Où sont passés les terroristes d’Al-Qaida ?
Alain RODIER
Depuis février 2013, en pleine offensive de l'armée française au Mali, la presse ne fait plus état de la présence des terroristes d'Al-Qaida. Mais où sont-ils donc bien passés ?
Tout d'abord, ils sont toujours bien présents sur différents théâtres d'opérations qui, s'ils sont importants, intéressent peu le grand public car il y a belle lurette que les touristes en mal d'exotisme ont délaissé ces régions magnifiques, mais jugées – à juste titre – comme trop dangereuses.
La région AfPak
Les zones tribales pakistanaises et les frontière orientale de l'Afghanistan sont parcourues par les taliban qui ne rêvent que d'une chose : l'établissement d'un califat islamique réunissant les deux pays. Moins utopistes que leurs mentors d'Al-Qaida, ils sont convaincus que leur projet est réalisable, même si cela doit prendre du temps. En conséquence, la création d'un « califat mondial » n'est pas à leur ordre du jour. Les taliban attendent juste que les forces de l'OTAN aient bien voulu quitter l'Afghanistan pour se lancer à l'assaut de Kaboul avant de se retourner, en cas de succès – ce qui semble probable -, contre Islamabad.
Ils n'ont aucun intérêt à faire tomber le pouvoir en place au Pakistan, car ce dernier va se faire un devoir de les aider à prendre Kaboul. En effet, Islamabad considère qu'un Afghanistan « ami » offre la profondeur stratégique dont le pays à besoin dans l'affrontement qui l'oppose à son voisin indien depuis sa création. Pour Islamabad, il sera temps de voir après…
Dans cette zone, les activistes d'Al-Qaida ne sont plus très nombreux et ils sont traqués par les drones américains. Parfois, ils servent de forces supplétives aux taliban, mais une grande différence idéologique les sépare. A savoir que ces derniers sont essentiellement « nationalistes », limitant leur combat à l'Afghanistan et au Pakistan, alors qu'Al-Qaida est fondamentalement internationaliste, ne souhaitant que l'établissement du fameux « califat mondial ».
La Syrie et l'Irak
L'Etat islamique d'Irak (EII), l'appellation actuelle d'Al-Qaida dans ce pays, est en guerre ouverte avec le pouvoir chiite de Bagdad. N'ayant aucune chance d'obtenir un succès militaire à court terme, cette organisation a habilement su profiter de la guerre civile qui se déroule depuis plus de deux ans en Syrie. L'EII a en effet fait la jonction avec les insurgés sunnites majoritaires dans cet Etat multiconfessionnel dirigé par des Alaouites, une secte plus ou moins apparentée au chiisme. Pour cela, un certain nombre de groupes combattants, dont le Front Al Nusrah[1], dépendent directement de l'EII. Comble de l'ironie, des combattants internationalistes syriens – ou d'autres nationalités – qui avaient été envoyés par le régime de Bachar el-Assad en Irak pour y combattre les forces américaines, sont désormais de retour pour mener le jihad dans leur pays d'origine. En réalité, les guerres qui font aujourd'hui rage dans ces deux pays n'en font plus qu'une, la frontière n'ayant qu'un rôle symbolique. A terme, l'espoir des militants d'Al-Qaida est de créer un califat qui trouverait sa place géographiquement à cheval sur l'ouest de l'Irak et l'est de la Syrie. Les Kurdes qui sentent le vent venir, se préservent le droit de contrôler le nord des deux pays et, pourquoi pas, d'y fonder les bases d'un Etat indépendant.
Les seuls vrais problèmes sont représentés par les gouvernements chiites d'Irak et d'Iran, qui ne sont pas décidés à se laisser faire. L'Iran, en particulier, qui pendant des années a plus ou moins laissé faire Al-Qaida – allant jusqu'à abriter des responsables et des membres de la famille de Ben Laden qui avaient fui l'Afghanistan en 2001 après l'assaut des forces américaines -, se rebiffe. Il faut reconnaître que les pèlerins chiites sont souvent l'objet d'attentats terroristes en Irak et au Pakistan[2]. Le pragmatisme de Téhéran a été mis à rude épreuve pendant des années. Il semble que désormais l'Iran ait décidé d'aborder le problème vent debout : ce n'est pas une guerre des civilisations mais un affrontement entre l'islam chiite et l'islam sunnite qui se profile. D'un côté l'Iran, l'Irak, la Syrie, le Hezbollah libanais et potentiellement le Bahrein (à majorité chiite mais gouverné par des sunnites) ; de l'autre, tous les pays sunnites, de l'Arabie saoudite à la Turquie !
Un autre facteur important est à prendre en considération : le soutien de la Russie[3] à Téhéran, à Damas et à Bagdad, car Moscou mène là un combat destiné à endiguer le phénomène islamiste radical avant qu'il ne contamine plus avant les républiques caucasiennes. La Russie est désormais trop engagée pour faire marche arrière car le « Croissant sunnite » ne lui pardonnera jamais son attitude. L'insurrection salafiste radicale, financée par quelques riches mécènes sunnites, est pour l'instant contenue en Syrie. En cas d'effondrement, le sud-ouest de la Fédération de Russie sera directement menacé !
Les autres terres de Jihad
Pour Al-Qaida, il y a bien d'autres terres de jihad particulièrement fertiles.
– Le Yémen, à défaut de l'Arabie saoudite dont de riches familles acceptent de financer les extrémistes salafistes dans la mesure où ils ne mettent pas en danger la dynastie des Saoud.
– La Somalie, où la situation serait catastrophique pour le gouvernement transitoire (une transition qui commence d'ailleurs à s'éterniser) s'il n'était soutenu militairement par ses voisins qui veulent circonscrire le problème de l'islam radical en dehors de leurs limites territoriales. Ces pays sont assistés discrètement par les Etats-Unis et plusieurs pays occidentaux.
– Le Sahel, et en particulier le Nord-Mali où les forces françaises sont intervenues en lieu et place des pays africains. Début janvier 2013, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) semblaient avoir la situation bien en mains, tant l'incompétence et la corruption des élites africaines sont grandes, sans oublier la frilosité de l'Occident échaudé par les conflits irakien et afghan. Mais Paris en a décidé autrement. Même l'Algérie qui gérait son problème de rébellion en interne, a fini pas se fâcher et à participer directement au déclin d'AQMI en contrôlant – enfin – ses frontières. Une manière de dire que le problème ne peut être résolu au Sahel sans la participation directe d'Alger[4]. Aujourd'hui, les activistes d'AQMI, du MUJAO et d'Ansar Dine, ont fui le Nord-Mali[5] ou se sont éparpillés sur le terrain et tentent actuellement de survivre en attendant des temps meilleurs. Leur retour n'est pas une chose exclue, encore faut-il qu'ils rencontrent pour cela une certaine adhésion au sein des populations. Or, ils ne semblent pas avoir laissé que des bons souvenirs.
– Les pays ayant connu le printemps arabe. L'Egypte, la Libye, la Tunisie sont des lieux de villégiature idéaux pour les combattants salafistes d'Al-Qaida. Seul l'avenir dira s'ils sont correctement « suivis » par les autorités locales, dans la mesure où ces dernières sont en position de pouvoir et de vouloir le faire…
– Le Nigeria, grand foyer d'inquiétude, car la secte islamique Boko Haram, qui n'avait eu jusque-là que des initiatives meurtrières régionales, semble être attirée par une extension de la lutte en Afrique noire. Pour le moment, rien ne vient toutefois confirmer cette thèse.
– Personne ne prend garde à ce qui se passe en Extrême-Orient mais il semble que les radicaux islamiques sont en perte de vitesse. Il faut dire qu'ils ont plus intérêt à consacrer leurs efforts à développer les activités criminelles qu'à essayer d'y installer un califat hypothétique.
– Il reste les pays « mécréants », c'est-à-dire la vieille Europe et le continent américain. Ces dernières années, certains volontaires issus des banlieues pauvres avaient la bonne idée de venir faire du tourisme dans les zones tribales pakistanaises. Ces musulmans, considérés localement comme de « second niveau » (comment faire confiance à quelqu'un qui a été en contact avec la société occidentale pervertie ?) étaient parfois utilisés comme chair à canon mais, depuis que les combats n'ont plus vraiment lieu sur place, l'intérêt qu'ils représentaient s'est évaporé.
Dans un deuxième temps, il a été envisagé de les entraîner pour les renvoyer commettre des attentats dans leur pays d'origine où ils sont plus difficiles à déceler qu'un combattant un peu frustre issu des montagnes afghano-pakistanais, qui a du mal à se diriger dans une grande ville occidentale. Mais il commence à être délicat de faire venir un Occidental en zone tribale pakistanaise ou au Yémen pour l'entraîner et le renvoyer ensuite dans son pays d'origine. C'est d'autant plus vrai que la sécurité n'étant plus assurée en raison des nombreuses frappes de drones américains, l'instruction doit se faire Indoor, c'est-à-dire à l'intérieur des habitations. Il est donc moins coûteux et moins dangereux de faire la même chose dans des appartements de banlieue des mégapoles occidentales. L'outil internet est précieux car il permet d'obtenir toutes les formules chimiques pour confectionner de savantes bombes à partir de produits en vente dans le commerce. Le problème réside dans le fait que, rien ne remplaçant la pratique, quelques « élèves » risquent tout simplement d'y laisser leur vie et celle de leurs petits camarades d'instruction.
Une solution intermédiaire a donc été trouvée : envoyer quelques spécialistes former localement des instructeurs qui, à leur tour, se chargeront de transmettre leurs savoir-faire aux candidats au jihad. Pour le moment, les forces de sécurité attendent toujours de pied ferme que ces formateurs pointent le bout de leur nez ! Cela n'empêche malheureusement pas le phénomène des « loups solitaires » qui agissent dans leur coin et peuvent faire des victimes sans que les forces de l'ordre ne puissent les arrêter en amont[6].
Ne nous y trompons pas : les activistes d'Al-Qaida sont toujours bien présents, mais pas obligatoirement là où ils sont attendus. Très actifs sur les théâtres de guerre syrien, irakien, yéménite et somalien, leur capacité à mener des actions terroristes coordonnées à l'extérieur de ces zones semble faible. Il n'en reste pas moins que la menace existe toujours et personne ne pardonnerait aux services de renseignement de ne pas voir le coup venir ! Il n'est donc pas temps de baisser la garde. Toutefois, les responsables politiques feraient bien de réfléchir aux conséquences de leurs décisions sur la future situation sécuritaire mondiale.
- [1] Curieusement, le Front al Nusrah vient d'être placé sur la liste des mouvements terroristes par Washington. Les Américains commenceraient-ils à se rendre compte de la réalité des choses en Syrie ? Il serait utile que les dirigeants français (et britanniques) fassent preuve de la même clairvoyance.
- [2] Ce fut également le cas en Syrie, mais un doute subsiste sur le corps d'appartenance de ces « pèlerins » iraniens : des pasdaran à la retraite comme le dit Téhéran ? Mais, une retraite active vraisemblablement.
- [3] Le cas de la Chine est particulier. Ce pays qui, au départ, s'est rangé du côté du pouvoir syrien, a vitalement besoin des approvisionnements pétroliers venant des pays du Golfe arabique. Le pragmatisme faisant loi, Pékin se fait beaucoup plus discret ces derniers temps.
- [4] Alger possède de nombreuses clés pour résoudre les problèmes représentés par l'islam radical, par les populations touarègues et la criminalité organisée, etc.
- [5] Certains ont même été détectés dans des camps de réfugiés soudanais !
- [6] Elles peuvent toujours arrêter des suspects. Mais si aucune charge judiciaire n'est retenue contre eux, ils se retrouvent dehors très rapidement.