Mort d’Abou Moussab Al-Zarqaoui
Alain RODIER
Le mercredi 7 juin, Abou Moussab Al-Zarqaoui a été tué avec cinq de ses fidèles lors d’une attaque aérienne. Un F 16 a largué deux bombes de 250 kilos – une GBU 12 et une GBU 38, toutes deux à guidage laser – contre un repaire situé à 8 kilomètres au nord de Baqouba (localité à 80 kilomètres au nord de Bagdad). Pour arriver à leurs fins, les Américains ont obtenu des informations précises de membres de la résistance irakienne. En résumé, il a été « vendu » par ses « amis ».
En effet, depuis le début de l’année, les relations se sont tendues entre Al-Zarqaoui et la direction d’Al-Qaida représentée par le Majlis Al-Choura (Conseil consultatif) dirigé par Oussama Ben Laden et son adjoint, le docteur Ayman Al-Zawahiri, depuis les zones tribales pakistanaises voisines de l’Afghanistan. Déjà, au début de l’année, Al-Qaida avait créé en Irak un « Conseil Consultatif des Moudjahédines » (Majlis Choura Al-Mujahideen) chargé de coordonner les opérations des combattants internationalistes avec la « résistance » locale. Or, Zarqaoui n’a pas été désigné pour diriger cet organisme. Ce serait un certain Abdullah Rashid Al-Baghdadi (vraisemblablement un Irakien, mais son identité est sûrement fictive) qui en aurait pris la tête. En effet, le docteur Zawahiri, véritable idéologue d’Al-Qaida, pense que le djihad en Irak doit être dirigé par les Irakiens eux-mêmes, les combattants internationalistes n’apportant que leur soutien technique et opérationnel, dans la plus pure tradition du mouvement créé par Oussama Ben Laden.
Les attentats que Zarqaoui a commandité contre des hôtels de luxe à Amman, en Jordanie, en novembre 2005, ont soulevé une telle vague d’indignation au sein de la population qu’il a été obligé d’expliquer pourquoi la majorité des victimes (60 morts) étaient des musulmans. D’après ses déclarations, ces hôtels abritaient des membres des services secrets occidentaux1. Les victimes qui assistaient à deux mariages se tenant dans ces établissements sont donc pour lui, des « pertes collatérales regrettables ».
Alors qu’il avait soigneusement évité de montrer son image (allant même jusqu’à faire douter certains de sa véritable existence) et afin de marquer sa différence avec Oussama Ben Laden, Zarquaoui apparut à son tour sur une cassette vidéo datée du 21 avril 2006. Il y prenait la pose classique de son maître : assis, fusil d’assaut AKR (le même modèle que celui de Ben Laden) posé à ses côtés, faisant preuve d’un grand calme et d’une pondération apparente. Il y apparaissait également tirant des rafales d’une mitrailleuse légère Minimi lors d’une réunion avec différents responsables militaires. Cette cassette découverte par les Américains prouve que ce document est une pure propagande. En effet, dans des éléments non diffusés, on peut le voir chercher désespérément le cran de sûreté de son arme et un de ses aides se brûler en saisissant la Minimi par le canon après le tir.
La rupture officielle avec Al-Qaida date du 1 er juin 2006, et coïncidence troublante, il trouve la mort le 7 juin ! En effet, dans un enregistrement audio de quatre heures diffusé sur un site internet, il réitère ses déclarations qui sont en totale contradiction avec la demande de « modération » à l’égard des chiites formulée par le docteur Al-Zawahiri dans une lettre datée du 9 juin 2005. En effet, il exhorte les sunnites à ignorer les appels à la réconciliation et à affronter les chiites qu’il considère comme des « infidèles ». Il affirme notamment que ces derniers violent et massacrent les membres de la minorité sunnite. Il va jusqu’à traiter le grand Ayatollah Ali Al-Sistani, le chef religieux des chiites irakiens et personnalité reconnue internationalement de « chef des infidèles et de l’athéisme ». Il ajoute : « Oh, sunnites, préparez-vous à combattre les serpents chiites et leurs poisons qui vous infligent des souffrances depuis l’invasion de l’Irak. […] Oubliez ceux qui demandent la fin du sectarisme et appellent à l’unité nationale. C’est une arme destinée à vous obliger à capituler. […] Ils sont plus occupés à honorer leurs propres saints qu’à protester contre les caricatures du Prophète Mahomet publiées dans les journaux danois et européens». Il va même jusqu’à reprocher aux milices de Moqtada Al-Sadr d’avoir interrompu leur lutte contre les forces américaines en 2004. Il critique également l’action du Hezbollah libanais et des chiites iraniens qui, selon lui, ont aidé les Américains en Afghanistan et en Irak. Il diabolise également les Kurdes et les sunnites qui participent au nouveau gouvernement irakien2.
Le portrait psychologique d’Al-Zarqaoui peut aider à comprendre ces agissements. En effet, son caractère paranoïaque, psychorigide, son sentiment de toute puissance présentant une hypertrophie du moi, son absence totale de scrupules et son côté manipulateur font qu’il est devenu totalement incontrôlable.
Il s’est servi des Iraniens dont les services pensaient pouvoir l’utiliser pour pénétrer Al-Qaida, de Ben Laden (qu’en bon manipulateur il appelait encore récemment « notre prince et commandeur ») pour obtenir les fonds nécessaires à sa guerre personnelle dirigée en priorité contre le régime jordanien, et des combattants internationalistes pour se faire connaître lors du conflit irakien. Le résultat est qu’il avait beaucoup d’ennemis : les Occidentaux au premier rang desquels se trouvent les Américains (sa tête était mise à prix pour 25 millions de dollars), les Iraniens qui n’apprécient que modérément d’avoir été dupés et la direction d’Al-Qaida qui se sent humiliée par cet ancien voyou devenu chef de guerre. En octobre 2005, il a même été rejeté par son clan Al-Khalayleh et par la tribu bédouine des Bani Hassan dont il dépend3.
Localisé par les forces de la coalition dans la banlieue de Bagdad – car il paraissait désormais concentrer son effort sur la capitale irakienne – il semblait évident depuis un certain temps que ses jours étaient comptés. Cependant, il convient de souligner qu’il est devenu le « symbole du combattant » (alors que Ben Laden est surtout considéré comme un chef spirituel) pour de nombreux apprentis djihadistes. Sa disparition ne diminue en rien le recrutement de nouveaux adeptes qui le prennent en exemple, non seulement en Irak, mais également dans le monde entier et fait nouveau, en Palestine. Si en juin, les arrestations se sont multipliées en Egypte, en Malaisie, au Canada, en Italie et en Grande Bretagne, ce n’est pas tant dû au fait d’une meilleure efficacité des forces de sécurité mais bien à l’augmentation considérable du nombre de jeunes activistes qui voient en Zarqaoui un exemple à suivre.
Sa dernière politique était la fuite en avant afin d’imprimer sa marque dans l’Histoire, c’est en cela qu’il voyait sa « victoire ». C’est désormais chose faite. Comme le disaient les assassins du duc de Guise, « il est encore plus grand mort que vivant ! ».
- 1Ce qui n’est pas faux puisque des officiers de renseignement chinois et palestiniens ont été tués lors de ces opérations ; on peut en déduire que d’autres nationalités étaient représentées
- 2A noter que des fatwas ont été édictées aussi bien par les sunnites que par les chiites, autorisant l’assassinat des « collaborateurs » du pouvoir en place à Bagdad.
- 3Contrairement à ce qui a été écrit par le passé, il n’est pas de descendance palestinienne mais bédouine.