Nouveau groupe djihadiste au Tadjikistan
David GAÜZERE

Il y a du nouveau depuis le 20 juillet dans la djihadosphère tadjikophone avec l’apparition d’un nouveau mouvement, le Tehrik-e Taliban Tadjikistan (TTT), le Mouvement des talibans du Tadjikistan[1].
On sait encore peu de choses sur ce nouveau mouvement, sans doute une scission au sein d’Ansaroullah, groupe qui avait retourné sa veste et prêté allégeance aux talibans au cours de l’été 2021 après leur victoire en Afghanistan. Certains de ses membres auraient mal supporté ce retournement et auraient fondé le TTT pour rester sous la férule de l’Organisation État islamique-Khorasan (OEI-K). Ainsi, contrairement à son nom, le TTT n’est pas inféodé aux talibans afghans, mais à l’OEI-K.
Toujours est-il que l’on peut envisager deux conséquences à la suite de la création de ce nouveau mouvement, outre la vision d’une société tadjike de plus en plus jeune et radicalisée et un pouvoir politique local toujours plus fragile, chancelant et recroquevillé sur lui-même :
– Ansaroullah et le TTT partagent désormais le même objectif de prise du pouvoir au Tadjikistan. Mais nul ne peut dire aujourd’hui qui des islamistes radicaux « républicains » ou « califaux » l’emportera[2]. La pression exercée par l’extension au Tadjikistan du conflit en cours dans le Nord afghan n’a en tout cas, jamais été aussi forte ;
– la montée en puissance des deux mouvements radicaux sur la scène tadjike va conduire le Président tadjik Emomali Rakhmon et son fils Roustam, l’héritier désigné, à renforcer encore davantage leur alliance avec le Front national de libération de l’Afghanistan (FNLA) du fils Massoud – si besoin avec une aide paradoxalement convergente de la Russie et des Etats-Unis – et à mettre en place très vite un nouveau front dans le nord de l’Afghanistan. Ces deux forces tadjikes, tant en Afghanistan qu’au Tadjikistan, ont tout intérêt à se coaliser pour affaiblir l’hydre djihadiste, surtout au moment où cette dernière se renforce. Un nouveau front, du type de celui de l’Alliance du Nord, entre le FNLA et les « seigneurs de guerre » afghans (Dostom, Nour Atta, Mohaqiq, etc.), n’est plus à exclure pour ces prochains jours, d’autant plus que les foyers d’insurrection armée se multiplient depuis mai dernier dans les zones non pachtounes du Nord afghan.
Par ailleurs, il faudra surveiller les interactions entre toutes ces forces en territoire pamiri (Wakhan afghan et Haut-Badakhchan tadjik), car toutes auront besoin de ce territoire comme zone de repli ou de passage, mais ne pourront agir sans développer des liens de solidarité avec les groupes autonomistes pamiris et le Parti de la Renaissance islamiste du Tadjikistan. Or, les Pamiris, ismaéliens, abhorrent les radicaux.
[1] https://www.ng.ru/kartblansh/2022-07-20/3_8491_kb.html
[2] Cf. David Gaüzere, « Les filiales centrasiatiques de l’Organisation Etat islamique-Khorasan », Bulletin de documentation n°31, CF2R, juin 2022 (https://cf2r.org/documentation/les-filiales-centrasiatiques-de-lorganisation-etat-islamique-khorasan/).