Ou en est la bombe atomique Nord-Coréenne ?
Alain RODIER
Le 9 octobre 2006, le lendemain du onzième anniversaire de l'accession au pouvoir de Kim Jong Il, la Corée du Nord a effectué le premier tir nucléaire souterrain de son histoire. L'expérience a eu lieu sur un polygone de tir situé à 17 kilomètres du village de P'unggeye-yok, dans le canton de Kilju (province d'Hamgyeong, au nord-est du pays)1. L'engin expérimental qui était enterré à 700 mètres de profondeurs sous le Mont Mantap devait atteindre la puissance de quatre kilotonnes2. En fait, il n'a pas dépassé un kilotonne, voire peut-être même moins selon certains rapports qui font état de l'équivalent d'une explosion de 550 tonnes de TNT. Cela parait démontrer que les ingénieurs nord-coréens rencontrent des difficultés techniques de tout premier ordre. En effet, ce test semble être un échec scientifique important. A titre de comparaison, la bombe américaine au Plutonium « Fat Man », larguée sur Hiroshima le 6 août 19453, avait une puissance de 12,5 kilotonnes. Ces faits amènent les savants du monde entier à s'interroger sur l'état d'avancement réel du programme nucléaire militaire de Pyongyang. Le problème majeur auquel pensent les experts est celui de la mise à feu de l'engin. Si, pour une raison ou une autre, l'explosion classique qui sert en quelque sorte de détonateur ne permet pas à la masse critique de plutonium de bien déclencher le phénomène de fission nucléaire qui entraîne la réaction en chaîne, celle-ci ne développe qu'une partie de la puissance prévue. C'est là un problème de détonique très délicat.
Pékin a été prévenu par le pouvoir nord-coréen du déclenchement de cette expérience 20 minutes avant l'explosion. La Chine en a aussitôt informé Washington, Séoul et Tokyo. Les moyens de détection ont donc été très rapidement mis en œuvre. Compte tenu de la faible puissance de l'explosion, ils ont pu croire un certain temps qu'il s'agissait d'un leurre. En effet, rien n'empêchait Pyongyang de faire exploser 550 tonnes d'explosif classique dans une galerie souterraine et de prétendre ensuite qu'il s'agissait d'une arme atomique. Ce n'est que lorsqu'une radioactivité anormale a été détectée que l'on a dû se rendre à l'évidence. C'était bien une arme nucléaire qui avait été testée.
Selon les services de renseignement sud-coréens, la Corée du Nord aurait assez de plutonium (de 45 à 50 kilos) pour fabriquer six à sept armes nucléaires4. Le deuxième problème technique réside dans le fait que ces engins pèsent entre deux et trois tonnes et ne peuvent pas, à l'heure actuelle, être adaptés sur des vecteurs (fusées ou bombes). Pour bien comprendre ce phénomène, il convient de se rappeler que le premier engin atomique français « Gerboise bleue » qui a explosé le 13 février 1960 à Reggane, au Sahara, avait la forme d'un cube d'un mètre de large. La première bombe atomique emportée sous Mirage IV n'a été opérationnelle que quatre années plus tard. Si les charges nord-coréennes étaient techniquement au point – ce qu'est loin de démontrer le premier essai du 9 octobre – il faudrait encore à Pyongyang trouver les solutions qui permettent de miniaturiser ces engins afin qu'elles ne dépassent pas le poids maximum d'une tonne. Il faudrait également que leur encombrement permette de les adapter sur des vecteurs correspondants.
Etant donnés les problèmes déjà rencontrés lors des tests de missiles à longue portée en juillet de cette année, Pyongyang envisagerait actuellement d'équiper ses missiles à moyenne portée No-dong 1 & 25 avec des charges de quatre kilotonnes. Pour une arme nucléaire, cette puissance doit être considérée comme faible, correspondant généralement adaptées à des armes « tactiques » dites aussi du « champ de bataille ». Cependant, une salve de missiles de ce type tombant sur les agglomérations surpeuplées de Corée du Sud ou du Japon ferait des millions de victimes. Si, en raison de son relatif éloignement, le Japon peut envisager la mise en place d'un bouclier anti-missiles relativement efficace, ce n'est pas le cas de la Corée du Sud. La seule réplique à de telles frappes serait la vitrification de la Corée du Nord.
Les importantes difficultés techniques actuellement rencontrées par les chercheurs nord-coréens6, sur la conception de la charge nucléaire comme sur les missiles à longue portée, ne sont pas insurmontables. Ce n'est qu'une question de temps. D'ailleurs, la communauté scientifique internationale en saura un peu plus lorsque Pyongyang procèdera à un second essai. En effet, le pouvoir nord-coréen ne peut rester sur cet échec. Pour des raisons politiques, aussi bien intérieures qu'extérieures, il doit prouver sa capacité à construire une arme nucléaire fiable. Cela devrait prendre un certain temps, histoire de ne pas s'exposer à un nouvel échec. Il serait judicieux d'utiliser le répit qui semble être donné pour désamorcer ce qui constitue à terme, un facteur de déstabilisation pour l'ensemble de l'Extrême-Orient.
- 1Le site répertorié le plus proche du polygone de tir est Chik-tong, coordonnées : 41°16'00''N 129°06'00''E.
- 2Equivalent à 4 000 tonnes de TNT (Trinitrotoluène).
- 3La bombe larguée sur Nagasaki le 9 août 1945 « Little Boy » était à Uranium enrichi.
- 4Il faut environ 8 kilos de Plutonium pour faire une bombe A.
- 5Capables d'atteindre la Corée du Sud et le Japon.
- 6Qui n'ont pas dû se faire féliciter par Kim Jong Il pour leur piètre performance.