Russie : guerre au sein de la criminalité organisée
Alain RODIER
Le 16 septembre 2010 vers 20h00, un tireur est embusqué dans un appartement situé au deuxième étage d'un immeuble situé rue Tvershaya en plein Moscou. Une berline blindée se gare de l'autre côté de la rue, juste en face d'une porte cochère. Deux passagers en descendent. Le tueur tire posément sur les deux hommes qui s'écroulent, atteints de plusieurs projectiles. Aucune détonation n'a été entendue. En effet, l'arme utilisée est un fusil kalachnikov d'origine chinoise, de calibre 7,62×39 mm, avec silencieux intégré. Les munitions employées sont subsoniques. C'est une arme de tueur professionnel qui allie puissance, précision et discrétion. L'assassin s'esquive ensuite furtivement profitant de l'attroupement provoqué par l'évènement. Signe de son professionnalisme, il abandonne son arme dans l'appartement avant de quitter les lieux. En effet, dans le milieu du crime organisé, une arme ne doit servir qu'une seule fois de manière à ce que les enquêteurs ne puissent faire le lien avec d'autres affaires criminelles. Même les caméras de surveillance qui sont situées dans le hall de l'immeuble ne permettront pas d'identifier le tueur qui a pris soin de dissimuler son visage en relevant le col de son pardessus et en arborant un couvre-chef. Fort logiquement, les policiers ne trouvent aucune empreinte ni sur l'arme, ni dans l'appartement qui a été loué et payé en liquide par une personne dont l'identité se révèle être fausse.
Les chaînes de radio et de télévision relatent alors l'évènement en annonçant la mort des deux hommes. Plus tard, on apprend qu'en fait, ils ont survécu. Les déclarations faites par les autorités avaient pour but d'égarer les commanditaires de ce crime afin qu'ils ne fassent pas finir le travail à l'hôpital Botkinskaya où les victimes avaient été admises.
Est-ce un scénario de film noir ? Non, c'est la réalité. La cible s'appelle Aslan Usoyan, alias « grand-père Hassan », un des plus importants parrains de la pègre moscovite. Il se savait visé et avait pris des mesures de sécurité drastiques, n'apparaissant pour ainsi dire plus en public et se faisant alors escorter (le deuxième homme blessé est un de ses gardes du corps). Les visites régulières qu'il rendait une fois par semaine à son fils, habitant un appartement donnant sur la rue Tverskaya, ont constitué la faille dans le système de protection. L'adversaire en a profité. L'enquête révèlera que le tueur était renseigné en temps réel par un complice qui lui a transmis téléphoniquement la position de la cible avant son arrivée.
Une guerre des gangs
Géorgien d'origine kurde, Alan Usoyan est un célèbre Vory v Zakone (bandit dans la loi, ce qui signifie « bandit qui se plie à la loi des voleurs »). Il est à la tête d'une importante organisation criminelle transnationale (OCT) moscovite, également très présente dans le Nord Caucase. Depuis 2007, il est en guerre ouverte avec le clan de Tariel Oniani, également Vory v Zakone, qui dirige depuis la prison de Matrosskaya Tishina où il purge une peine de dix années d'incarcération, une OCT d'origine géorgienne qui tente de prendre pied à Moscou après avoir été particulièrement active en Espagne.
Les affrontements entre les deux groupes ont fait de nombreuses victimes par le passé, dont un Vory v Zakone très réputé : Vyacheslav Kirillovich Ivankov, alias « le petit Japonais ». Il a été assassiné par un tireur d'élite le 28 juillet 2009. En fait, il n'est mort des suites de sa blessure à l'abdomen que le 12 octobre de la même année. Le mode d'action est étrangement similaire à l'attentat contre USoyan. Les policiers appellent cela une « signature ». Ivankov était chargé des « traditions » au sein du clan d'Aslan Usoyan. Il avait bien tenté de servir d'intermédiaire entre les deux organisations pour négocier une paix des braves en 2008, mais l'opération avait tourné court en raison de l'intervention inopinée de la police.
Tariel Oniani a connu la prison dès l'âge de 17 ans. C'est au cours de cette première incarcération qu'il a été fait Vory v Zakone. Dans les années 1980, il était chefs d'un des plus importants clans criminels moscovites. Il a internationalisé ses activités en rejoignant Paris dans les années 1990, puis Madrid, où il a monté des affaires illégales dans les domaines du bâtiment et du fret aérien. En 2005, une importante opération policière menée par les Espagnols a mis un terme à son séjour ibérique. Il est alors rentré à Moscou et a tenté d'y retrouver sa place, d'où le déclenchement de la guerre avec le clan de « grand-père Hassan ».
Comme à d'habitude en matière mafieuse, il s'agit d'une affaire de contrôle de territoires. « Grand-père Hassan » n'a pas apprécié qu'Oniani vienne empiéter sur ses terres. En conséquence, plusieurs des hommes d'Oniani ont été assassinés, les derniers en date étant Vladimir Janashia, tué en France, et Malhas Kitai, abattu en Grèce. En 2009, Oniani a été arrêté par la police russe et condamné en 2010 à dix années d'emprisonnement pour l'enlèvement d'un homme d'affaires. Après son arrestation, « grand-père Hassan » avait convoqué un « conseil » de Vory v Zakone pour destituer Oniani de son titre de bandit dans la loi. En clair, il avait mis un contrat sur sa tête jusque dans les prisons russes qui ne sont pas des endroits sûrs car les règlements de comptes y sont courants.
Nul doute que l'affaire n'en restera pas là. « Grand-père Hassan » est maintenant retranché dans une somptueuse villa située en banlieue moscovite protégée par une douzaine d'hommes en armes. Il a adoubé deux neveux en tant que Vory v Zakone afin qu'ils dirigent ses affaires à sa place : Youri Usoyan, alias « Jura Lazarovsky », et Dimitri Chanturia, alias « Miron ». Yuri Usoyan doit s'occuper de l'empire que son oncle a monté dans la région de Krasnovodsk et Chanturia le représente dans toutes les négociations où il ne peut plus se rendre pour raisons de sécurité.
Les enjeux de cette guerre sont non seulement territoriaux mais concernent aussi les marchés lancés à l'occasion des Jeux olympiques d'hiver qui doivent se dérouler à Sochi, sur la mer Noire, en 2014. En effet, les OCT des ex-pays de l'Est sont très présentes dans l'immobilier, le bâtiment, l'hôtellerie, la restauration, et les loisirs (jeux, prostitution, drogue, etc.). Le pactole à saisir est faramineux d'autant que la corruption, qui est endémique en Russie, permet d'infiltrer relativement facilement le monde des affaires. Déjà, le richissime Shabtai Kalmanovitch, qui s'occupait de sports et de spectacles, a été assassiné le 21 novembre 2009. Son tort est d'avoir été trop proche du clan de « grand-père Hassan », ce que Tariel Oniani ne pouvait supporter. Déjà, un de ses collaborateurs, Alek Minalyan, impliqué dans du blanchiment d'argent sale via des entreprises du bâtiment actives à Sochi, avait été assassiné à Moscou la même année. Selon la police russe, les assassins étaient des hommes d'Oniani.
La criminalité organisée russe
Un des rares juges incorruptibles de Russie, Telman Glyan, déclarait dans les années 1990 : « ce n'est plus le spectre du communisme qui hante l'Europe, mais l'ombre de la mafia de l'ex-URSS. Prenez garde, ces gens là sont beaucoup plus dangereux que vos criminels. En Europe occidentale, des règles du jeu se sont établies au fil des siècles, y compris dans le monde criminel. Chez nous, il n'existe aucune règle ». Vladimir Poutine affirmait pour sa part, en avril 2001, qu'une vague de criminalité allait débarquer en Europe occidentale et que les petites et moyennes entreprises en seraient les premières victimes. En 2002, le procureur général de Russie, Vladimir Ustinov, critiquait le ministère de l'Intérieur qui ne traitait qu'environ 1% des affaires de corruption mettant en cause des élus ou des fonctionnaires. Cependant, au printemps 2005, trente policiers de haut rang étaient interpellés par le FSB pour vol à main armée, trafic de voitures volées et extorsions de fonds. Puis, en juin 2003, un général du ministère des Situations d'urgence et des officiers de police de haut rang étaient appréhendés pour trafic de drogue et extorsions de fonds. En mars 2005, Rachid Nourgaliev, le ministre de l'Intérieur russe déclarait : « le crime organisé a pénétré plusieurs secteurs-clés de l'économie russe et a pris le contrôle de quelques 500 entreprises ». Selon lui, 116 groupes criminels forts d'environ 4 000 membres sont actifs en Russie, et ont développé de puissants liens inter-régionaux et internationaux.
Si les Italiens se structurent autour de « familles », les ex-Soviétiques s'organisent plutôt par « corporations » (politiques, militaires, juges, miliciens), ou par secteurs économiques (pétrole, bois, ambre, informatique, etc.) ou encore par spécialités (drogues, armes, prostitution, etc.), en fonction de critères territoriaux ou ethniques. Si l'on parle de « mafia russe », il serait plus juste de la séparer en clans slaves, caucasiens et asiatiques. Toutefois, il est à noter que les clans mafieux originaires des ex-pays de l'Est sont aujourd'hui moins regardants sur l'origine ethnique de leurs membres que leurs homologues italiens.
Hiérarchiquement organisés selon une structure pyramidale, tous les clans criminels se protègent grâce à un réseau de complices corrompus placés aux plus hauts niveaux de l'administration. Une des caractéristiques de cette criminalité est qu'elle recrute massivement ses hommes de mains parmi les anciens combattants d'Afghanistan et de Tchétchénie, et les anciens des services : KGB (devenu SVR et FSB) ou GRU. Si la pègre russe existait bien avant l'effondrement de l'empire soviétique[1], elle s'est restructurée et son influence s'est considérablement amplifiée depuis le début des années 1990.
Cela est dû :
- à la désorganisation du système répressif ;
- à l'ouverture de l'économie de marché, mais en ordre dispersé ;
- à la faiblesse du pouvoir central ;
- au rapprochement des truands de l'époque communiste avec les anciens apparatchiks ;
- à l'émergence d'un monde des affaires qui fait peu de cas de la légalité ;
- à la corruption de la fonction publique jusqu'aux plus hauts échelons.
Le FBI recense aujourd'hui quelques 300 groupes criminels ayant des activités transnationales (parmi les quelques 10 000 actuellement répertoriés). Ils se livrent à toutes les activités illicites connues. Ils sont présents dans tous les trafics. Celui des stupéfiants qui, au début des années 2000, a rapporté 60 milliards de dollars à la pègre alors que les recettes totales de la Fédération de Russie étaient à l'époque de 61,5 milliards de dollars. A Moscou, le gramme de cocaïne se vend 5 à 10 fois plus cher qu'à New York. Une coopération importante s'est développée avec l'Amérique latine dans ce domaine, les mafias russes échangeant des armes contre de la drogue. De plus, elles contrôlent la « route de la soie » qui approvisionne l'Europe occidentale depuis l'Afghanistan et l'Iran.
Les pays de transit d'Asie Centrale deviennent à leur tour des consommateurs. Toutefois, les produits consommés dans ces régions sont de qualité inférieure à ceux fournis aux Européens.
Les plus gros trafics d'armes ont eu lieu à partir de ventes de matériels « abandonnés » par l'Armée rouge lors de ses différents retraits de ses garnisons d'Europe de l'Est : avions, hélicoptères, blindés, lance-roquettes multiples, armements d'infanterie, etc. Le détournement le plus massif est survenu lors de l'évacuation de l'armée russe d'ex-Allemagne de l'Est, en 1992. Son chef, le général Matvei Bourlakov, était le grand organisateur de ce trafic fabuleux.
Les conflits locaux actuels permettent la poursuite des « disparitions » de matériels militaires. Peut-être plus grave encore, des composants nucléaires ont disparu de certains dépôts de l'ex-URSS. La crainte de Washington est que ces matières dérobées par des criminels ne soient revendues au prix fort à des mouvements terroristes qui pourrait confectionner des bombes sales ou des armes chimiques ou biologiques. L'Allemagne et la Hongrie sont des points de passage privilégiés pour ce genre de marchandises. En 1995, le vice ministre de l'Intérieur Russe déclarait: « la mafia moscovite est capable de livrer des matières nucléaires … elle en possèderait même suffisamment pour fabriquer une bombe cinq fois plus puissante que celle d'Hiroshima ». Il fut destitué suite à cette déclaration.
La Russie est aussi classée à la première place pour le trafic d'enfants, trafic qui nécessite la complicité active de médecins, de magistrats, de politiciens.
Les autres activités du crime russe sont : les trafics d'antiquités (icônes), de pétrole, la contrefaçon de biens alimentaires, vêtements, médicaments et produits audio et vidéo. 90% des logiciels vendus en Russie sont piratés, ainsi que 40 % des livres et 80% des produits audio et vidéo. Apparu plus récemment, le trafic de bois. Selon Greenpeace, les coupes illégales en Russie représentent presque 20 % des abattages.
Il ne faut pas oublier la prostitution, l'usure, le marché noir (vieille tradition russe : la fabrication et la commercialisation de vodka, souvent frelatée), la fabrication de fausse monnaie (les faux billets de 50 et 100 dollars sont en circulation abondante, jusqu'au Proche-Orient et dans la péninsule indienne). La contrebande de biens de consommation occidentaux importés dans les pays de l'ex-URSS (activité semi-légale) est aussi florissante.
La pègre russe a également commencé à s'intéresser sérieusement au marché des pierres précieuses et a pris pied sur la place diamantaire d'Anvers.
La pègre russe et l'économie
De l'aveu même des autorités russes « la pègre contrôle de facto des secteurs entiers de l'administration territoriale et de l'activité économique de la Fédération de Russie ». Selon certains experts, la pègre contrôlerait actuellement :
- 40 % du PIB de la Fédération de Russie,
- 40 000 entreprises dont 1 500 d'Etat, 4 000 sociétés par actions, 500 joint-ventures et – 550 banques.
Les extorsions de toutes sortes sont monnaie courante. Entre 70 et 80 % des entrepreneurs étrangers sont soumis, sous une forme ou une autre, au racket. 15 à 30% de leur chiffre d'affaires passerait ainsi dans les mains de la pègre. En cas de refus, les mesures les plus violentes peuvent être prises comme des attaques des représentations étrangères à la roquette.
Toute société étrangère désireuse de s'implanter en Russie doit s'assurer une protection. Soit c'est l'Etat qui l'assure, soit ce sont des sociétés privées, lesquelles sont souvent moins chères, mais liées aux mafias russes. A Moscou, il convient donc de négocier avec l'un des clans suivants : Solntsevskaya (le plus puissant et très présent à l'étranger), Taganskaya, Poutchinskaya, Podolskaya, Izmaïlovskaya, Leninskaya, etc.
La criminalité russe à l'étranger
La criminalité russe est présente en force sur le continent américain dans son ensemble. C'est ainsi que 25 à 30 organisations russes, qui regroupent environ 4 000 membres appelés mafiosniki, ont leur siège aux Etats Unis. Ces organisations entretiennent des liens privilégiés avec les narcotrafiquants sud-américains. Un des points d'ancrage aux Etats-Unis est Little Odessa au Sud de Brooklyn (l'Organizatsiya a des antennes à Berlin, Anvers et en Israël) où vivent plus de 50 000 immigrants.
L'Europe pour sa part, constitue un lieu privilégié pour le blanchiment de l'argent de la pègre russe: la Suisse, où 10 milliards de dollars déposés ainsi que 300 entreprises locales lui appartiendraient ; les rivieras italienne (en particulier la station balnéaire de Rimini), françaises, grecques, turques, chypriotes et espagnoles offrent des possibilités très attractives, notamment dans des domaines de l'immobilier, de l'hôtellerie, de la restauration, des jeux et des sociétés de haute technologie.
Des organisations mafieuses connues, telle le gang de Kemerovo, ont installé des représentations quasi officielles entre Nice et Monaco, qui « négocient » avec les criminels implantés antérieurement – tels les Corses de la Brise de Mer et les mafieux italiens – le partage des activités de prostitution, de blanchiment ou d'autres activités lucratives. De nombreux hommes d'affaires russes vivent actuellement en Haute Savoie et ont leurs bureaux en Suisse. Certains d'entre eux sont dotés de passeports grecs, ce qui leur permet de circuler librement dans l'espace Schengen. Chypre sert aussi de plaque tournante importante pour les mouvements de capitaux criminels avec la création entre, 1990 et 1996 de plus de 2 000 sociétés offshore « venant de l'est ». Et Chypre fait désormais partie de l'Union européenne !
Jusque là, les Pays-Bas (via Rotterdam et Anvers) étaient un des principaux points d'entrée européen de tous les trafics en provenance de l'Est[2]. Chypre pourrait bientôt prendre le relais.
La pègre russe serait présente dans une cinquantaine d'autres pays et dirigerait la criminalité de Bulgarie, de Hongrie et de Pologne. Elle aurait également déjà pris le contrôle de nombreux restaurants, hôtels et boites de nuit de Berlin.
La violence des mafias russes
La bête est puissante et bien implantée. Elle utilise tous les moyens pour préserver ses intérêts. Pour cela, elle n'hésite pas à recourir au meurtre de tout ceux qui pourraient se mettre en travers de ses projets. Les sociétés « Crime and Co » ne manquent pas. Une des plus connues, qui a été partiellement démantelée en 2004, est le clan Orekhovo, dirigé par Sergueï Burotin, alias Osya, et les frères Polyanski[3]. Elles sont souvent constituées de professionnels issus des services de sécurité ou de l'armée qui ont été mis à pied suite aux réductions d'effectifs drastiques qui ont été imposées à ces institutions.
Les meurtres ont été nombreux pendant des années, notamment jusqu'à l'assassinat du journaliste américain Paul Khelbnikov en juillet 2004. Il était le rédacteur en chef de l'édition russe du magazine Forbes et avait publié plusieurs enquêtes sur des hommes d'affaires russes douteux, dont le milliardaire Boris Berezovski, actuellement exilé en Grande-Bretagne. Les assassinats ont alors marqué une pause jusqu'à la mi-2005, lorsque Anatoli Tchoubaïs, le directeur du monopole d'Etat d'électricité russe (RAO ESS Rossli) fut été la victime d'une tentative d'attentat à l'ouest de Moscou. Sa volonté de réformer le monopole de l'énergie en Russie lui a valu l'inimité de nombreux hommes d'affaires comme Oleg Deripaska, un géant de l'aluminium. L'auteur présumé de cet attentat est un ancien colonel du GRU ayant combattu en Afghanistan.
Les meurtres ont repris de plus belle avec les assassinats du vice-président de la Banque centrale Andreï Kozlov le 13 septembre 2006. Ce dernier avait eu le tordt de s'en prendre aux circuits de blanchiment de l'argent de la pègre russe, notamment en retirant leur licence à de petites banques soupçonnées d'activités illicites (comme en 2004 pour la Sodbiznessbank accusée d'avoir blanchi de l'argent provenant de rançons). Il convient de rajouter à ces assassinats ceux d'Enver Ziganchine, un dirigeant du groupe pétrolier russo-britannique TNK-BP, en Sibérie, et d'Alexander Plokhin, le chef de l'agence moscovite de la Vnechtorgbank, survenus respectivement le 30 septembre, puis le 12 octobre 2006.
De nombreux journalistes qui se sont intéressés de trop près aux activités des mafias russes et de leurs correspondants l'ont payé de leur vie ou ont été sauvagement battus à titre d'avertissement. C'est le cas d'Oleg Kachine et d'Anatoli Adamtchouk, qui enquêtaient sur un projet controversé de construction d'autoroute devant traverser la forêt de Khimki, dans la banlieue de Moscou. En novembre 2010, tous les deux on été l'objet d'un passage à tabac en règle qui ressemble à un procédé classique de la pègre moscovite quand elle tient à adresser un « avertissement ». On estropie mais on ne tue pas, à bon entendeur, salut ! Sachant que les OCT russes sont très présentes dans l'industrie du génie civil, il est raisonnable de se demander quels sont ses intérêts dans ce chantier très important.
Le code des Vory v Zakone
Un Vory v Zakone correspond à peut près à un « boss » des mafias italiennes. C'est-à-dire, qu'il est une haute autorité qui commande mais ne se salit généralement pas les mains directement. Il y en aurait environ 150 qui ne résident pas qu'en Russie, puisque l'on en retrouve en Ukraine, en Tchétchénie, en Géorgie, en Arménie, en Europe occidentale et sur le continent américain.
Le parcours pour devenir un Vory v Zakone n'est pas simple. Le candidat doit avoir effectué plusieurs séjours en prison où des tatouages personnalisés attestent de sa conduite. Il lui est interdit de collaborer avec les membres de l'administration, qu'elle soit pénitentiaire, policière ou militaire[4]. Le postulant doit rejeter sa famille directe (père, mère, frères, sœurs) et ne doit pas être marié ni avoir d'enfants légitimes. Par contre, il peut cumuler le nombre de maîtresses. Il ne doit en aucun cas laisser apparaître ses émotions et doit faire preuve en toutes circonstances de professionnalisme froid. C'est pour cette raison que les Vory v Zakone sont d'excellents joueurs de cartes ou d'échecs. Bien sûr, la consommation d'alcool, même en quantité, ne doit pas lui faire perdre son contrôle de soi. En aucun cas, il ne doit occuper un emploi légal. Il ne peut vivre que du produit que lui rapportent ses activités criminelles. Les tâches jugées indignes doivent être laissées à des truands de bas étage qu'il contrôle. S'il est arrêté, il doit reconnaître sa condition de Vory v Zakone, voire s'accuser des crimes de ses camarades afin que ces derniers aient le temps de prendre le large. En effet, il doit montrer une grande solidarité avec ses pairs. Si des conflits éclatent, il doit demander que l'affaire soit portée devant un « conseil » qui se chargera d'enquêter, de juger, voire d'exécuter une sanction (laquelle peut être mortelle). Il peut être sollicité pour participer à un tel « conseil » et devra se conformer aux décisions prises, voire les exécuter s'il est désigné pour cela.
*
La criminalité organisée russe est l'une des plus puissante de la planète. Le monde politique et des affaires n'a pas d'autre choix que de composer en permanence avec elle. Son influence à l'étranger est importante mais, elle est peut-être moins forte que ses homologues italiennes ou chinoises (les Triades). En effet, criminalité organisée russe est très nationaliste et son terrain de jeu reste essentiellement basé au sein de l'ancienne Europe de l'Est. La pénétration des pays étrangers a surtout pour objectif de blanchir l'argent sale, en investissant massivement dans la pierre et le tourisme. A titre d'exemple, les Russes sont relativement peu présents en Amérique latine et en Extrême-Orient, laissant la gestion des affaires criminelles locales aux pègres étrangères. Toutefois, ils sont leurs clients pour l'achat de cocaïne et d'héroïne. Mais, dès que l'on met les pieds sur son territoire, la criminalité organisée russe devient incontournable. Peu d'OCT étrangères prennent le risque de s'y frotter.
- [1] Environ 4 000 bandes – toutes n'ayant pas une organisation transfrontalière – étaient répertoriées dans les années 1980.
- [2] A noter que ce pays est également le leader mondial e la fabrication de l'ecstasy, conséquence de la politique libérale des Pays-Bas vis-à-vis des drogues dites « douces ».
- [3] Ils purgent actuellement une peine de prison en Espagne où ils avaient trouvé refuge.
- [4] C'est pour cette raison qu'il n'a pas le droit se servir au sein des forces armées et qu'en conséquence, nombre d'entre eux sont recherchés pour ne pas avoir satisfait aux obligations militaires. Les plus malins se sont trouvé une exemption en bonne et due forme.