Pakistan : nouveaux responsables des taliban
Alain RODIER
Le mollah Fazlullah,
nouvel émir des taliban pakistanais
Les rumeurs qui prétendaient que l'ancien n°2 des taliban pakistanais, Khan Said – alias Sajna -, avait été désigné par le majlis al-choura (conseil consultatif, organe de commandement) en remplacement d'Hakeemullah Mehsud – alias Zulkifar -, tué par un drone américain le 1er novembre 2013, ont été démenties[1]. En effet, Asmatullah Shaheen Bhittani, le président de la choura a déclaré officiellement que le nouvel émir des taliban pakistanais est, depuis le 7 novembre, le mollah Fazlullah. Ce dernier aurait été désigné lors d'un meeting secret tenu par la choura au Nord-Waziristan.
Le mollah Fazlullah, originaire de la vallée de Swat située au nord-ouest du Pakistan, est considéré comme un religieux radical et un redoutable chef de guerre. Il est également surnommé le « mollah radio » en raison des nombreux prêches enflammés qu'il a prodigué sur les ondes dans la vallée de Swat depuis la création du Terhrik-e-Taliban Pakistan (TTP) en 2007, jusqu'à son départ forcé vers l'Afghanistan en 2009.
Il est également connu pour son intransigeance ayant, par exemple, ordonné la tentative d'assassinat, en octobre 2012, de la jeune écolière Malala Yousufzaï. Celle-ci s'était insurgée contre la consigne qu'il avait alors donné de fermer les écoles pour filles dans la vallée de Swat. Auparavant, il s'était violement opposé à une campagne de vaccination des populations locales contre la polio, faisant assassiner des membres des équipes médicales qui en étaient chargés. D'autre part, il entretient les meilleurs rapports avec Al-Qaida, ayant accueilli nombre de ses militants dans les zones frontalières pakistanaises qu'il contrôlait. Après l'offensive de l'armée pour libérer la vallée de Swat en 2009, il a été contraint de se réfugier en Afghanistan entre les provinces de Kunar et du Nuristan (au nord du Kunar), ces dernières ayant évacuées par les forces américaines. Cela ne l'empêche pas de continuer à diriger des opérations offensives au Pakistan depuis son repaire afghan, provoquant par là-même des dissensions entre Kaboul et Islamabad. Le gouvernement pakistanais a ainsi demandé à son homologue afghan de bien vouloir arrêter et extrader cet irréductible. Bien évidement, Kaboul n'en n'a pas les moyens.
Le cheikh Khalid Haqqani a été désigné comme son adjoint. Membre de la choura, il est responsable de nombreuses fatwas dont la dernière dirigée contre les medias pakistanais qu'il accuse de ne pas dépeindre les taliban sous leur vrai jour. En effet, ce religieux, qui a une influence importante en raison de son érudition, est aussi un impitoyable combattant. C'est lui qui dirigeait ces six dernières années les attentats suicide au Pakistan. D'ailleurs, il entretiendrait des liens forts avec le mollah Omar, le chef spirituel des taliban afghans.
La désignation de ce duo de « jusqu'au-boutistes » à la tête des taliban pakistanais laisse perplexe. La tribu Mehsud du Waziristan-Sud, qui dirigeait les taliban pakistanais depuis la création du TTP, est écartée de fait du pouvoir. D'ailleurs, on ne sait pas pour d'instant ce qu'est devenu Khan Said, qui n'apparaît pas dans le nouvel organigramme. Il n'est pas exclu que des luttes internes interviennent dans les prochaines semaines. S'il est clair que le désir de négociations avancé par Islamabad semble voué à l'échec – car la nouvelle direction semble y être fondamentalement hostile -, que va-t-il se passer avec les taliban pakistanais dits « modérés[2] ». Ils semblaient plus réceptifs aux propositions d'ouverture du gouvernement pakistanais. Il n'est donc pas impossible que le TTP se dirige vers une partition en deux factions distinctes qui pourraient s'opposer violemment dans l'avenir. Si Islamabad veut se débarrasser de ces deux mollahs extrémistes qui l'empêchent de se rapprocher des taliban, le seul choix est de demander à leur « allié » américain de bien vouloir les transformer en « chaleur et lumière » via une frappe de drones, unique moyen opérationnel disponible pour intervenir à la frontière pakistano-afghane. Encore faut-il que les services de renseignement localisent, au mètre près, les cibles et, surtout, que les Américains aient la volonté de le faire. En effet, une partition du TTP n'est certainement pas pour leur déplaire.
- [1] Voir Note d'actualité n°332 de novembre 2013. Les informations circulant vite, il semble bien qu'Hakeemullah Mehsud ait bien été tué le 1er novembre et non plutôt, comme le suggérait cette note.
- [2] Appellation à prendre avec d'infinies précautions, ces taliban voulant également l'établissement d'un Etat islamique appliquant la charia.