Nigeria : Accroissement et internationalisation des actions terroristes du groupe Boko Haram
Éric DENÉCÉ
Avec près de 155 millions d'habitants, le Nigéria est, de très loin, le premier pays d'Afrique par sa population[1]. C'est aussi la deuxième puissance économique du continent, après l'Afrique du Sud. Situé aux confins de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale, frontalier du Bénin, du Niger, du Tchad, du Cameroun, cet Etat occupe donc une place démographique, économique et géopolitique de premier plan en Afrique. Ainsi, tous les événements qui s'y produisent ont des conséquences pour la sécurité régionale.
Depuis l'été 2011, une préoccupante dégradation de la situation sécuritaire s'observe au Nigéria, essentiellement dans le nord du pays. Elle est liée à la montée en puissance de l'islamisme radical et à sa manifestation violente, le terrorisme djihadiste, fait du groupe salafiste Boko Haram, dont on observe l'accroissement significatif des actions violentes.
Le préoccupant développement de l'islam fondamentaliste
La population du Nigéria se compose de plus de 250 groupes ethniques[2]. Alors que les Yorubas et les Ibos, peuples majoritairement chrétiens, sont prédominants dans le sud et le sud-est du pays, les Haoussa-Fulani, d'obédience islamique, sont majoritaires dans le nord, où s'observe l'adhésion croissante des populations à l'islam fondamentaliste.
La charia a d'ailleurs été promulguée dans douze États du nord[3], à majorité musulmane[4]. L'hostilité des populations à l'Occident y est très prononcée et la jeunesse voue une admiration réelle à Ben Laden. Dans ces États, les lois et les règlements du pays sont rigoureusement conformes aux pratiques et croyances de l'islam. Il y est interdit de consommer de l'alcool ou des drogues et le droit islamique peut s'appliquer à des non-musulmans, ce qui donne régulièrement lieu à des heurts violents entre musulmans et chrétiens[5].
Les luttes religieuses, souvent doublées de problèmes ethniques, ne sont pas nouvelles au Nigéria et ont fait des dizaines de milliers de morts au cours des années passées. Elles sont alimentées par le prosélytisme auquel se livrent les radicaux musulmans financés par des riches sponsors proche-orientaux auquel il convient d'opposer celui pratiqué par les églises évangéliques d'origine anglo-saxonnes[6].

Le mouvement islamique Boko Haram[7]
C'est dans le nord-est du pays que le mouvement islamique armé Boko Haram, adepte du salafisme, a été fondé en 1995. Boko Haram signifie, en dialecte haoussa, « L'école est un péché ». Il est aussi connu sous le nom de Jama'at Hijra Wa Takfir (JHWT) ou de Jama'atu Ahlissunnah lidda'awati wal Jihad. Ses adeptes se qualifient également de « talibans nigérians ».
Bien que la loi islamique soit déjà en vigueur dans les douze Etats du nord, Boko Haram veut encore aller encore plus loin. Son objectif principal est le renversement du gouvernement nigérian et l'imposition de la charia dans tout le pays. Se revendiquant ouvertement des taliban, ce groupe souhaite que les minorités chrétiennes et les adeptes des cultes ancestraux animistes se convertissent ou quittent la région. En cas de refus, leurs membres doivent être exterminés. Boko Haram se livre ainsi, depuis sa création, à des tueries qui visent principalement les représentants du gouvernement, les populations chrétiennes mais aussi les musulmans jugés trop « modérés »
La montée en puissance de la secte terroriste
Pendant les huit premières années de son existence, Boko Haram a été relativement discret. C'est à partir 2003 qu'il se fait connaître, suite à la désignation d'un nouveau dirigeant, Ustaz Mohammed Yusuf[8], lequel engage progressivement le groupe dans des actions armées spectaculaires. Le 24 décembre 2003, Boko Haram attaque des postes de police et des bâtiments publics dans les villes de Geiam et Kanamma (Etat de Yobe). Il faudra une opération conjointe de l'armée et de la police pour venir à bout des terroristes : 18 d'entre eux seront abattus et des dizaines d'autres interpellés.
En 2004, Ustaz Mohammed Yusuf installe la base opérationnelle du groupe à proximité du village de Kanamma (Etat de Yobé), dans le nord-est du pays, à la frontière avec le Niger. Le 21 septembre de la même année, Boko Haram attaque plusieurs postes de police de Bama Gworza (Etat de Borno), tuant plusieurs policiers et dérobant armes et des munitions.
Mais, mis à part quelques escarmouches isolées avec la police, Boko Haram ne passera que sporadiquement à l'action au cours des années 2007 et 2008.
En juillet 2009, des renseignements concordants parviennent aux autorités nigérianes selon lesquelles le mouvement islamiste est en train de s'armer. L'armée décide de lancer, préventivement, une vaste opération de ratissage dans les provinces du nord.
En représailles, les membres de la secte déclenchent une vaste insurrection. Ils lancent des attaques sans précédent contre toutes les institutions qui représentent l'Etat nigérian. Le soulèvement affecte cinq Etats du nord du pays : Bauchi, Borno, Kano, Katsina et Yobe. Les insurgés s'en prennent à des postes de police et de douanes, à des bâtiments publics et à la minorité chrétienne, notamment en incendiant des églises, faisant plusieurs centaines de victimes.
La réaction des forces de sécurité est extrêmement violente : une véritable campagne militaire élimine de plus de 700 membres du groupe, dont son chef Ustaz Mohammed Yusuf. De nombreux autres « talibans nigérians » sont arrêtés et incarcérés. Mais les actions de Boko Haram vont se poursuivre. Dès lors, le groupe va devenir une priorité pour les services de sécurité nigérians.
Au cours de l'année 2010, Boko Haram multiplie les attaques contre la police, l'armée et les représentations de l'État nigérian dans les Etats de Borno et de Bauchi, provoquant la mort de plus de 50 personnes et faisant des dizaines de blessés. La fin d'année voit une augmentation des attaques :
– le 7 septembre 2010, les membres de la secte prennent d'assaut la prison de Bauchi, libérant plus de 700 prisonniers, dont une centaine de leurs hommes emprisonnés. Au cours de l'opération, ils tuent sept gardes et des passants ;
– le 21 octobre, Boko Haram placarde des affiches le long des principales routes du nord du Nigeria avertissant la population locale qu'il exécutera tout individu collaborant avec les forces de sécurité et que « tout musulman allant contre l'établissement de la charia sera tué ». Fait significatif : les affiches portent la signature d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ;
– fin décembre, des attentats à l'explosif font au moins 32 victimes et de nombreux blessés à Jos, dans l'Etat du Plateau.
Malgré la réaction des forces de sécurité, qui arrêtent plus de 150 membres du groupe terroriste au cours de l'année 2010, les actions vont prendre une ampleur encore plus marquée en 2011[9].
Organisation et recrutement
Boko Haram recrute ses membres principalement au sein la classe moyenne nigériane – jeunes mécontents et diplômés chômeurs – ainsi que chez les enfants des rues (Almajiris) qui ont migré des zones rurales vers les zones urbaines en quête de meilleures conditions de vie, ou pour étudier sous la direction de guides islamistes renommés dans des villes comme Kano, Zaria, Kaduna, et Maiduguri. La secte bénéficie également du soutien d'individus instruits, riches et influents, favorables à l'imposition d'un islam radical.
Depuis la mort de Mohammed Yusuf, en juillet 2009, le groupe est dirigé par Mallam Umaru Sanni ; il est assisté des deux adjoints. Un émir se trouve à la tête de chaque Etat du Nigéria dans lequel est présent le groupe. On estime que Boko Haram compte environ 300 combattants permanents. Les partisans de la secte islamiste sont estimés à près de 300 000 personnes à travers les 19 Etats du nord du pays, mais aussi au Niger et au Tchad voisins.
La multiplication des attaques
Dans le nord du pays, Boko Haram sème la panique depuis le début de l'été, multipliant les actes de violence. Le second semestre 2011 a vu un accroissement significatif des attentats perpétrés par la secte terroriste, tant en nombre qu'en importance.
Depuis début juillet, des milliers de Nigérians ont fui la ville de Maiduguri, capitale de l'État de Borno (nord du pays), à la suite d'une série d'attentats mortels à la bombe, d'embuscades et de violents affrontements entre l'armée et Boko Haram. L'université de cette ville a fermé ses portes après réception d'une lettre de menace du groupe terroriste islamiste.

Attaques anti-chrétiennes
Les violences interconfessionnelles se sont multipliées dans le pays, suite à la réélection du président Goodluck Jonathan[10], en avril 2011. Plusieurs centaines de personnes sont mortes depuis cette date.
– Le 21 août, l'attaque du domicile d'un responsable de la communauté chrétienne de Bajju situé en périphérie de Zonkwa (120 km au nord-est d'Abuja, Etat de Kaduna, centre du pays), fait 2 morts – dont un enfant de 5 ans – et 3 blessés.
– 11 personnes sont tuées au cours de la soirée du 4 septembre dans deux villages à majorité chrétienne des environs de Jos, capitale de l'Etat du Plateau. A Targom-Babale, localité située à 10 km au nord de Jos, 7 personnes appartenant à la même famille, sont tuées par balles et par des coups de machette. Les deux maisons qu'ils occupent sont incendiées. A Dabwak, à 60 km au sud de Jos, 4 personnes appartenant également à une même famille sont tuées par balles, et 10 autres blessées.
– Au moins 3 attaques ont été recensées dans les environs de la ville de Jos (Etat du Plateau, centre du pays) début septembre. Dans la nuit du 8 au 9 septembre, une attaque menée contre une famille dans le village de Barkin Ladi fait 9 morts dont 7 enfants. La veille, une autre attaque a fait 3 morts dans un autre village de la région de Jos. Dans la nuit du 9 au 10 septembre, 15 personnes sont tuées au cours d'une nouvelle attaque nocturne menée dans le district de Vwang, situé en périphérie de Jos. Le village visé par l'attaque est peuplé majoritairement de membres chrétiens de l'ethnie berom et serait l'œuvre de nomades Fulanis musulmans.
Les motifs de ces attaques n'ont pas été déterminés précisément. Il pourrait s'agir, selon des médias locaux, d'affrontements liés au contrôle des pâturages, opposant des nomades Fulani (Peuls) musulmans à d'autres communautés locales chrétiennes.
– Dans la soirée du 11 septembre le quartier de West of Mines, dans le centre-ville de Jos, est secoué par 2 explosions provoquées par des bombes artisanales. Ce quartier, très animé la nuit, abrite de nombreux bars et restaurants en plein air. Des scènes de paniques ont été rapportées peu après l'incident, mais seule une personne a été blessée. Le même soir, deux personnes trouvent la mort dans une attaque attribuée aux militants islamistes dans la ville de Maiduguri.
– Le 13 septembre, des hommes armés prennent d'assaut un bar de Maiduguri. Les assaillants, présentés par la police nigériane comme des membres de Boko Haram, ouvrent le feu dans l'établissement, tuant 3 clients et le tenancier.
Attaques contre les forces de l'ordre
Les attaques contre les forces de l'ordre et les braquages de banques se sont multipliés depuis l'été dans le nord et l'est du pays.
– Le 3 juillet, trois attaques simultanées font une vingtaine de victimes à Maiduguri. Une première explosion a tué au moins cinq personnes et blessé dix autres près d'un poste de police. Un autre attentat particulièrement meurtrier a tué une dizaine de clients et fait de nombreux blessés dans bar fréquenté par les membres de la police. Dans une troisième attaque des hommes armés ont abattu un leader politique local. La veille, quatre personnes avaient déjà perdu la vie dans un attentat.
– Le 15 juillet, une bombe a explosé au passage d'un fourgon de police à Maiduguri, faisant huit blessés.
– Le 3 août, Boko Haram organise un attentat contre un poste de contrôle à Maiduguri,. L'explosion n'aurait pas fait de victime.
– Le 16 août, dans l'État de Borno, les forces de police abattent homme roulant à bord d'un véhicule rempli d'explosifs. Il tentait de s'infiltrer dans l'enceinte quartier général de la police, à Maiduguri. 1 500 personnes se trouvaient alors sur place dans le cadre d'une opération de recrutement. Des attaques similaires visant des banques et des postes de police ont touché, les 15 et 16 août, les Etats de Bauchi et Sokoto.
– Le 25 août, dans la ville de Gombi (100 km au sud-ouest de Maiduguri) des hommes armés prennent d'assaut un poste de police. Ils attaquent ensuite deux agences bancaires avec les armes dérobées dans le commissariat et emportent de l'argent liquide. D'après la police, les malfaiteurs crient « Allah Akbar » pendant l'attaque, ce qui laisse supposer qu'ils pourraient être liés à la secte islamiste Boko Haram ou qu'ils cherchaient à se faire passer pour des membres de la secte. L'incident a fait 16 victimes, dont 7 policiers et un soldat.
– Le 12 septembre, des hommes armés munis de fusils d'assaut attaquent un commissariat et braquent une banque de la ville de Misau (Etat de Bauchi). Les assaillants déclenchent d'abord un puissant engin explosif dans le poste de police, avant de libérer les prisonniers qui s'y trouvaient et d'incendier le bâtiment. Peu après, les hommes armés attaquent une agence bancaire, située à une centaine de mètres du poste de police. Au moins 5 personnes, dont 4 policiers, ont été tuées dans cette attaque très similaire à d'autres raids menés par Boko Haram.
Ces attaques contre les postes de police, et surtout les banques, pour y voler armes et argent, illustrent la montée en puissance du groupe islamiste nigérian, qui renforce son arsenal et ses moyens financiers.
L'attentat contre les bureaux de l'ONU
Le 26 août 2011, un très violent attentat-suicide à la voiture piégée a lieu contre les bureaux des Nations unies à Abuja, la capitale du Nigeria.
Le bâtiment, situé dans le quartier diplomatique, à proximité de l'ambassade des Etats-Unis, bénéficiait pourtant de mesures de sécurité interdisant aux véhicules n'appartenant pas aux Nations unies de s'approcher de l'entrée.
Le conducteur du véhicule a forcé les barrières de sécurité jusqu'à atteindre le sous-sol et déclencher sa charge. Un incendie a aussitôt suivi l'explosion et dévasté une partie du bâtiment, faisant 23 morts et 81 blessés. Parmi eux, de nombreux expatriés travaillant pour les agences onusiennes.
L'immeuble, connu comme la Maison des Nations unies, abrite les bureaux d'une vingtaine d'agences humanitaires et de développement, dont l'UNICEF, le PNUD et l'OMS. Jusqu'à 400 employés peuvent travailler dans ce bâtiment.
Un homme, se présentant sous le nom d'Abu Darda, a revendiqué cet attentat au nom de Boko Haram. « D'autres attaques vont avoir lieu. Et par la volonté d'Allah, nous aurons un accès libre à tout lieu que nous choisirons d'attaquer », a-t-il annoncé.
L'internationalisation des attaques et les liens avec Al-Qaïda
L'attentat contre les bureaux de l'ONU à Abuja accroit les craintes que l'influence d'Al-Qaïda sur les groupes islamistes en Afrique sub-saharienne ne soit en croissance. En effet, avant cette date, jamais Boko Haram ne s'en était pris à des cibles étrangères. Il avait jusqu'alors limité ses attaques contre le gouvernement nigérian ou les populations chrétiennes.
L'attentat du 26 août, est le signe que le groupe terroriste internationalise ses objectifs et semble vouloir dorénavant s'inscrire dans le djihad mondial, à l'image des autres groupes islamistes combattants africains qui ont adhéré à la cause d'Al-Qaïda (AQMI et la milice somalienne Al-Shabaab). L'attentat contre le siège de l'ONU doit être vu comme la suite des attaques des djihadistes contre l'organisation internationale, en Irak (2003) et en Algérie (2007).
Une collaboration avec AQMI pourrait expliquer en partie la sophistication croissante des attaques récentes de Boko Haram. La secte nigériane pourrait tirer parti d'un renforcement de ses liens avec le groupe terroriste algérien pour accéder à un statut plus international qui renforcerait sa crédibilité et son attractivité auprès des candidats potentiels au djihad.
Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) semble en effet en train d'essayer d'étendre son action en Afrique sub-saharienne – en partageant la formation, les tactiques et les armes avec les groupes militants locaux – après avoir échoué dans la conduite des ses opérations en Algérie et en Europe.
En 2010 déjà, AQMI avait proposé son aide au groupe islamiste nigérian pour lutter contre les chrétiens. Depuis, un nombre croissant de Nigérians s'entraînerait avec AQMI dans ses camps du Sahara[11] et les recrues africaines seraient plus nombreuses au sein d'une organisation traditionnellement dominée par les arabes. Au cours de l'été, AQMI a diffusé une vidéo de propagande laissant penser qu'il avait réussi recruter au sud du Sahara. Celle-ci montre des combattants s'exprimant dans un certain nombre de langues d'Afrique de l'Ouest, notamment, le peul, l'haoussa et le portugais.
Les services de renseignement des pays occidentaux et des Etats du Sahel craignent tous qu'AQMI ne se développe dans la région en profitant de l'afflux d'armes provenant du pillage des stocks de l'armée libyenne.
En septembre 2011, le général Carter Ham, commandant des opérations militaires américaines en Afrique, s'est déclaré, , très inquiet, craignant que les trois groupes terroristes les plus actifs du continent africain (AQMI, Boko Haram et Al-Shabaab) s'allient pour menacer les États-Unis. Le patron de l'Africa Command a déclaré que ces groupes avaient publiquement déclaré leur intention de cibler les Occidentaux, et en particulier les Américains.
Signe inquiétant laissant penser que la collusion est bien réelle, deux ingénieurs – un Britannique et un Italien – travaillant pour une compagnie italienne de construction, qui ont été enlevés, le 12 mai 2011, dans l'État de Kebbi, sont apparus, début août, dans une vidéo dans laquelle ils disent avoir été kidnappés et être détenus par Al-Qaïda.
Les autorités nigérianes reconnaissent également que plusieurs dizaines d'activistes appréhendés fin août 2010 dans l'Etat d'Adamawa (est du pays) auraient avoué avoir subi un entraînement en Afghanistan et qu'un membre de Boko Haram impliqué dans un attentat récent, était récemment rentré de Somalie et avait « des liens avec Al-Qaïda ».
Toutefois, Boko Haram ne semble en être qu'aux prémisses d'une collaboration avec AQMI. Ses hommes ne disposent encore que d'armes légères et ne sont pas sérieusement formés au combat de guérilla. Surtout, aucun combattant étranger n'a été vu par les forces de sécurité. Comme dans de nombreux autres cas, le soutien semble avoir été plus idéologique et moral qu'opérationnel. Enfin, si les liens entre les deux groupes se sont renforcés ces dernières années, il existe toujours une grande méfiance entre les Africains et les Arabes.
En revanche, Boko Haram n'entretient pas de relations avec le Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND), groupa armé responsable de la plupart des violences qui ont lieu depuis 2006 dans le sud du pays, particulièrement contre les installations pétrolières.
La réaction des autorités nigérianes
Les autorités nigérianes semblent avoir du mal à contenir les explosions de violence qui secouent le nord et le nord-est du pays et le pouvoir politique hésite sur la stratégie à adopter.
Courant juillet, les services de sécurité ont procédé à l'arrestation de plus d'une centaine de membres de Boko Haram, y compris des dirigeants de premier plan de l'organisation, et une douzaine d'autres ont été abattus dans une confrontation avec les policiers.
Puis, devant la multiplication des affrontements, le gouvernement nigérian a annoncé, début août, son intention de négocier avec Boko Haram. Dans un communiqué, le président Goodluck Jonathan a désigné sept personnalités ayant pour mission d'entamer les pourparlers avec la secte islamiste. Mais Boko Haram n'a pas répondu à cet appel et a organisé l'attaque d'Abuja contre le bureau de l'ONU.
Deux semaines après cet attentat, le président Goodluck Jonathan à limogé son conseiller antiterroriste, Zakari Ibrahim, qui a été remplacé par le général Sarkin Yakin Bello.
Les opérations contre Boko Haram se sont alors multipliées. L'armée nigériane a reçu pour instruction, le 2 septembre, « de faire usage de toute la force nécessaire dont elle dispose » pour mettre fin aux violences entre les communautés chrétienne musulmane. Les forces spéciales ont été déployées à Jos (centre)
Le 12 septembre, le président Goodluck Jonathan donne au chef d'état-major des armées, le général Oluseyi Petinrin, la responsabilité de la sécurité dans l'Etat du Plateau afin de mettre un terme aux tueries.
Le 18 septembre, le gouvernement fédéral annonce le déploiement de 1 300 policiers supplémentaires à Jos, dont des unités anti-émeutes, afin de prévenir les violences intercommunautaires qui touchent la ville et ses environs depuis plusieurs semaines.
Le lendemain, les autorités promettent une généreuse récompense (160 000 dollars) pour toute information permettant d'appréhender Mamman Nur, le cerveau de l'attentat d'Abuja, qui aurait réalisé cette opération à son retour d'un voyage en Somalie.
Mais les opérations contre Boko Haram donnent lieu à des bavures – voire à des exactions – des forces de sécurité, ce qui ne fait qu'attiser les tensions avec les populations locales.
Dans la nuit du 2 au 3 septembre, lors d'un raid l'armée à Biu (nord-est, 170 km sud-ouest de Maiduguri), une dizaine personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées par des soldats nigérians. Les militaires sont sortis de leur caserne et ont encerclé la ville avant de tirer sans discernement dans les rues de la ville et de mettre le feu à des boutiques. Ils auraient agi ainsi après qu'un des leurs ait été assassiné.
Des soldats avaient déjà été accusés d'avoir tué une dizaine de personnes, dans la nuit du 14 au 15 août, lors de raids contre 2 villages en banlieue sud de Jos.
Des renseignements préoccupants…
Le 6 septembre, les services de sécurité nigérians ont annoncé avoir arrêté 5 membres présumés de Boko Haram, grâce aux aveux d'un complice de nationalité nigérienne, interpellé le 4 août.
Les suspects auraient tous avoué être impliqués dans une série d'attaques récentes[12]. Leurs aveux ont permis la découverte d'un site clandestin de fabrication de bombes artisanales dans le village de Hayin-uk (Etat de Niger), où ont été saisis des détonateurs, des bombonnes de gaz et d'autres matériaux destinés à la confection d'engins explosifs. Les suspects ont indiqué que les substances explosives utilisées leur avaient été vendues par un mineur de l'Etat de Nasarawa (centre), également arrêté par les forces de sécurité.
Le 19 septembre, les services de renseignements nigérians ont annoncé avoir réuni des informations faisant état de la possible préparation d'attentats par Boko Haram contre des bâtiments civils et militaires à l'aide de véhicules piégés munis de fausses plaques d'immatriculation gouvernementales.
D'autres renseignements attesteraient du fait que le groupe islamiste a commencé à se procurer en grande quantité des substances chimiques et du matériel destinés à la fabrication de bombes artisanales. Les villes de Lagos, Kano, Lagos, Port Harcourt, Kaduna et l'Etat d'Anambra ont été citées par les forces de sécurité comme des cibles privilégiées des terroristes.
Le 20 septembre, face au risque accru d'attaques, les autorités nigérianes ont renforcé la sécurité à Lagos. Les mesures comprennent notamment une protection et une surveillance accrue aux abords des représentations diplomatiques étrangères, ainsi que la multiplication des fouilles et l'installation de portiques de détection à l'entrée des bâtiments officiels.
Le 24 septembre, les douanes nigérianes ont annoncé la saisie, dans le port de Lagos, d'une cargaison illégale de matériel servant à la confection de bombes, en provenance de Chine.
*
Le développement des activités du groupe salafiste Boko Haram et le renforcement de ses liens avec AQMI et les shabaab somaliens est une menace de première importance pour l'Afrique de l'Ouest, d'autant que, malgré leurs efforts, les forces de sécurité nigérianes semblent avoir bien du mal à juguler ce phénomène.
Or, le terrorisme islamiste n'est pas la seule menace qui pèse sur le pays. Le Nigéria subit les effets de deux autres phénomènes tout aussi inquiétants pour sa sécurité et celle de la région :
– la persistance des conflits internes et des rebellions locales, principalement dans le delta du Niger, résultant d'une inégale répartition des richesses ;
– le développement de l'insécurité urbaine (en raison d'une croissance démographique et urbaine incontrôlée), de la piraterie et des activités criminelles en lien avec les réseaux internationaux du crime organisé. Le pays est devenu un nouveau un lieu de passage pour différents trafics, en premier lieu celui de la cocaïne sud-américaine
Si la stabilité et l'intégrité du pays ne semblent pas menacées, le Nigéria l'un des pays les plus dangereux d'Afrique et pourrait, si rien n'est fait, servir de pépinière à de nombreux groupes aux motivations et aux objectifs variés, ce qui est préoccupant pour la sécurité de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale.
Eric Denécé
Septembre 2011
ANNEXE
Attaques attribuées Boko Haram
au cours du premier semestre 2011
– Le 3 février, Boko Haram revendique l'assassinat de Modu Fannami Gubio, candidat au poste de gouverneur dans l'État de Borno. Le groupe salafiste revendique également les attaques ayant fait 80 morts à Jos, la veille de Noël. Elles avaient déclenché de violents affrontements entre chrétiens et musulmans ayant fait près de 200 morts dans l'État du plateau.
– Le 20 février, à Maiduguri, cinq membres de Boko Haram sont abattus lors d'un raid contre une maison servant de cache d'armes à l'organisation terroriste.
– Le 3 mars, à Abuja, en pleine campagne électorale, une bombe explose aux abords d'un rassemblement politique du parti au pouvoir, tuant 3 personnes et en blessant au moins 21 autres. Selon les autorités, les assaillants ont lancé la bombe à partir d'un véhicule.
– Le 22 mars, à Jos, deux hommes sont tués par l'explosion prématurée d'une bombe qu'ils transportaient à moto. Deux jeunes chrétiens, croyant que les hommes planifiaient d'attaquer leur communauté, mettent le feu à leurs corps.
– Le 30 mars, la police saisit des explosifs lors de l'arrestation de trois membres présumés de la secte Boko Haram, à Maiduguri. Un des suspects est tué pendant l'opération.
– Le 25 avril au soir, trois bombes explosent à Maiduguri, faisant au moins deux morts et huit blessés. Les militants de Boko Haram avaient distribué des tracts la veille pour prévenir de nouvelles actions à l'occasion du dimanche de Pâques. L'ONG nigériane Civil Rights Congress estime que plus de 500 personnes ont été tuées lors des violences post-électorales, après le scrutin du 16 avril, dans le nord du Nigeria.
– Le 27 avril, trois nouvelles bombes explosent à Maiduguri, sans faire de victimes.
– Le 29 mai, quelques heures après la prestation de serment du président Goodluck Jonathan, une explosion se produit dans un marché des environs de la capitale, Abuja, faisant 12 morts et 25 blessés. Plus tôt, le même jour, la police avait annoncé qu'un attentat à la bombe avait fait au moins 4 morts et 20 blessés, dans une base militaire à Bauchi, dans le nord du pays.
– Le 30 mai, des individus armés abattent le frère du cheikh de l'État de Borno, devant sa maison, à Maïduguri. C'était un guide spirituel de premier plan. La secte islamiste Boko Haram est pointée du doigt.
– Le 7 juin, plusieurs attaques à la bombe font cinq morts et trois blessés à Maiduguri. Selon la police, des éléments de Boko Haram ont attaqué deux commissariats et une église. 4 bombes ont visé le poste de police de Gwange et 2 celui de Dandal, alors qu'une septième explosait près d'une église catholique. Des coups de feu ont été échangés entre la police et les assaillants, au cours desquels trois des assaillants ont été tués et deux policiers blessés. Par ailleurs, Cheikh Ibrahim Birkuti, un chef religieux très critique contre cette secte, a été abattu hier devant son domicile à Biu, au nord de Maiduguri.
– Le 16 juin, un kamikaze trouve la mort, dans un attentat-suicide qui détruit le quartier général de la police fédérale, à Abuja.
– Le 22 juin, sept personnes – cinq policiers et deux civils – sont tuées dans deux attaques attribuées à Boko Haram : une attaque contre un poste de police dans la ville de Kankara, dans (État de Katsina) ; l'autre dans une banque de la même ville.
– Le 27 juin, une attaque fait au moins 25 morts et 12 blessés à Maiduguri. La police et les témoins expliquent que des motards se sont approchés d'un bar et y ont jeté une bombe, avant d'ouvrir le feu sur les clients.
Amnesty International estime à plus de 140 le nombre de personnes tuées au cours du premier semestre 2011 lors des attentats de Boko Haram.
- [1] Les deux pays suivants, l'Egypte et l'Ethiopie comptent 85 millions d'habitants chacun.
- [2] Les principaux groupes ethniques sont : les Haoussa et les Fulani (29%), les Yorubas (21%), les Ibos (18%), les Ijaw (10%), les Kanuri (4%), les Ibibio (3,5%,) et les Tiv (3,5%).
- [3] Sur 36 que compte le pays.
- [4] Bauchi, Borno, Gombe, Jigawa, Kaduna, Kano, Katsina, Kebbi, Niger, Sokoto, Yobé et Zamfara
- [5] Les musulmans représentent 50% de la population, les chrétiens 40% et les animistes 10%.
- [6] Les chrétiens nigérians comptent plus de 45 millions de protestants pour 20 millions de catholiques.
- [7] Alain Rodier, « Nigeria : situation à l'été 2009 », Note d'actualité n°186, septembre 2009, www.cf2r.org.
- [8] Issu de l'ethnie Kanuri depuis 2002, il a fait des études religieuses à la mosquée de Maiduguri, dans l'Etat de Bono, avant de créer son propre dogme : le « Youssoufia ».
- [9] Cf. annexe.
- [10] Vice-président depuis 2007, président par intérim depuis février 2010, en raison de la maladie du président Yar'Adua. Elu président en avril 2011 avec 59% des voix.
- [11] Deux douzaines de Nigérians auraient été formés dans les camps d' AQMI au Niger.
- [12] Attentat à la bombe d'avril devant des bureaux de vote à Suleja (13 morts). Attentat de juillet contre une église chrétienne de Suleja. Assassinats de 4 agents de police dans les environs d'Abuja en mai.