Nouvelle stratégie navale iranienne
Alain RODIER
Depuis l'été 2008, les Pasdaran ont pris la direction des opérations navales dans le détroit d'Ormuz et ont reçu pour mission de fermer le détroit d'Ormuz en cas de conflit majeur [1]. En effet, les principales bases navales de la marine iranienne – Bandar Abbas, où est installé l'état-major et Bushehr – situées au nord du golfe Persique et dans le détroit, ont perdu leur intérêt stratégique. En cas de conflit, la flotte iranienne a toutes les chances de s'y trouver bloquée, sans possibilité d'en sortir pour accéder à la mer d'Oman et à l'océan Indien. D'où le projet de déplacer ses infrastructures sur les côtes du Baloutchistan, baignées par la mer d'Oman. Aussi, son chef, l'amiral Habibollah Sayyari a décidé d'ouvrir de nouvelles facilités portuaires au sud-est de l'Iran.
C'est dans le cadre de ce redéploiement stratégique que, fin novembre, il a inauguré la nouvelle base navale de la presqu'île de Jask, située à 300 kilomètres au sud-est de Bandar Abbas sur le golfe d'Oman. Cette petite localité était déjà équipée d'un port en eaux profondes et d'un aéroport, ce qui a facilité les travaux qui ne sont toujours pas terminés.
Il a également décidé de construire d'autres infrastructures portuaires à proximité de la frontière pakistanaise, dans la région de Chabahar. Les installations actuelles – dont celles de Chabahar – sont très sommaires. En conséquence, la durée des travaux nécessaires devrait s'étaler sur plusieurs années. En effet, il s'agit de créér des chenaux d'accès, de construire des quais, des bâtiments techniques, administratifs et de vie, avant qu'une partie de la flotte ne rejoigne ces nouvelles installations. La protection sera assurée par des batteries de missiles sol-air et sol-mer qui entoureront les installations d'un rideau de feux protecteurs.
Le redéploiement des moyens maritimes iraniens
Les moyens de la marine
La marine iranienne possède aujourd'hui trois sous-marins 877 EKM de classe kilo (Tareq, Noor et Yunes ), un destroyer Jamaran entré en service en 2007, trois frégates Alvand, Alborg et Sabalan , trois corvettes Bayandor, Naghdi et Hamzeh , onze vedettes de classe Combattantes II (immatriculées de P 221 à P 232,)et dix navires lance-missiles de classe Thondor (immatriculés de P 313-1 à P 313-10). Une fois déployés sur les côtes sud de l'Iran, ces bateaux lui permettront de faire peser une menace en mer d'Oman.
Les missiles sol-mer les plus modernes et dont l'allonge est la plus grande (200 à 400 kilomètres : Ra'ad , SS-N-22 Sunburn et Yakhont ) seraient également installés sur la côte sud de l'Iran pour appuyer la marine dans ses opérations offensives et défendre les installations portuaires contre une éventuelle attaque de la part de forces ennemies.
Il est probable que la plupart des aéronefs Su-24 Fencer et F-4 D et E Phantom , comme ceux capables de lancer des missiles air-mer C-801K, C-802 Noor et Kowsar -2, seraient aussi déployés sur les côtes sud du pays pour appuyer la flotte iranienne.
Les différents avions de surveillance maritime et les cinq navires des garde-côtes seront vraisemblablement partagés entre les Pasdaran et la marine afin de surveiller les approches maritimes iraniennes dans le golfe Persique et en mer d'Oman. Par contre, tous les navires transports de troupes et les 14 hovercrafts destinés à des opérations de débarquement devraient rester basés dans le golfe Persique, leurs objectifs potentiels y étant localisés (Emirats arabes unis, Oman, Arabie saoudite et Irak).
Le dispositif naval des Pasdaran dans le golfe Persique
Les Pasdaran mettent en œuvre des bateaux de plus petite taille dont dix vedettes China Cat, une quarantaine de vedettes rapides de fabrication locale et nord-coréenne armées de missiles mer-mer ou de torpilles et 1 300 embarcations légères équipées d'armes d'infanterie, dont des missiles anti-chars. De plus, ils arment cinq sous-marins de poche Ghadir , quatre de classe Yougo et deux Nahang qui peuvent servir à infiltrer des nageurs de combat, à miner le golfe Persique et occasionnellement, à attaquer des navires à la torpille [2].
Le blocus du détroit d'Ormuz se ferait à l'aide de bateaux (parfois civils) qui mouilleraient des mines par centaines. En effet, l'Iran possèderait actuellement quelques 5 000 mines majoritairement d'origine nord-coréennes : des EM11, des EM31 et les redoutables EM52 qui activent un missile lorsqu'une cible conséquente passe à portée. Les russes leur ont également livré un millier de mines marines dont des MDM-6.
Ils utiliseraient également les nombreux missiles sol-mer Kowsar , Noor , Seersucker et Ra'ad dont les postes de tir sont répartis dans des positions protégées situées sur les côtes et dans les îles d'Abou Moussa, de la grande et la petite Tumb, de Siri et Qeshm.
Quelles menaces pour la Ve Flotte américaine ?
La Ve Flotte américaine est placée sous le commandement de l'USCENTCOM, dont l'état-major se situe à Manama, à Barhein. Sa mission principale consiste à assurer la libre circulation dans le détroit d'Ormuz. En temps normal, elle est constituée de deux porte-avions (140 appareils embarqués) et de deux porte-hélicoptères, accompagnés par une trentaine de bâtiments d'escorte et de soutien. Durant la guerre contre l'Irak, sa capacité avait été portée à cinq porte-avions et six porte-hélicoptères.
Pourtant, les forces armées iraniennes et les Pasdaran représentent une réelle menace pour cette armada. Les plus hautes autorités militaires de l'US Navy ont prévenu le pouvoir politique qu'en cas d'affrontement direct avec l'Iran, la Ve Flotte pourrait être littéralement anéantie ! Cela est dû au fait que ses systèmes de défense actuels sont incapables de faire face à une « saturation de l'espace » occasionnée par les différentes armes mises en œuvre par les Iraniens.
En effet, il est probable qu'une attaque iranienne se passerait selon le schéma suivant.
Dans un premier temps, des avions Su-24 Fencer et F-4 Phantom [3] prendraient à partie les navires américains à l'aide de missiles air-mer C-802 Noor , ce qui ferait au maximum 48 missiles lancés.
Si la flotte américaine se trouve à moins de 250 kilomètres de côtes iraniennes, quasi simultanément, les batteries de missiles sol-mer iraniennes sont aptes à tirer une première salve de 8 missiles SS-N-22 Sunburn , un nombre inconnu de missiles SS-N-26 Yakhonts (vraisemblablement moins d'une dizaine), une dizaine de missiles Ra'ad dont la charge militaire est de 315 kilos, ce qui ferait un total d'environ 25 missiles.
Si la flotte se trouve à moins de 180 kilomètres de côtes, il convient d'ajouter à cet arsenal entre 45 et 75 missiles Noor (C-801 et 802) ce qui ferait au total une bordée de 70 à 100 missiles !
Dans un deuxième temps, des centaines d'embarcations rapides armées de missiles anti-chars, de lance-roquettes multiples, voire de torpilles et de missiles Kowsar attaqueraient en meutes de 20 bateaux les navires de la Ve Flotte. Certaines de ces embarcations chargées d'explosifs auraient des missions suicide.
Enfin, les trois sous-marins 877 EKM de classe Kilo pourraient envoyer une première bordée de 6 missiles à changement de milieu Noor -3 [4].
En résumé, à moins de 180 kilomètres des cotes iraniennes, la Ve Flotte devrait contrer l'arrivée quasi simultanée de 80 à 110 missiles et à moins de 250 kilomètres : 33 missiles. Tout cela sans compter le harcèlement des embarcations rapides.
Les capacités de neutraliser les SS-N-22 et SS-N-26 ne sont pas connues, ces armements n'ayant jamais été employés par le passé, mais les stratèges américains supposent qu'une bonne partie d'entre eux franchiraient les défenses actives et passives de la Ve Flotte. Le réel problème provient du fait que le trop grand nombre d'armes adverses employées quasi simultanément saturerait les systèmes de défense.
Après les premiers engagements, la flotte serait dispersée en raison des manœuvres évasives qu'elle aurait dû adopter. Cela diminuerait d'autant sa capacité de riposte.
Même, si dans le meilleurs des cas, l'aviation et la marine iranienne sont neutralisées dans les premières heures de ce combat naval, ce ne serait pas le cas pour toutes les batteries terrestres qui sont installées dans des abris et des tunnels fortifiés où elles peuvent se replier pour préparer une seconde frappe, puis une troisième frappe, jusqu'à épuisement des munitions.
De plus, la région du détroit d'Ormuz serait infestée de centaines de mines. Les opérations de nettoyage se révèleraient très délicates dans la mesure où, comme pour les champs de mines terrestres, leurs homologues marins seraient battus par les feux de l'artillerie classique, certes imprécis mais suffisamment incapacitants pour freiner les opérations des chasseurs de mines. Lorsqu'il a fallu nettoyer les abords des ports irakiens en 1993, cela a nécessité trois semaines alors qu'aucune menace adverse n'était présente.
Ce constat permet de comprendre pourquoi les chefs de l'US Navy se sont toujours opposés au déclenchement d'une frappe préventive sur l'Iran (ce qui n'est pas le cas de leurs collègues de l'US Air Force). En effet, ils admettent que des dommages considérables seraient occasionnés à la Ve Flotte et en particulier aux navires de fort tonnage comme les porte-avions et porte-hélicoptères qui seraient les cibles privilégiées des feux irakiens. Les résultats psychologiques de la perte d'un ou plus vraisemblablement de plusieurs navires militaires de fort tonnage (même s'ils sont seulement endommagés) seraient désastreux auprès de l'opinion mondiale en général et américaine en particulier.
*
Il est de notoriété publique que les dirigeants iraniens disent ce qu'ils font et font ce qu'ils disent. Téhéran a promis qu'en cas d'attaque étrangère – par exemple, si ses installations nucléaires font l'objet de frappes préventives – ils bloqueraient le détroit d'Ormuz et déverseraient un déluge de feu sur les installations américaines, sur Israël et sur les pays leur ayant porté soutien. La nouvelle stratégie navale laisse entrevoir qu'ils n'auraient aucune difficulté à fermer le détroit tout en empêchant les opérations de déminages en s'attaquant aux flottes militaires adverses croisant en mer d'Oman. D'autre part, les centaines de missiles sol-sol Shahab 1, 2 et 3 qu'ils possèdent aujourd'hui [5], sèmeraient terreur et dévastation dans toute la région du golfe Persique et au-delà (Israël, Turquie, Irak, etc.).
Des informations non confirmées font également état de l'installation secrète par les Pasdaran de missiles sol-mer protégés par des batteries sol-air dans les faubourgs du port érythréen d'Assab, situé à proximité du détroit de Bad-el-Mandeb. Si cela est vrai, Téhéran pourrait, depuis cette base, également menacer le trafic maritime en mer Rouge où débouche le canal de Suez.
Cette politique de dissuasion est destinée à faire réfléchir Israël et les Etats-Unis quant à une éventuelle frappe préventive sur les installations nucléaires iraniennes. Plus le temps passe, plus elle semble crédible.
- [1] Ce sont vraisemblablement les Pasdaran qui reprendront les installations des ports militaires de Bandar Abbas et de Busher. Cependant, ils utiliseront également les nombreux ports qui s'échelonnent le long du golfe Persique (dont celui d'Assalouyeh) ainsi que les îles et les plates-formes pétrolières que Téhéran contrôle.
- [2] Il est peu probable qu'ils puissent mettre en œuvre des missiles Noor -3 à changement de milieu
- [3] 23 Su-24 et 25 F-4 sont opérationnels.
- [4] Seuls deux de leurs six tubes de 533 mm peuvent mettre en œuvre ces armes. Les autres peuvent cependant être utilisés pour lancer des torpilles classiques ou mouiller des mines MDM-6.
- [5] En attendant les plus modernes Shahab 4 et 5 actuellement en développement.