Pakistan : le risque d’éclatement du pays
Alain RODIER
La situation qui se dégrade de jour en jour au Pakistan fait craindre à l'éclatement du pays un peu à la manière somalienne. Un expert américain déclare même « ce serait un désastre à l'échelle de la révolution iranienne ». En fait, cela serait pire car le Pakistan est une puissance nucléaire. Nul ne sait ce qui pourrait arriver si les quelques 60 armes nucléaires pakistanaises tombaient dans des mains malveillantes.
L'hypothèse la plus probable est l'éclatement du pays en différentes régions. Très schématiquement, les unes seraient tenues par des chefs de guerre proches d'Al-Qaida [1], d'autres par des islamistes que l'on peut qualifier de nationalistes [2] et enfin le reste (Balouchistan et Sind) passeraient sous le contrôle de différentes factions à caractère politico-ethno-mafieuses ,à l'image de l'Awami National Party (ANP) qui regroupe différentes tribus pachtounes mais dont les membres sont surnommés les « taliban sans barbes ». Seul le territoire de la capitale Islamabad [3] pourrait rester aux mains d'une pseudo administration centrale qui, pour survivre, serait obligée de faire toutes les concessions aux différents potentats locaux. Pour compliquer un peu la donne, les taliban pakistanais se répartissent entre factions nationalistes et internationalistes.
Si un tel scénario devait advenir, ce serait une catastrophe pour les pays voisins, en particulier pour l'Inde et l'Afghanistan. En effet, plus encore qu'aujourd'hui, les zones incontrôlées serviraient de bases arrières à tous les activistes islamiques ou nationalistes. Il est aussi prévisible ce Pakistan renforcerait encore son rôle de base arrière pour tous les activistes islamiques qui souhaitent déclencher des actes terroristes dans le monde, dans le cadre du califat planétaire qu'appelle de ses voeux Oussama Ben Laden.
Mais la plus grande inquiétude provient du devenir des armes nucléaires pakistanaises. Les Américains auraient dans leurs cartons un scénario prévoyant leur neutralisation avant que le chaos général ne s'étendent à l'ensemble du pays.
L'armée et les services secrets : les seuls remparts crédibles contre les islamistes
Actuellement, les seules structures capables de s'opposer à cet éclatement semblent être l'armée et les services secrets, même si ces organismes sont noyautés à des échelons intermédiaires par un certain nombre d'islamistes fanatiques et si leur efficacité opérationnelle actuelle parait limitée. En effet, les forces de sécurité ne sont pas parvenues à neutraliser les activistes du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) de Baitullah Mehsud, considéré comme le « Ben Laden pakistanais », et de son adjoint Hakimullah Mehsud, tous deux proches de Sirajuddin Haqqani, un des principaux chefs de guerre afghan, qui règnent en maîtres dans les zones frontalières de l'Afghanistan.
Le 1er avril, les Américains ont tenté sans succès d'abattre Hakimullah Mehsud à l'aide de missiles tirés depuis des drones. Ce raid qui a fait douze victimes a attiré en représailles l'attentat suicide du 4 avril contre un baraquement des gardes frontières situé dans les zones tribales. Il a été suivi le 27 mai par une attaque contre les bureaux de l'ISI à Lahore. Au moins 25 victimes étaient à déplorer. Le lendemain, un double attentat avait lieu à Peshawar faisant une dizaine de tués et quelques 90 blessés. Cela démontre la réactivité des taliban pakistanais qui possèdent des centaines de candidats au martyre. Il en est de même pour les mouvements islamico-nationalistes que sont le Lashkar e Taiba (LeT) et le Jaish-e-Muhammad (JeM), qui semblent près de pouvoir contrôler la situation à Lahore.
C'est en raison de cette incapacité chronique des forces de sécurité que le président Asif Ali Zardari a été contraint de laisser le Tehrik-e-Nifaz-e-Shariat-e-Mohammadi (TNSM), un mouvement proche du TTP, établir la loi islamique dans la vallée de Swat qui couvre un tiers de la province du nord-ouest (NWFP). Devant cette reculade, certains responsables islamiques comme Sufi Mohammad et Maulana Abdul Aziz [4], ont affirmé que la loi islamique devait être étendue à l'ensemble du Pakistan. A l'évidence, leur réel objectif est de prendre le pouvoir à Islamabad. Ils y sont encouragés par Abou Yahia al-Libi, un important porte-parole d'Al-Qaida qui a appelé le peuple à se soulever contre l'armée et l'Etat pakistanais. Même, Maulana Fazlur Rehman, le chef d'un des partis islamiques autorisé, a déclaré au parlement qu'il conviendrait dès à présent d'établir la charia sur l'ensemble du pays. Selon lui, les taliban perdraient ainsi leur argumentation pour combattre le pouvoir central. Cela est erroné car les taliban proposent bien plus que la charia : la redistribution des terres. De ce fait, ils trouvent de nombreux adeptes au sein de la petite paysannerie qui est en conflit depuis des années avec les grands propriétaires terriens ; en effet, à la différence de l'Inde, le Pakistan ne s'est jamais livré à une révolution agraire d'importance.
Sous la pression de Washington, les forces de sécurité pakistanaises se sont décidées à reprendre pied dans la vallée de Swat. En mai, elles sont parvenues à prendre le contrôle de Mingora, la principale ville de la région ainsi que de Bahrain et de Peochar, les bases arrières de Maulana Fazlullah, le chef opérationnel du TNSM. Parallèlement, ce dernier a vu sa tête mise à prix pour 50 millions de roupies (600 000 dollars), soit dix fois plus qu'auparavant.
Un pouvoir politique empêtré dans des querelles internes
La révolte gronde partout dans le pays parce que la misère est encore accrue du fait de la crise économique mondiale. Ainsi, plus d'un tiers de la population vivrait en dessous du seuil de pauvreté ! Bien consciente du danger et afin d'aider le pouvoir en place, la communauté internationale a déjà accordé au pays 7,6 milliards de dollars via le FMI. En 2009, elle a promis un nouveau prêt de 5 milliards de dollars sur deux ans. Ces sommes sont cependant jugées comme bien insuffisantes pour parvenir à régler les immenses problèmes sociaux pakistanais.
Le fait le plus grave réside dans les luttes d'influence qui ont lieu au plus haut niveau du pouvoir et qui annihilent considérablement l'exécutif politique.
Le président Zardari est mis en difficulté par le chef de l'opposition laïque Nawaz Sharif, qui a imposé la remise en place, en tant que chef de la Cour suprême, du juge Iftikhar Chaudhry lequel avait été démis de ses fonctions en 2008 par le président Musharraf. Or Chaudhry aurait pour projet de renverser Zardari en ressortant des affaires de corruption du placard [5].
Cela ne signifie pas pour autant que Nawaz Sharif porte le juge Chaudhry dans son cœur car de dernier ne l'a pas soutenu quand il a été renversé en 1999 par le général Musharraf. Il faut ajouter à cela qu'une partie de la classe politique et de l'administration est corrompue. Ce n'est donc pas elle qui est capable de gagner la guerre des idées contre les taliban qui sont vus par une partie importante de la population comme « durs mais justes ».
Les attentats sont en constante augmentation au Pakistan ; ils ont doublés entre 2007 et 2008 . 2009 devrait être encore pire. Il n'est pas interdit de penser qu'après un éclatement du pays, les taliban pourraient arriver au pouvoir dans les années qui suivraient. Mais la question demeure : que feraient-ils de l'armement nucléaire ?
- [1] La province frontière du Nord-Ouest -NWFP-, les zones tribales fédéralement administrées (FATA).
- [2] Azad Jammu et Cachemire (AJK), les zones nord (FANA) et le Penjab.
- [3] Région qui compte 10% de la population pakistanaise, estimée à environ 176 millions d'âmes.
- [4] Un religieux radical qui avait été arrêté lors de l'assaut donné contre la mosquée rouge à Islamabad en 2007.
- [5] Zardari était surnommé « Monsieur 10% » en raison des intérêts qu'il réclamait pour la conclusion d'affaires commerciales alors que son épouse Benazir Buttho occupait le poste de Premier ministre