Proche-Orient : développement Des mouvements palestiniens salafistes
Alain RODIER
Depuis que Téhéran a perdu une partie de son influence dans la bande de Gaza et, d'une manière moindre, en Cisjordanie, certains Palestiniens rejoignent des mouvements salafistes extrémistes. Non seulement ces derniers prônent la guerre contre Israël, mais leur combat s'internationalise car ils adoptent la thèse de « jihad mondial » prônée par Al-Qaida.
C'est ainsi que Muhammad Ahmed Qanitah, un ancien instructeur des brigades al-Qassam du Hamas qui avait rejoint le « Conseil des moudjahiddines des environs de Jérusalem », a été tué en Syrie en décembre 2012, lors du siège de l'aéroport d'Alep. Il combattait au sein du Front Al Nusrah, l'unité salafiste la plus puissante en Syrie. Elle accueille dans ses rangs de nombreux jihadistes internationalistes. Elle est liée à l'Etat islamique d'Irak (EII), l'appellation officielle de la branche d'Al-Qaida dans ce pays.
Le Conseil des moudjahiddines des environs de Jérusalem
Le Conseil des moudjahiddines des environs de Jérusalem Majlis al-Shura al-Mujahideen fi Aknaf Bayt al-Maqdis) est un regroupement des différentes factions palestiniennes salafistes radicales présentes à Gaza. Ces dernières rejettent le Hamas depuis qu'il s'est investi en politique. Les plus importantes sont les groupes Tawid al Jihad, Jaljat, Jaysh al-Islam, Jund Ansar Allah et Ansar al Sunnah. Le cheikh Anas Abdul Rahman, un des responsables du « Conseil », déclare que son but consiste à « combattre les juifs pour revenir aux lois de l'Islam, pas uniquement en Palestine mais partout dans le monde ».
Ce groupe a revendiqué de nombreuses opérations terroristes dirigées contre Israël, notamment des attaques à la roquette et au mortier. La plus marquante a été celle du 18 juin 2012 qui a été menée en coopération avec le mouvement Jaysh al Islam. Elle a causé la mort d'un civil israélien. Une revendication vidéo parue en juillet 2012 disait que cette action était : « un cadeau à Al-Qaida et au cheikh Al Zawahiri […] et en signe de vengeance pour la mort d'Oussama Ben Laden ».
En novembre 2012, l'aviation israélienne a ciblé de nombreux responsables du « Conseil ». Plusieurs activistes ont été tués dont Tala'at Halil Muhammad Jarbi, un combattant internationaliste, et Abdullah Muhammed Hassan Maqawai, un ancien membre du Jihad islamique palestinien. Deux autres responsables du « Conseil » avaient déjà été transformés en « chaleur et lumière » en octobre : Ashraf al Sabah, l'émir d'Ansar al Sunnah, et Hisham al-Saidani – alias Abou al Walid al-Maqdisi -, l'ancien chef du groupe Tawid al Jihad et grand théoricien de l'unification sous une même bannière des mouvements salafistes présents à Gaza.
Tawid al Jihad a fait son apparition en août 2009 en dénonçant l'opération menée par le Hamas contre la mosquée Ibn Taymiyah à Rafah. Au cours de cette intervention musclée, l'imam Latif Moussa et 21 de ses fidèles ont trouvé la mort. Lors de son prêche du vendredi, Latif Moussa avait eu le tort de prôner l'établissement d'un émirat islamique à Gaza. Al Maqdisi connaissait bien cet idéologue puisqu'il avait été un de ses élèves ! En juin 2010, ce groupe avait aussi fait l'éloge de Mustafa Abou Yazid, un des dirigeants d'Al-Qaida tué par une frappe de drone américain au Pakistan. La déclaration disait notamment que la mort d'Abou Yazid était la dernière d'une « génération […] de martyrs d'Al-Qaida comme Abou Moussab Zarkawi, Abou Omar al Baghdadi, Abou Hamza al Muhajir, Abou al Laith al Libi et Yousouf al Ayiri, qui vont transformer la vie de leurs ennemis en un enfer insupportable et les envoyer ensuite dans une damnation éternelle où le Dieu est le seul juge ». Conjointement, et preuve de sa volonté d'internationalisation, ce groupe avait assuré de son soutien l'Emirat islamique du Caucase.
Liaisons avec des mouvements salafistes égyptiens
Il est vraisemblable que le « Conseil » ait désormais pris la direction des mouvements salafistes présents dans le Sinaï dont les deux les plus importants sont :
– Ansar al Jihad dans la péninsule du Sinaï, un mouvement salafiste qui est né en décembre 2011 ; ce mouvement se revendique d'Al-Qaida et a fait officiellement allégeance à son chef, Ayman Al-Zawahiri ;
– Ansar Jerusalem, aussi dénommé Ansar Bayt al-Maqdis, qui a mené une opération ayant coûté la vie à un militaire israélien, le 21 septembre 2012.
Les mouvements radicaux présents au Sinaï sont, pour le moment, composés majoritairement d'Egyptiens. Toutefois, cette région est en train de devenir un nouveau front pour Al-Qaida, des jihadistes yéménites, somaliens, libyens et algériens venant renforcer le dispositif. Il est possible que des fuyards en provenance du Mali soient également arrivés sur zone.
Les raisons de l'intérêt d'Al-Qaida pour les Palestiniens et le Sinaï
La cause palestinienne, qui n'a que modérément mobilisé Al-Qaida depuis sa fondation – bien qu'Abdullah Azzam, un de ses idéologues soit d'origine palestinienne – est revenue sur le devant de la scène. Pour cela trois raisons.
– Al-Qaida a repris pied en Egypte depuis le « printemps arabe » et la majorité de ses membres dirigeants – dont son leader, Al Zawahiri – sont des Egyptiens.
– L'Iran, qui se focalisait sur la lutte antisioniste jusqu'au déclenchement du conflit syrien -et qui par conséquent faisait tout pour écarter de la scène les salafistes qui lui sont hostiles – a été obligé de lâcher pied, particulièrement à Gaza. En effet, le Hamas qui s'est rangé du côté des rebelles syriens – du moins sur le plan idéologique – ne reçoit plus directement les subsides de Téhéran. Cette perte financière est compensée par le soutien de riches donateurs des pays du Golfe arabique, dont le Qatar.
– La chute du colonel Kadhafi a amené une prolifération d'armes sur le continent africain etdans le Sinaï. Cela donne de nouveaux moyens à tous les groupes qui ne rêvent que d'en découdre avec l'Etat hébreu.
Il a aussi été découvert que l'Egyptien Jamal al Kashef[1] – alias Abou Ahmed – chef d'une cellule salafiste égyptienne dite « La cellule terroriste de la ville de Nasr », avait adressé des courriers à Al-Zawahiri lui faisant part de la création de cellules clandestines au Sinaï. Il y écrivait notamment que pour ce faire, il avait reçu des fonds transmis par Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA), basé au Yémen. Il se plaignait d'ailleurs de la modicité des sommes allouées car, selon lui, l'achat d'armes, de véhicules, l'entretien de camps et le soutien des familles des militants coûtent très cher.
Pour les activistes salafistes palestiniens, le Sinaï offre des possibilités d'action plus étendues qu'à Gaza où ils se sentent trop à l'étroit et surveillés de près par le Hamas et les Israéliens. Le désert égyptien leur apporte une profondeur stratégique qu'ils apprécient.
Al-Qaida a donc trouvé dans cette région traditionnellement très mal contrôlée par les autorités égyptiennes[2] une nouvelle base qui, dans un premier temps, peut lui servir de lieu de repli (Somalie, Yémen, Mali, etc.). Les activistes internationalistes encadrés par des Palestiniens et des Egyptiens vont pouvoir à loisir s'y refaire une santé, voire s'entraîner plus longuement. De plus, cette zone est un sanctuaire à partir duquel des actions peuvent être montées contre Israël, mais aussi un espace par où peuvent transiter des volontaires pour aller combattre sur d'autres fronts, comme celui de la Syrie. La mort de Muhammad Ahmed Qanitah est là pour le démontrer.
- [1] Il a été arrêté le 24 octobre 2012 au Caire. Ses hommes sont suspectés avoir organisé l'attaque du consulat américain de Benghazi en Libye, le 11 septembre 2012 qui a fait 5 morts dont l'ambassadeur. Il a été arrêté par les autorités libyennes. Les lettres ont été découvertes sur son ordinateur lors de la perquisition de son domicile.
- [2] Cette situation est antérieure à la chute du président Moubarak. Toutefois, la situation sécuritaire s'est considérablement dégradée depuis.