Qui a enlevé les deux touristes autrichiens ?
Alain RODIER
Le 22 février 2008, deux touristes autrichiens étaient enlevés dans la région de Matmata, au sud de la Tunisie. Ils auraient ensuite été acheminés via la Libye et le sud de l'Algérie jusqu'au nord du Mali, dans la région de Kidal, fief des rebelles touaregs. Les deux Autrichiens, Andrea Kloiber et Wolfgang Ebner, seraient aux mains du chef de la 9e région d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI1), Yahia Djouadi.
Région où seraient détenus les otages autrichiens
Le nouveau commandant de la 9e région
nitialement, Yahia Djouadi – alias Abou Amar Abd El-Ber – âgé de 39 ans, appartenait aux Groupes islamiques armés algériens (GIA). Dans les années 1990, il créé son propre mouvement : le Groupe salafiste combattant (GSC). A la tête d'environ 80 militants, il est particulièrement actif à l'ouest d'Alger (région de Chief, Tiaret et Tissemlit) alors que la zone de prédilection du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) se trouve surtout située à l'est et au sud de la capitale algérienne. Il ne rejoint officiellement le GSPC qu'au début 2005.
Dans un premier temps, son expérience de terrain le fait nommer au bureau de l'information (en fait de la propagande) du Conseil consultatif, qui est l'organe de commandement du GSPC. Puis, il devient un des principaux conseillers militaires du nouveau chef du mouvement islamique radical, Abdlemalek Droukdel. En août 2007, il est désigné par ce dernier à la tête de la 9e région qui couvre le Sahara et le Sahel.
En effet, son chef légendaire, Mokhtar Belmokhtar dit « MBM », a été écarté en 2005 par la direction du mouvement qui n'avait plus confiance en lui. Il se livrait plus à la contrebande qu'au combat politico-religieux et aurait songé à l'époque à se rendre aux autorités. Depuis, on n'a plus entendu parler de lui. Droukdel avait alors désigné Benmessaoud Abdelkader – alias Moussab Abou Daoud – pour le remplacer. Comble de malchance pour AQMI, Abou Daoud s'est rendu aux autorités en juillet 2007 !
Djouadi a donc reçu pour mission de redynamiser la lutte afin de fournir le mouvement en armes, munitions et matériels divers. Avec l'affaire des otages autrichiens, il semble qu'il ait donné satisfaction à Droukdel.
Des signes annonciateurs de la reprise des activités opérationnelles de la 9e région d'AQMI avaient déjà été donnés. Ainsi, dans la nuit du 9 au 10 novembre 2007, l'aéroport de Djanet (province d'Illizi au sud-est de l'Algérie) avait été harcelé. Un avion cargo et deux hélicoptères avaient été endommagés au cours de cette action. Le 26 décembre, une patrouille de l'armée mauritanienne était tombée dans une embuscade dans les environs du poste militaire d'El Ghallaouiya (800 km au nord-est de Nouakchott). Trois soldats avaient été tués et les assaillants s'étaient emparés d'un véhicule et d'armes. Surtout, dans la nuit du 7 au 8 février 2008, une patrouille des forces de sécurité algériennes tombait dans une embuscade dans la région d'El Oued (commune de Hamraya, à proximité de la frontière tunisienne). Sept gardes frontières étaient abattus et des armes récupérées (sept fusils d'assaut, une mitrailleuse légère et un dispositif de vision nocturne).
L'enlèvement des touristes
L'enlèvement des deux touristes autrichiens semble avoir été une opération préparée à l'avance. Son but aurait été d'obtenir des fonds en exigeant une rançon pour leur libération (le chiffre avancé est de cinq millions d'euros). Bien sûr, mais accessoirement, la libération de dix activistes d'AQMI emprisonnés en Algérie et en Tunisie a été demandée. La direction de l'organisation islamique radicale algérienne ne se fait guère d'illusion. Elle sait bien que cette revendication ne peut aboutir car ni Alger ni Tunis n'accèderont à cette exigence. Mais, AQMI est aux abois sur le plan financier et a besoin d'argent pour survivre. Le versement d'une rançon devrait lui suffire.
L'opération aurait été menée par une des deux katibas de la 9e région actives à la frontière tunisienne : la Oum al-Kamakim et la Al-Fath al-Moubine. Il est intéressant de noter que la dernière attaque d'AQMI est survenue au début février dans la région d'El Oued, qui se trouve située à moins de 300 km à l'ouest de Matmata. Cette opération avait déjà été attribuée aux hommes appartenant à la 9e région ! Il est possible d'en déduire que le kidnapping était déjà en préparation.
Le choix des deux victimes serait par contre opportuniste : ils se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. La longue exfiltration vers le Sud en suivant les zones désertiques frontalières2, avait pour objectif d'amener au plus vite les otages dans la zone « sécurisée » du nord du Mali (en fait, une « zone grise » non contrôlée par les forces de sécurité). Il est probable que le groupe de ravisseurs se trouve dans un triangle Tessalit/Tin-Zaouaten/Kidal.
Les rebelles touaregs
Le problème se complique par le fait que cette immense région est parcourue par les rebelles touaregs de l'Alliance touareg Nord-Mali pour le changement (ATNMC3), dirigés par l'ancien lieutenant-colonel Ibrahim Ag Bahanga.
Les rapports de ce mouvement avec AQMI sont ambigus. Parfois il les combat, parfois, il négocie. Son objectif est de garder la mainmise sur cette zone désertique et, pour ce faire, il a besoin d'argent, ne serait-ce que pour payer ses hommes. Il est donc tout à fait envisageable qu'il assure actuellement une « protection » aux ravisseurs en espérant toucher une partie de la rançon. Cela expliquerait d'ailleurs les combats déclenchés le 13 mars contre les éléments de l'armée malienne qui effectuaient une opération de ratissage aux alentours des montagnes de Zakak situées à 30 km de Tin-Zaouaten. Le 24 mars, la garnison de Tin-Zaouaten semblait encerclée et 33 militaires avaient été faits prisonniers par les rebelles touaregs. Des renforts seraient en cours d'acheminement, mais leur capacité opérationnelle réelle reste sujette à caution. En effet, les forces maliennes sont sous-équipées, peu motivées et ne connaissent pas bien le terrain, ce qui n'est pas le cas des rebelles touaregs.
Yahia Djouadi, chef de la 9e région d'AQMI Ibrahim Ag Bahanga,
chef de l'ATNMC
Par le passé, pour négocier avec Ibrahim Ag Bahanga, Bamako a notamment utilisé les services de Egleze Ag Afoni, ancien gouverneur touareg respecté de toute sa communauté au Mali. La tribu des Barabiche serait aussi très influente dans la région. Le problème est de savoir s'il s'agit des bons intermédiaires pour contacter Djouadi qui commande directement la katiba Tarik Ibn Ziad, unité qui est supposée avoir la garde des otages autrichiens.
- 1 Depuis 2006, AQMI est la nouvelle appellation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC).
- 2 Plusieurs itinéraires ont pu être empruntés par les ravisseurs. Ils semblent toutefois être passés en Libye aux environs de Nalut, avoir suivi la frontière plein sud, puis être entrés en Algérie dans la région de Djanet. Ensuite, ils auraient rejoint Tamanrasset avant de filer au sud-ouest vers Tin-Zaouaten au Mali.
- 3 Le porte parole de l'ATNMC est Hama Ag Sidahmed. Le fief du mouvement se trouve autour de Tin-Zaouaten.