Pakistan : les taliban concluent un accord de non-agression avec islamabad
Alain RODIER
Les taliban pakistanais, regroupés depuis décembre 2011 au sein de la Shura-e-Murakeba, et le réseau Haqqani, allié fidèle d'Al-Qaida, auraient conclu en février 2012 un accord de paix secret avec les autorités pakistanaises. Les combattants présents dans les zones tribales ont reçu l'ordre de cesser toute action offensive dirigée contre les forces de sécurité et les populations pakistanaises.
La Shura-e-Murakeba regroupe le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP[1]), les groupes de Gul Bahadar, du mollah Nazir, de Zabiullah Muhajid, du mollah Sangeen et le réseau Haqqani, dont le chef opérationnel est Siraj Haqqani, le fils de Jalaluddin, leader historique du mouvement qui s'est illustré lors de la guerre menée contre les Soviétiques.
Cet accord aurait été négocié sous l'égide de l'idéologue d'Al-Qaida central, Abou Yahia al-Libi, avec l'agrément du mollah Omar, le chef charismatique des taliban. Son objectif est de consacrer tous les moyens disponibles au combat les forces de l'OTAN en Afghanistan.
Islamabad a démenti de manière véhémente avoir initié toute négociation avec les taliban. Toutefois, le contexte actuel rend l'hypothèse de cet accord plausible. En effet, le pouvoir pakistanais est empêtré dans des luttes d'influence au plus haut niveau de l'Etat[2]. De plus, ses relations avec les Américains se sont considérablement dégradées depuis le coup de main des SEALs qui a provoqué la mort de Ben Laden, le 1er mai 2011.
Surtout, le retrait programmé des forces de la coalition d'Afghanistan d'ici 2014 est ressenti par tous les acteurs comme une défaite de l'Occident tout-puissant. Le Pakistan compte réinstaller son influence sur l'Afghanistan pour contrer ses ennemis de toujours, les Iraniens et les Indiens. Ce pays lui sert en effet d'espace stratégique. Pour cela, il prévoit une arrivée rapide des taliban à Kaboul après le départ des forces combattantes étrangères[3].
Le régime du président Hamid Karzaï ne devrait pas survivre bien longtemps car les forces de sécurité sur lesquelles il s'appuie ne font pas le poids -moralement, idéologiquement et opérationnellement- et devraient en toute logique se débander rapidement. De plus, son administration est profondément corrompue, ce qui ne tend pas à la faire particulièrement apprécier des populations qui réclament de vivre dans un certain ordre, avec un minimum de sécurité. Il convient de se rappeler que le régime mis en place par les Soviétiques en Afghanistan n'a survécu que deux ans après le départ de l'Armée rouge. Et pourtant, les forces armées afghanes équipées par les Soviétiques étaient alors bien plus puissantes qu'aujourd'hui…
Les taliban sentent également que la victoire est au bout du fusil. Ils vont tenter d'infliger un maximum de pertes aux troupes qui se replient, à moins que ces dernières ne « négocient » un départ dans la tranquillité à défaut d'être dans l'honneur[4].
Quant aux membres d'Al-Qaida central qui ont été fortement été étrillés ces dernières années, particulièrement en raison des raids meurtriers menés par les drones armés de la CIA, ils espèrent pouvoir se refaire une nouvelle jeunesse en participant à la victoire finale quand les télévisions mondiales couvriront la prise de Kaboul.
Quelle sera l'attitude des taliban quand ils auront pris le pouvoir en Afghanistan ? Il est certain que, comme dans le passé, il établiront la loi islamique, ce qui apportera un peu de sécurité au peuple afghan confronté à une criminalité endémique. Washington semble bien avoir compris le processus : « faîtes ce que vous voulez chez vous, mais n'attaquez pas nos intérêts ». Nous sommes aujourd'hui bien loin du « droit d'ingérence ».
Les taliban règleront aussi leurs comptes, de manière musclée voire horrible selon les critères occidentaux, mais les caciques du pouvoir auront certainement pris leurs dispositions (l'exil) auparavant. Ce seront donc les seconds couteaux qui n'ont pas les moyens financiers de fuir, qui paieront la facture, à moins qu'ils n'aient retourné leur veste à temps, vieille tradition locale.
Il est possible que le mollah Omar, échaudé par l'expérience de 2001[5], n'accorde pas les mêmes facilités aux combattants internationalistes d'Al-Qaida malgré leur participation à la « victoire finale ». De plus, il n'éradiquera pas la culture du pavot car le nouveau régime aura cruellement besoin de financements, mais il la contrôlera étroitement. Les trafiquants en tous genres n'ont qu'à bien se tenir…
- [1] Son chef charismatique est Hakimullah Mehsud qui a été annoncé comme mort à plusieurs reprises. Son second est Waliur Rehman Mehsud.
- [2]Le président contre le Premier ministre et ce dernier contre l'armée.
- [3] Les formateurs qui devraient rester sur place suivront certainement leurs camarades combattants car ils n'auront plus de recrues à instruire.
- [4] L'aspect financier sera alors primordial. Le contingent italien a montré la voie lors de son départ en 2011.
- [5] Les taliban avaient perdu le pouvoir suite à l'intervention américaine car ils avaient refusé de livrer Ben Laden qu'ils hébergeaient.