Pakistan : mort du chef des taliban pakistanais
Alain RODIER
Hakeemullah Mehsud, l’ex chef des taliban pakistanais
Hakeemullah Mehsud – alias Zulkifar -, de son vrai nom Jamshed Mehsud, le chef des taliban pakistanais a été tué avec quatre de ses hommes par deux missiles air-sol tirés par un drone américain, le vendredi 1er novembre 2013, alors qu'il rentrait chez lui en véhicule 4X4 après avoir assisté à une réunion dans une mosquée de la localité de Dande Darpakhel, dans les zones tribales du Nord-Waziristan. Il occupait depuis quelques temps une modeste demeure en pierres et en latérite de cinq pièces dans ce village situé près de Miranshah, la capitale du Nord-Waziristan. Il aurait été atteint alors qu'il descendait de sa voiture dans la cour de sa maison. Cette manière de procéder laisse penser qu'il avait été précédemment « logé » par les services de renseignement américains.
Mehsud avait succédé à la tête du TTP (Tehrik-e-Taliban Pakistan) en août 2009 à l'un des ses cousins, Baitullah Mehsud, lui-même déjà tombé sous les coups d'un drone américain. Il a été porté en terre le lendemain même selon la tradition musulmane. Chef de guerre extrêmement violent, voire cruel – il faisait exécuter les présumés « espions » dans des conditions atroces -, il avait d'abord dirigé les opérations des taliban pakistanais dans les districts d'Arakzai, de Khyber et de Kurram. Ces ont principalement ses hommes qui attaquaient les convois destinés aux forces de la coalition en Afghanistan passant par le Pakistan.
Le Tehrik-e-Taliban Pakistan
Le TTP est un conglomérat de mouvements islamiques radicaux qui totalise envion 40 000 combattants. Un de ses leaders actuels, Omar Khalid al Khorasani, a déclaré, en mars 2012, que son objectif était de renverser le gouvernement pakistanais, d'imposer la charia, de s'emparer de l'arsenal nucléaire et d'étendre le djihad jusqu'à ce que le « califat soit établi dans le monde entier ». Ce mouvement entretient des relations étroites avec Al-Qaida central dont il a adopté l'idéologie. C'est en effet lui qui lui apporte refuge et protection dans les zones tribales pakistanaises. Il est également lié aux taliban afghans du mollah Omar et au mouvement Haqqani. Il devrait être partie prenante dans la reconquête de l'Afghanistan par les taliban après le départ des forces américaines.
Le TTP s'est distingué dans le passé par des attentats aveugles déclenchés au Pakistan qui ont fait des milliers de morts. La communauté chiite est d'ailleurs particulièrement visée, les membres du TTP les haïssant car les considérant comme des apostats.
Toutefois, ses actions les plus connues ont eu lieu à l'étranger. Ainsi, le 30 décembre 2009 sept Américains, dont cinq officiers de la CIA, un membre des services de renseignement jordaniens et un Afghan sont tués sur la base Chapman de Khost (Afghanistan). Un agent double, le docteur jordanien Humam Khalil Abou-Mulal al-Balawi avait réussi à s'introduire officiellement sur ce lieu sévèrement protégé et à se faire exploser[1]. Une autre opérationdu TTP est la tentative avortée d'attentat à la voiture piégée qui a eu lieu à Times Square, le 1er mai 2010. Son auteur aujourd'hui sous les verrous aux Etats-Unis, le Pakistanais Faisal Shahzad, a avoué avoir été entraîné au Nord-Waziristan pendant quatre mois et avoir été financé par le TTP.
Un successeur désigné bien rapidement
Le majlis al Choura, le conseil consultatif qui chapeaute le TTP, a très rapidement désigné son remplaçant. Parmi les grands responsables du mouvement – Qari Walayat Mehsud, un cousin du défunt, Asmatullah Shaheen, le chef de la Chura, Azam Tariq, le plus important porte-parole et le mollah Fazullah qui s'est illustré par de nombreux faits d'armes – c'est le n°2 du mouvement, Khan Said – alias Sajna – qui aurait été désigné. Cette promptitude est étonnante quand on sait que les 43 membres de la Choura prennent d'infinies précautions pour se rencontrer en raison de la menace que font peser les drones américains. Une réunion aussi subite de tous les membres du conseil consultatif est matériellement impossible à réaliser dans des délais aussi courts, d'autant que certains doivent venir de loin par des chemins difficiles. C'est à croire que Mehsud avait déjà été tué (il a été annoncé mort à plusieurs reprises) ou qu'il a été écarté volontairement par les membres de la Choura qui commençaient à le trouver trop encombrant.
Khan Said Sajna, le nouveau chef du TTP ?
Cette frappe intervient au moment où le gouvernement pakistanais souhaitait engager des pourparlers de paix avec le TTP et où les frappes des drones américains dans le monde, et au Pakistan en particulier, sont vivement critiquées. Il semble que cette timide ouverture d'Islamabad est aujourd'hui remise en question d'autant que le TTP souhaite venger la mort de son leader, notamment en déclenchant une campagne d'attentats dans tout le pays. Il n'est pas exclu qu'il ne tente également de se livrer à des actions offensives contre les intérêts américains à l'étranger, voire peut-être même, sur le sol américain.
Toutefois, l'attitude de Washington dans cette affaire répond à deux préoccupations. La première était de venger l'assassinat de ses fonctionnaires qui ne pouvait pas rester impuni. Une prime de 5 millions de dollars avait même été lancée sur sa tête. La deuxième réside dans le sérieux doute quant à la volonté réelle d'Hakeemullah Mehsud de négocier avec Islamabad. En effet, il était connu pour être un « jusqu'au-boutiste » totalement anti-occidental. D'ailleurs, il avait menacé à plusieurs reprises de s'en prendre aux Etats-Unis[2]. Il sera peut-être plus aisé, une fois la colère passée, d'approcher son successeur Khan Said que l'on dit moins extrémiste. En effet, sous les coups de boutoirs de l'armée pakistanaise discrètement appuyée par les Etats-Unis[3], le TTP a subi de nombreux revers ces dernières années, particulièrement en 2010 et 2011. La mort violente de ses leaders successifs, tués un à un par les drones américains, en est l'expression. D'ailleurs, le mouvement a été obligé d'évacuer en partie le Sud-Waziristan pour se cantonner au Nord-Waziristan où il se sent plus à l'abri.
C'est la suite des évènements qui va dire si Hakeemullah Mehsud était encore vraiment apprécié au sein du TTP. En effet, certains groupes faisant partie du TTP avaient exprimé leur souhait de négocier avec le pouvoir pakistanais. De plus, ce mouvement et Islamabad ont un intérêt secret commun à moyen terme : le retour des taliban à Kaboul. Peut-être pourront-ils s'entendre autour de cet objectif ?
- [1] Jenifer Lynne Matthews, qui commandait la base de la CIA dépendant de la Special Activities Division chargée des opérations clandestines de la centrale américaine, les officiers de la CIA Harold Brown, Elizabeth Hanson, Scott Roberson et Daren LaBonte (interprète), les agents de sécurité de la X° (société militaire privée héritière de Blackwater) Dane Paresi et Jeremy Wise, l'officier-traitant jordanien du Dairat al-Mukhabarat al-Ammah, Ali Shareef Ali Bin Zeid et le responsable afghan de la sécurité Arghawan.
- [2] Il représentait donc bien un risque réel pour la sécurité de ce pays et son inscription sur la Hit List semble donc justifiée.
- [3] Les relations entretenues entre Islamabad et Washington restent ambiguës. Les Etats-Unis financent l'effort militaire pakistanais. En échange, le Pakistan donne des renseignements recueillis sur le terrain, ce que le CIA n'est plus en état de faire dans les zones tribales. Il est d'ailleurs possible que le renseignement ayant permis la neutralisation de Mehsud ait eu pour origine les services pakistanais ISI (qui, pour compliquer le tout, sont aussi un « Etat dans l'Etat »).