de poing de calibre 8 mm2 était équipée d’un barillet basculant (ce qui pour l’époque, était un indiscutable progrès technique) à droite de la carcasse alors que tous les revolvers de ce type ont un barillet basculant à gauche, ce qui est beaucoup plus pratique pour le rechargement. En effet, il était alors communément admis que l’arme première du combat était … le sabre. En conséquence, les officiers et sous-officiers devaient tenir leur sabre de la main droite et le revolver jugé comme un armement « secondaire » de la main gauche ! Lors des combats au corps à corps, seuls les gauchers étaient des privilégiés !
Cependant, un projet de dotation de l’armée française en fusil d’assaut a bien eu lieu au début des années 70. Un certain nombre de modèles ont ainsi été testés par une section spécialisée du camp de la Courtine. Comme par hasard, la CAL de la FN Herstal (calibre 5,56 mm) remportait tous les suffrages. Il est vrai que la Belgique étudiait la possibilité d’acheter des Mirages 5, une version modernisée du Mirage III et particulièrement apte aux tirs air/sol. Cependant, une catastrophe survint : Bruxelles préfèra le F-16 américain ! La conséquence ne se fit pas attendre : le projet CAL qui était une compensation consentie aux Belges pour l’achat de 106 Mirage 5 passa à la trappe. Les armes de mêlée garderont donc leurs PM MAT 49 et FSA 49/56 !
C’est en 1978 que les soldats français se heurtent pour la première fois directement à des adversaires armés d’AK-47. Tout d’abord au Liban, les forces françaises engagées sous mandat onusien sont confrontées à des fedayins palestiniens équipés de cette arme déjà célèbre. Plusieurs militaires français sont tués ou gravement blessés par les tirs d’armes automatiques comme le colonel Salvan qui commande le 3e Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine (RPIMa). Devant le ridicule de la situation, l’état-major est contraint d’acquérir en catastrophe des fusils d’assaut SIG 540 suisses3. Curieusement, par la suite, l’état-major ne commandera pas d’arme de ce type pour en doter les régiments français.
Un deuxième événement révélateur survient en mai de la même année. Le 2e Régiment Etranger de Parachutistes (REP) est largué sur Kolwezi où des centaines d’expatriés français et belges sont menacés par les « Tigres » de Nathanaël Mbumba, un rebelle katangais. Là également, les activistes adverses étaient dotés de fusils d’assaut parmi lesquels des AK-47 et des AKM. Fort heureusement, ils ne savaient pas s’en servir correctement, arrosant le paysage mais étant bloqués à distance par les feux des fusils de précision FR-F1 servis par les tireurs d’élite de la Légion.
C’est à partir de cet instant que l’état-major ressortit des cartons le projet de fabrication d’un fusil d’assaut français révolutionnaire : le FAMAS. Cette arme, qui a commencé à être distribuée dans les unités en 1982, est si performante qu’elle n’a jamais été acquise par aucun Etat étranger (mais elle a été offerte à certains pays amis d’Afrique francophone). Selon les utilisateurs, le FAMAS, merveille de technologie, avait été conçu par quelques polytechniciens de laboratoire4. En conséquence, il n’était absolument pas adapté au terrain et de plus, il coûtait fort cher.
Tous les armées du pacte de Varsovie et celles qui leur sont favorables, tous les mouvements de guérilla marxiste sont alors dotés de l’AK-47 ou de ses ersatz. C’est au début des années 1980 que l’armée russe adopte une nouvelle version du Kalachnikov (en fait de l’AKM) : l’AK-74 chambré en 5,45 mm. Les services de renseignement français réussissent à obtenir plusieurs exemplaires de cette arme en Afghanistan en 1984. Les essais effectués à Satory démontrent que les qualités de son prédécesseur sont conservées avec une précision améliorée. Il existe une version fusil mitrailleur, le RPK-74, et un modèle court très apprécié des forces spéciales : l’AKR. Toutes ces armes peuvent recevoir un modérateur de son en lieu et place du frein de bouche. En 1987, Oussama Ben Laden aurait pris à l’ennemi un AKR au cours d’un corps à corps héroïque qui aurait eu lieu à Saban en Afghanistan. Depuis, il aime à se faire photographier avec cette arme. A noter que dans la « symbolique » de l’arme, son adjoint le Docteur Ayman al-Zawahiri se fait filmer avec un AK-74 doté d’un lance grenades en arrière plan, que de nombreux mouvements révolutionnaires, palestiniens ou islamiques affichent la silhouette d’AK-47 sur leurs drapeaux.
La version la plus ancienne chambrée en 7,62mm reste toutefois en dotation au sein de multiples armées, milices et guérillas. Il faut dire que les pièces de rechange et les munitions sont facilement accessibles. Ces armes se retrouvent donc en Irak, en Afghanistan, au Liban, en Somalie, en Amérique Latine et partout où la « poudre parle ». Les Américains en dotent abondamment les forces « alliées ». Ils ont même perdu la trace de quelques 110 000 armes de ce type livrées aux forces loyalistes irakiennes entre 2003 et 2005 !
Là où l’armée française est engagée depuis les années 80, elle trouve en face d’elle des combattants équipés de la fameuse Kalachnikov. Même s’il est désormais dépassé techniquement, surtout par le fait que l’on peut difficilement adapter un système de visée moderne sur sa carcasse plus ou moins brinquebalante, il n’en reste pas moins redoutable, particulièrement à courte distance.
Depuis peu, le grand banditisme s’en est aussi procuré, profitant notamment de filières issues de l’ex-Yougoslavie. Ces armes sont régulièrement employées dans des attaques à main armée, particulièrement dirigées contre des fourgons de transport de fonds. Il n’est pas impossible que des AK-47 et autres AKM dorment dans des caves d’immeubles de banlieues en attente d’être employées par de futurs insurgés. Pour les Français – et peut-être pas uniquement pour les militaires -,l’épopée du Kalachnikov est loin d’être terminée.
- 1 En particulier le 46e Régiment d’Infanterie et toutes les unités de relève qui ont assuré avec le 11e Régiment de Chasseurs, la garde du Secteur Français de Berlin durant de nombreuses années. Ces deux régiments ont été dissous le 15 septembre 1994.
- 2 Pendant des dizaines d’années, le commandement et les ingénieurs militaires français ont eu le chic d’inventer des calibres franco-français. Cela a toujours posé d’énormes problèmes pour être approvisionné par les pays alliés.
- 3 Manurhin achètera ensuite la licence de cette arme ainsi que celle des modèles 542 et 543.
- 4 Il ne s’agit que d’une approximation, l’auteur ayant eu l’occasion de connaître nombre de polytechniciens qui n’étaient pas des rats de laboratoire et qui cherchaient l’efficacité à moindre coût.