Pakistan : le général qui monte
Alain RODIER
Le 2 octobre 2007, le lieutenant-général Ashfaq Pervez Kiyani a été nommé vice chef d’état-major. Il est ainsi devenu le numéro deux de l’armée pakistanaise :. Le président Pervez Musharraf a décidé que ce serait ce militaire qui prendrait, le moment venu, sa succession à la tête des armées, lui-même conservant le poste de président de la république auquel il a été réélu le 6 octobre. Il est tout à fait possible que cet homme qui a su mener une brillante carrière tout en restant discret, soit promis à un avenir encore plus prestigieux. En effet, si Musharraf devient vraiment trop encombrant, son impopularité grandissant à l’intérieur comme à l’extérieur, les Américains pourraient voir en le général Kiyani l’homme providentiel qui pourrait sauver la situation.
Sa carrière
Né en 1952, le général Kiyani est issu d’un des plus importants clans de la région de Jhelum, dans la province du Pendjab. Cette zone aride habitée d’une population rustique est réputée ne fournir qu’un seul produit : des soldats ! D’ailleurs, son père était lui-même sous-officier.
Après avoir fait ses études au collège militaire de Jhelum, il est admis à l’académie militaire de la ville de Kakul où il décroche ses galons d’officier. En 1971, nommé sous-lieutenant, il rejoint le glorieux régiment d’infanterie « Baloutche ». Il gravit normalement tous les grades, commandant successivement un bataillon, une brigade puis une division d’infanterie. Son poste de commandement le plus important est celui du 10 e Corps d’armée basé à Rawalpindi.
Il est diplômé du collège de commandement et d’état-major de Quetta et du collège de la Défense nationale d’Islamabad. Il a également suivi les cours de l’école d’état-major de Fort Leavenworth (Etats-Unis).
Entre ses temps de commandement, il occupe d’importantes responsabilités au sein de différents états-majors. En 1988, il occupe le poste de secrétaire adjoint au sein du cabinet militaire du Premier ministre qui est alors de Benazir Bhutto. Il a également été le directeur général des opérations militaires lors de la confrontation avec l’Inde en 2002. Il avait alors fait preuve de beaucoup de sang-froid et de diplomatie.
Le général Kiyani est chargé, en 2004, de diriger l’enquête concernant les attentats terroristes dirigés contre le président Musharraf en décembre 2003. Selon les écrits du président pakistanais, le général Kiyani a alors œuvré à parfaire la coordination des différents organismes de renseignement. Cette enquête est un succès car nombre des commanditaires et exécutants des attentats tombent dans les mailles du filet. En récompense, le président Musharraf le nomme à la tête de l’Inter Services Intelligence (ISI), les redoutables mais controversés services de renseignement militaires. Il occupe ce poste jusqu’en octobre 2007. C’est sous sa direction que Abou Faraj al-Liby, un des principaux responsables opérationnels d’Al-Qaida est appréhendé. Un seul point noir à ce parcours sans faute : c’est à la même époque que les autorités pakistanaises ont perdu le contrôle du Waziristan frontalier à l’Afghanistan, laissant les taliban et Al-Qaida prendre cette région très sensible sous leur coupe.
Le général Kiyani est marié et père de deux enfants. Grand sportif malgré le fait qu’il soit un gros fumeur, il entretient une grande passion pour la pratique du golf. Il est d’ailleurs président de l’Association pakistanaise de golf.
Position du Général Kiyabi
Très estimé au sein de l’armée, le général Kiyani est considéré comme « patient, compétent, professionnel, discipliné, intelligent et déterminé ». Il a la réputation d’un homme qui parle peu mais agit beaucoup, mais avec discrétion. Cet homme de terrain dont l’expérience s’est forgée au rythme du temps, est aussi réputé pour être un intellectuel de haut niveau. Ce fait est assez rare au sein de la caste militaire pakistanaise pour être souligné. Il a un grand don d’organisation et de diplomatie, ce qui lui a beaucoup servi dans sa carrière. Son passage relativement bref (3 ans) à la tête de l’ISI ne fait pas réellement de lui un « homme de renseignement ». En fait, il reste surtout un militaire particulièrement doué et compétent.
S’il est un « fidèle » du président Musharraf, il est également estimé par Benazir Bhutto qu’il a servie lorsqu’elle exerçait son premier mandat de Premier ministre. Il a su garder son calme vis-à-vis du président de la cour suprême Iftikhar Chaudhry lors du conflit qui l’opposait au président Musharraf1. Tous ces faits laissent à penser qu’il peut jouer un rôle très important dans l’avenir. En effet, il peut se présenter comme un homme de consensus, même pour l’opposition qui est train de se dessiner autour de Benazir Bhutto2 et de Nawaz Sharif3, tous deux anciens Premiers ministres rivaux des années 1990. Quand aux six partis islamiques regroupés au sein de la coalition Muttahidda Majlis-e-Amal (MMA)4, leur attitude reste incertaine, d’autant que le général Kiyani n’a rien d’un musulman radical.
L’actuel Premier ministre de « transition », Mohammedmian Soomro – un ancien banquier et dernier président du Sénat issu du PML-Q, parti qui soutient le président Musharraf5 – ne devrait pas trop lui faire de l’ombre. En effet, Soomro qui ne semble pas nourrir d’ambitions politiques personnelles, est considéré comme totalement acquis à Musharraf et, à ce titre, il a peu de chance de rencontrer l’adhésion des opposants laïques.
C’est dans le cadre de la guerre déclenchée contre le terrorisme que Washington voit dans le général Kiyani le pion qui pourrait éventuellement remplacer le général Musharraf, au moins le temps nécessaire au rétablissement d’un semblant de démocratie qui amènerait des élections qui pourraient se dérouler dans une ambiance plus sereine que celle que connaît actuellement le Pakistan.
- 1 Cette affaire est à la base de l’établissement de l’état d’urgence le 3 novembre 2007.
- 2 Elle est à la tête du Parti du Peuple du Pakistan (PPP).
- 3 Il est toujours en exil en Arabie Saoudite. Son parti, la Ligue musulmane du Pakistan – N (PLM-N) est présidé en son absence par Javed Hasmi.
- 4 Présidé par Qazi Hussain Ahmed, le leader du Jamaat-e-Islami.
- 5 Son président est Chaudry Shujaat Hussain.