Quelle évolution pour AQMI ?
Alain RODIER & Eric DENÉCÉ
Rappel historique
Après avoir connu de nombreux revers face aux forces de sécurité algériennes, mais aussi en raison du rejet de l'islam radical par la population, excédée par dix années « noires » de terrorisme, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) a été encore un peu affaibli par par les initiatives des autorités algériennes : politique de « concorde civile », décrétée président Bouteflika et adoptée par référendum en 1999 ; Charte pour la paix et la réconciliation nationales, également soumise à l'approbation du suffrage universel en 2005. Aussi, il s'est trouvé réduit à la portion congrue au milieu des années 2000, et ses effectifs et ses zones d'opération ont fondu comme neige au soleil.
Il a malheureusement retrouvé un peu de dynamisme grâce à l'action terroriste internationale impulsée par Ussama Ben Laden et Ayman Al-Zawahiri. Afin de survivre, il n'a eu d'autre choix que de faire allégeance à Al-Qaeda, perdant ainsi un peu de son caractère national, en devenant Al-Qaeda au Maghreb Islamique – AQMI -, mais retrouvant, auprès de certains jeunes, l'aura qui lui faisait défaut pour continuer à exister et à recruter. En effet, le djihad internationaliste destiné à renverser les dirigeants « apostats » en place au Maghreb leur semblait bien plus attractif que la guerre civile intérieure avec toutes les horreurs et provocations qu'elle comportait.
Toutefois, cette évolution n'a pas eu les effets escomptés, car les terroristes de l'ex-GSPC n'ont pas réussi à attirer autant d'étrangers qu'ils le souhaitaient au sein de leur groupe, qui est resté à forte dominante algérienne. Surtout, la branche sahélienne d'AQMI s'est trouvée en concurrence – et parfois dépassée – par d'autres groupes opérant au Sahel (MUJAO, Ansar Dine, etc.), dont les leaders ou une partie des éléments étaient parfois issus de ses rangs. Enfin, les dissidences ont fragmenté le mouvement, à l'exemple de Moktar Belmoktar, qui a voulu « devenir calife à la place du calife » et a fait directement allégeance à Al-Qaeda. Il convient de reconnaître qu'il avait toujours fait preuve d'indépendance vis-à-vis d'Abdelmalek Droukdel – qui dirige AQMI depuis le nord-est de l'Algérie – mais la rupture a été définitivement consommée fin 2012.
Situation actuelle
Une nouvelle évolution est en cours actuellement, sans que l'on puisse encore véritablement en mesurer les effets concrets pour AQMI.
D'une part, l'intervention française de début 2013 au Mali, a porté des coups considérables aux mouvements terroristes opérant au Sahel et a contribué à affaiblir encore AQMI et ses affidés locaux (pertes importantes et destructions de stocks d'armes, de munitions et d'essence sous les assauts combinés français et tchadiens). Par ailleurs, l'élection présidentielle qui vient de se dérouler à Bamako – dans des conditions satisfaisantes si l'on considère la situation chaotique que traverse le pays – ôte toute légitimité aux djihadistes qui sont considérés par la population, à juste titre, comme des combattants étrangers voulant s'emparer du pouvoir afin d'asservir les populations locales. D'ailleurs, la majorité des jeunes recrues enrôlées dans l'euphorie de la « libération » de l'Azawad en 2012, se sont égayées dans la nature dès que la situation de force s'est inversée, à partir de janvier 2013. Les groupes terroristes ont fini par agir de même afin de survivre. Ainsi, certains ont été signalés dans des camps de réfugiés situés à l'ouest du Soudan dès février 2013[1]. Pour l'instant, il est vraisemblable que les djihadistes tentent de se réorganiser dans les pays où ils cherchent momentanément à se faire oublier, en se fondant dans le tissu local (en Mauritanie, au Sénégal, au Burkina Faso, au Tchad et bien sûr au Niger), avant de passer à l'action quand ils se sentiront assez forts.
D'autant que la déstabilisation de la Libye – et l'incapacité du gouvernement de Tripoli d'assurer le contrôle son territoire – en fait un nouveau sanctuaire des djihadistes aux frontières mêmes de l'Algérie, ce dont AQMI pourrait chercher à tirer parti. Il semble que le groupe se soit aussi installé récemment en Tunisie, afin d'en faire une nouvelle terre de djihad avec l'appui de quelques idéologues salafo-djihadistes locaux. Certains de ses membres auraient même rejoint l'Egypte pour participer à la lutte contre le pouvoir récupéré par l'armée et, fait nouveau, se lancer dans la « guerre contre le sionisme » en se mêlant à des groupuscules salafistes déjà installés au Sinaï.
Il ne faut pas non plus oublier que le noyau historique du mouvement reste basé à l'est d'Alger, et particulièrement en Kabylie. Il continue à perdurer même s'il ne semble plus en état de lancer des attentats de grande ampleur comme ceux qu'a connu l'Algérie en 2007. Mais, tant que Droukdel ne sera pas neutralisé, le combat continuera même si on peut s'interroger sur son influence réelle sur les djihadistes internationalistes encore présents au Sahel. Washington affirme que juillet 2013, il aurait fait partie des responsables d'Al-Qaeda qu'Al-Zawahiri a contacté pour effectuer une « conférence » via internet. L'interception de cet échangea été à l'origine de la fermeture temporaire d'une vingtaine de représentations diplomatiques américaines dans le monde, dont celle d'Alger.
Tant qu'il disposera une poignée d'individus fanatisés, un mouvement comme AQMI ne disparaitra pas, d'autant que les idéologues radicaux, qu'ils soient issus des Frères musulmans ou des salafistes extrémistes, savent toujours cibler et convaincre des esprits faibles – c'est la base de leur recrutement -, se laissant endoctriner facilement, pour prolonger l'existence du mouvement. De même, tant qu'il y existera des frustrations socio-politiques, aussi infimes soient-elles, un groupe contestataire ou terroriste conservera une certaine capacité à se renouveler. Nous en avons l'exemple, dans un registre différent, en Espagne avec l'ETA – qui continue à recruter quelques jeunes malgré sa considérable perte de vitesse – et en Italie, où les Nouvelles Brigades Rouges sont en train de renaître, certes modestement, à partir d'effectifs jeunes, alors que le contexte politique n'a rien à voir avec celui des années 1980. Dans tous ces cas de figure, nous sommes confrontés à une frange minime de la population, qui n'existe que pour s'opposer – plus ou moins violemment – aux institutions existantes. Elle ne sait que critiquer, condamner, détruire, assassiner… mais en aucun cas apporter des solutions réalistes et viables aux situations qu'elle dénonce. Malheureusement, une nation produira toujours des individus insatisfaits, frustrés, exaltés, haineux, déterminés à poursuivre leur « lutte », aussi infondée soit-elle. C'est ainsi qu'AQMI continue à assassiner des musulmans dont, en grande partie, des Algériens.
Un djihadisme de plus en plus déviant
Aujourd'hui, le terrorisme est devenu un business pour les dirigeants des groupes armés – ce qui est valable pour AQMI comme pour beaucoup d'autres – soit qu'ils reçoivent des fonds d'Al-Qaeda central[2], soit que cette activité leur serve de paravent pour développer des activités criminelles de toute nature. Nous en avons l'exemple parfait avec Belmokthar, dont les activités criminelles et les trafics suscitaient même les critiques des dirigeants d'AQMI ! L'intervention de l'armée française au Nord-Mali ayant provoqué, au début de l'année, la rupture des routes sahéliennes de la contrebande, les groupes armés y ont perdu une part significative de leurs ressources. Mais le monde criminel sachant parfaitement faire face à l'évolution de la situation, il aurait déjà recréé ses réseaux en se servant, à l'ouest du Maroc et surtout à l'est, de la Libye et de l'Egypte.
La poursuite de la lutte permet aussi aux responsables terroristes de conserver un pouvoir personnel, ce qui est un des ressorts psychologiques de leur action. En particulier, à travers ses méthodes de recrutement coercitives, ses pratiques internes et l'adhésion à un islam totalement déviant, AQMI revêt un véritable caractère de secte.
Ainsi, le cas de l'ex GSPC est particulièrement révélateur de l'évolution que connaissent les groupes agissant au nom du « djihad ». D'abord il a du « s'internationaliser » pour ne pas disparaître. Ensuite, il est devenu autant une organisation criminelle qu'un mouvement terroriste, se livrant à des trafics de toute nature et à des enlèvements crapuleux. Enfin, il présente toutes les caractéristiques d'une organisation sectaire.