Réorganisation des forces indépendantistes tchétchènes
Alain RODIER
Une nouvelle génération de commandants militaires
Le président indépendantiste de la « République tchétchène d’Ichkerie », Dokou Khamatovich Oumarov1 qui a succédé à Abdul-Kalim Sadoulayev – tué par les forces spéciales russes, le 17 juin 2006 – a profondément réorganisé le dispositif de ses forces armées à l’automne 2006.
Pour cela, il a désigné ou confirmé les chefs et « émirs » suivants :
- Président de la cour de la charia : Amir Mansour ;
- Conseiller personnel : Seyf Islam ;
- Subdivision « Osman » des combattants de la résistance turque : Abou Zar ;
- Front Nord-Est : colonel Tahir Batayev ;
- Front Nord-Ouest : colonel Abubakar Elmuradov alias Elmurayev2 ;
- Front Sud-Est (appelé auparavant le Front Est) : brigadier-général Sulieman Imurzayev, alias Khairulla ;
- Front Sud-Ouest : Tarkhan Gaziyev (maintenu à son poste) ;
- Front central : colonel Abubakar Bassaïev (peut-être un membre de la famille de Chamil Bassaïev tué le 9 juillet 2006) ;
- Front du Daguestan : brigadier-général Rappani Khalilov (maintenu à son poste). Il est recherché pour son implication dans l’attentat à la bombe du 9 mai 2002 à Kaspiisk au Daguestan qui a fait 43 victimes ;
- Front caucasien : brigadier général Akhmed Evloyev, alias Magas ; il s’agit peut être d’Ali Tasiyev, un ancien policier disparu en 1998 ! Il est aussi recherché pour de nombreuses actions terroristes ;
- Front de la Volga (de création récente) : Abdurakhman Kamalutdinov, alias Djundulla ;
- Front de l’Oural : Mikhail Zakharov alias Asadullah.
De l’aveu même des autorités russes, nombre de ces nouveaux responsables sont inconnus de leurs services ! Il est évident que les grades donnés n’ont aucune légitimité, mais le pays est en période de « résistance » et d’autres nations, comme la France, ont connu cela en d’autres temps.
Cette réorganisation cache en fait les grands problèmes que rencontre actuellement la rébellion tchétchène qui a été fortement étrillée ces dernières années. De nombreux cadres ont été neutralisés, des groupes ont été démantelés, les opérations lancées par les moudjahédines ont entraîné de lourdes pertes dans leurs rangs.
En juillet 2006, le directeur du FSB russe Patrushev a offert l’amnistie aux combattants tchétchènes, projet qui a été entériné par la Douma et Vladimir Poutine. Akmad Oumarov, le frère aîné du président indépendantiste tchétchène a profité de cette mesure, en se rendant officiellement et médiatiquement aux autorités. Selon les indépendantistes, le frère du président Oumarov ne participait pas à la lutte de libération et cette reddition n’est que pure propagande. Pour appuyer leurs dires, ils insistent sur le fait qu’aucun leader ni aucun groupe important ne s’est rendu aux autorités afin de bénéficier de cette mesure de clémence.
C’est donc pour cette raison que de nouveaux militants et de nouveaux cadres apparaissent. Ils sont généralement très jeunes (les nouveaux commandants ont pour la plupart moins de trente ans) et, dans leur grande majorité, ils n’ont actuellement pas l’entraînement ni l’expérience nécessaire pour mener à bien des opérations d’envergure.
La mort du conseiller du président Oumarov
L’identité donnée au « conseiller personnel » du président Oumarov reste volontairement mystérieuse. En fait, il s’agit de Faris Youssef Amirat – alias Abou Khavs al Ourdan, ou Hamzet – un Jordanien né en 1973, mais également titulaire de passeports saoudien et égyptien. De manière à brouiller les pistes, il possède de nombreuses fausses identités et a même été déclaré mort à la fin 2005 ! Il aurait été nommé par Oussama Ben Laden en personne comme son représentant pour le Caucase nord mais semble avoir pris du galon puisqu’il se retrouve désormais directement auprès du président.
Abou Haws n’est pas un inconnu pour le FSB (service de sécurité intérieur russe) qui cherche à le neutraliser depuis de nombreuses années. Il rejoint la Tchétchénie en février 1995 dans la suite d’Abou Khattab. Il dirige alors un camp d’entraînement dans la région de Vedensky. Puis, en 2000, il est repéré dans les gorges du Pankissi – et plus particulièrement dans le village Tsuniban – en Géorgie. Il est alors un des responsables de l’entraînement des volontaires internationalistes qui rejoignent cette zone non contrôlée par les autorités géorgiennes, avant de les acheminer en Tchétchénie pour qu’ils y mènent le Djihad. Il organise notamment la formation de 35 volontaires de nationalité turque conduits par un certain Abou Zar3, qui deviendra le chef de la subdivison « Osman » (voir plus haut). Parallèlement, il fait construire une mosquée et un centre de soins destinés aux réfugiés tchétchènes repliés dans les gorges du Pankissi. Il rejoint la Tchétchènie après la mort de Khattab en 2002. C’est à cette époque qu’il se lie d’amitié avec Chamyl Bassaïev, ce chef de guerre tchétchène qui deviendra vice-président de la république indépendantiste avant d’être finalement tué par les forces spéciales russes à l’été 2006. Abou Haws dirige alors une unité de combattants internationalistes et, à ce titre, participe à de nombreuses opérations militaires dont l’attaque, le 12 juillet, du village d’Avturi, dans la province de Shali. A cette occasion, six policiers du MVD sont tués et neuf autres enlevés4. Tout en restant discret pour des raisons évidentes de sécurité, il remplace le successeur du commandant Khattab dont il était l’adjoint : Ali Ghamedi, alias Abou Al Walid, tué en 2004. Dès cette époque, c’est lui le chef des combattants internationalistes présents en Tchétchénie. Il estmarié et a au moins deux épouses, dont l’une est la veuve d’un autre combattant internationaliste tué en 2001 par les forces russes : Abou Jafar.
Sa position lui permet de gérer l’ensemble de l’aide extérieure apportée aux indépendantistes tchétchènes. Ces derniers en ont crucialement besoin. Abou Haws gère les financements provenant de dons privés, d’origine turque et proche-orientale. Il procède au renforcer des unités locales avec des combattants internationalistes qui apportent leur expérience à leurs homologues tchétchènes. Mais la carrière d’Abou Haws s’est arrêtée le 26 novembre 2006, lorsqu’il a été tué par les forces de sécurité russes dans la ville de Khasavyourt au Daguestan.
Cependant, cette faiblesse actuelle de la guérilla ne doit pas cacher le fait que la résistance est loin d’être vaincue, même si pour l’instant, elle ne peut que se livrer à des actions d’ampleur limitée. Ainsi, les 10 et 11 novembre 2006, des tirs à l’arme légère ont pris pour cible des forces loyalistes dans la région de Jokhar (nom donné à Grozni par les indépendantistes). Le 7 novembre sept policiers russes ont été tués à bord de deux véhicules lors d’une embuscade tendue près du village de Daï, dans la région de Chatoï, située dans le Sud de la Tchétchènie. Selon les autorités et le témoignage d’un survivant, les assaillants étaient très jeunes (des adolescents), ce qui tend à confirmer l’idée que la relève est en train de s’effectuer. Entre le 17 et le 25 octobre, une dizaine de militaires russes auraient trouvé la mort et une vingtaine d’autres auraient été blessés lors de diverses actions de harcèlement dans les régions de Shelkovo-Vedeno, Nozhaï Yourt, Itum Kali, Grozni, et d’Achkhoï Martan. D’autres actions du même type ont eu lieu en septembre, mais les pertes infligées à l’adversaire ont été minimes.
L’objectif affiché des rebelles est d’internationaliser la lutte, voire de la porter jusqu’à Moscou. Cependant, le président Oumarov, à la différence de Chamyl Bassaïev, souhaite que seuls des objectifs politiques, militaires ou sécuritaires soient visés, limitant au maximum les attentats terroristes qui causent de nombreuses victimes innocentes. Pour l’instant, les forces tchétchènes ne semblent pas en avoir encore la capacité opérationnelle. Les renforts venus de l’étranger vont permettre d’entraîner, voire d’encadrer les nouvelles recrues, afin de les rendre plus efficaces dans un avenir proche. Cependant, impatients d’obtenir des résultats médiatiques, certains groupuscules risquent de s’affranchir des consignes données par Oumarov et peuvent trouver, qu’en désespoir de cause, il est plus facile de s’attaquer à des « cibles molles » (civiles) qu’à des objectifs institutionnels, particulièrement au moyen d’attentats suicide.
- 1Il est né le 13 avril 1964 à Kharsenoi, dans la région de Shatoï, au sud de la Tchétchénie.
- 2A noter que ces deux Fronts composaient auparavant un Front unique appelé le Front Nord.
- 3Selon Ali Soitekin Ollu, un citoyen turc de 28 ans fait prisonnier par le FSB au Daguestan en décembre 2005.
- 4Ils ont vraisemblablement été assassinés par la suite car ils n’ont jamais refait surface.