Pourquoi la France est menacée par le GSPC ?
Alain RODIER
Lors d'une intervention télévisée, le 11 septembre 2006, le docteur Ayman Al-Zawahiri, numéro deux et idéologue d'Al-Qaida, a directement menacé la France d'actions terroristes. Dans ce but, il a officiellement demandé au Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) algérien de passer à l'action. A noter que les liens entretenus entre Al-Qaida et le GSPC ne sont pas nouveaux. C'est même Oussama Ben Laden qui aurait poussé Hassan Hattab1 à créer ce mouvement en septembre 1998. Le 12 septembre 2002, Imad Abdelwalid Alwan, un Yéménite « coordinateur » d'Al-Qaida qui menait une mission de liaison auprès du GSPC, était tué en Algérie par les forces de sécurité. Le 25 janvier 2005, le GSPC apportait son soutien officiel à Al-Zarqaoui, alors chef d'Al-Qaida en Irak.
Pourquoi la France ?
Pourquoi les islamistes radicaux en veulent-ils tant à la France dont les dirigeants politiques ont toujours montré un attachement aux liens qui unissaient Paris aux pays musulmans et qui ont notamment condamné l'intervention américaine de 2003 en Irak ?
En fait, les radicaux islamiques veulent établir un califat sur l'ensemble de la planète. En priorité, ils souhaitent renverser les régimes « apostats » qui dirigent les pays musulmans. Ensuite, ils ont pour objectif de s'attaquer aux pays qui abritent déjà une forte communauté musulmane afin qu'ils deviennent une terre de djihad (dont bien évidemment la France). Enfin, ce sont les pays non musulmans qui constitueront leurs objectifs de conquête, le choix étant laissé aux « mécréants » de se convertir ou de mourir.
La France occupe une place bien particulière dans le cœur des islamistes radicaux. Historiquement, c'est le peuple qui a arrêté les conquêtes Maures à Poitiers en 732. Cette victoire a marqué le commencement du déclin du monde musulman. Ensuite, c'est le pays d'où sont parties la majorité des croisades dirigées par la Papauté destinées à libérer Jérusalem. Enfin, la France a été une puissance coloniale qui a occupé des terres d'Islam pendant des années. Elle a pris fait et cause contre Nasser lors de l'opération de Suez menée en 1956, conjointement avec les Britanniques et les Israéliens. Enfin, la décolonisation ne s'est pas déroulée sans douleur, particulièrement en Algérie. Par la suite, la France a soutenu Saddam Hussein, alors dirigeant d'un Irak laïque, dans la guerre qu'il a déclenché contre l'Iran. Enfin, les forces armées françaises ont participé en 1991-1992 à la première guerre du Golfe (Desert Storm), venant « occuper » les terres saintes de l'Islam (l'Arabie Saoudite).
En dehors de ces griefs historiques, la période actuelle est également propice à la vindicte des extrémistes islamiques. Ainsi, ces derniers estiment que les Français traitent mal les musulmans présents dans le pays : interdiction du port du foulard islamique à l'école, difficulté pour ouvrir des salles de prières et des mosquées, refus des autorités de faciliter la pratique du culte musulman (par exemple, des demandes d'ouverture d'heures de piscines réservées aux femmes ont été refusées), etc.
A l'extérieur, la France est soupçonnée soutenir en sous-main le régime « apostat » du président algérien Abdelaziz Bouteflika qui mène une guerre sans pitié contre les moudjahédines algériens. Bien sûr, le rôle joué par les armées françaises en Afghanistan n'est également pas apprécié.
Enfin, la participation de la France à la mise en place d'une FINUL renforcée au Sud-Liban est très mal considérée. En effet, la question que pose les radicaux est la suivante : pourquoi cette force ne se trouve-t-elle pas située au nord d'Israël ? Ils en déduisent que la France joue encore là un rôle de « croisé » dirigé contre le Hezbollah et les populations musulmanes et soutient en sous-main les sionistes.
Pourquoi le GSPC ?
Les Algériens en général reprochent beaucoup de choses à la France, le président Bouteflika en tête (il demande que Paris face « acte de repentance » pour la période coloniale). Les islamistes pour leur part, sont persuadés que, s'ils n'ont pas pu accéder au pouvoir, c'est en grande partie à cause de l'attitude de Paris qui a laissé faire les autorités d'Alger, qu'il a aidé directement ou indirectement.
Depuis sa création, le GSPC – à l'origine, une faction dissidente des GIA – a été adoubé par Al-Qaida. L'organisation de Ben Laden collabore avec les islamistes algériens depuis de longues années. Ainsi, la garde rapprochée d'Ousssama Ben Laden lorsqu'il se trouvait en exil au Soudan (2003-2006) était composée majoritairement de membres des GIA. Ce mouvement, aujourd'hui dirigé par Abdel Kader Droukdel – alias Abou Moussab Abdelwahoud – a officiellement fait allégeance à Ben Laden. En 2005, il a également désigné la France comme l'ennemi numéro un des musulmans ! La nébuleuse Al-Qaida a pour tactique de faire sous-traiter ses opérations par des groupes locaux. Or, le GSPC, s'il est en relative difficulté opérationnelle en Algérie où il ne compterait plus que quelques centaines de combattants, possède de nombreuses cellules dormantes en Europe, notamment en France et en Italie2.
Très bien implantés sur le territoire national et se dissimulant au sein de la communauté maghrébine – qui dans sa grande majorité ne partage pas les idéaux des radicaux islamistes – les membres du GSPC ont la volonté et les capacités techniques de mener des actions spectaculaires sur notre sol. Les objectifs potentiels sont bien trop nombreux pour pouvoir être surveillés étroitement par les forces de sécurité. La seule méthode efficace de lutte contre cette menace est le renseignement. Mais les services spécialisés (DST, RG) ont du mal à infiltrer les cellules du GSPC, d'autant qu'elles respectent des règles élémentaires de la vie clandestine : discrétion, cloisonnement, etc. Cependant, les services français ont remporté de nombreux succès évitant ainsi des actions terroristes lors du mondial de football, à Strasbourg à l'aube du nouveau siècle, à Paris contre l'ambassade de Russie, etc. Le problème est que les personnes interpellées recrutent de nouveaux activistes au sein des prisons françaises. Une fois leur peine accomplie, ils ressortent et redeviennent opérationnels. Enfin, les militants algériens du GSPC ont également recruté et entraîné des non-Algériens : des Français (majoritairement issus de l'immigration mais aussi de souche), des Tunisiens, des Marocains, des Libyens, des Mauritaniens, des Maliens, des Nigériens et des Nigérians.
En conséquence, la question de savoir s'il va y avoir un attentat en France ne se pose plus. L'important est de savoir quand, où et avec quels moyens ?
- 1En comparaison, ce sont des mouvements radicaux pakistanais qui ont en charge la Grande-Bretagne, la diaspora pakistanaise y étant très importante.
- 2Le représentant de l'époque d'Al-Qaida en Grande-Bretagne, Abou Koutada, avait lancé une fatwa contre les Groupes Islamistes Algériens (GIA) condamnant les dérives meurtrières de ces mouvements qui s'en prenaient trop aux populations civiles. Des conversations téléphoniques entre Ben Laden et Hassan Hattab ont été interceptées en 1999-2000. Ce dernier aurait été tué par ses hommes à l'été 2003. Cette version est actuellement contredite. Hassan Hattab aurait quitté de son propre chef la direction du GSPC pour se réfugier dans la forêt de Sidi Ali Bounab dans la région de Boumerdès.