Monde : où en sont les salafistes-jihadistes ?
Alain RODIER
En cette fin d’année 2018, de nombreux Think Tanksse livrent à divers bilans dans de nombreux domaines. Le Center for Strategic & International Studies (CSIS) ne déroge pas à la tradition en publiant une très intéressante étude sur l’évolution du salafisme-jihadisme dans le monde[1] depuis sa création dans les années 1980 avec l’apparition d’Al-Qaïda. Le CSIS affiche un certain optimisme en soulignant que ce phénomène violent a tendance à légèrement diminuer depuis 2016. Si cela est vrai en ce qui concerne les opérations terroristes, c’est moins sensible pour ce qui est des effectifs des activistes et du nombre de groupes se revendiquant de cette idéologie.
Depuis 2001, le nombre de groupes salafistes-jihadistes dans le monde a augmenté de 180%. En dehors de Daech, d’Al-Qaïda « canal historique » et de leurs « franchises », il existe 44 autres mouvements dont les plus actifs sont le Tereek-e-Taliban Pakistan (TTP) et le Lashkar-e-Taiba (LeT) basés au Pakistan.
Des effectifs en croissance constante
Depuis les attentats de New York et de Washington, le nombre d’activistes salafistes-jihadistes aurait augmenté de 270% selon des estimations « hautes ». Au total, on estime qu’il y aurait entre 125 000 et 250 000 combattants islamistes ! Cette approximation vient du fait que les chercheurs ont beaucoup de mal à établir des chiffres précis car beaucoup de militants ne clament pas leur appartenance à un mouvement terroriste, sans compter que les transferts entre les groupes sont fréquents. Ainsi, il y aurait de 43 000 à 70 000 combattants en Syrie, de 27 000 à 64 000 en Afghanistan, de 18 000 à 400 000 au Pakistan, de 10 000 à 15 000 en Irak, de 5 000 à 10 000 en Libye, de 3 450 à 6 900 au Nigeria, de 3 000 à 7 240 en Somalie, de 2 300 à 3 500 au Yémen, de 1 350 à 3 160 au Mali, de 920 à 2 550 aux Philippines, etc. Il est tout de même étonnant de voir que certains chiffres donnés à la cinquantaine près alors qu’il ne s’agit que d’ordres de grandeurs et qu’il serait utile de donner une définition au « combattant à temps plein ». À côté des activistes, il faut aussi compter les sympathisants qui leur apportent une aide logistique et leur fournissent des renseignements.
Dans son étude, le CSIS fait une distinction intéressante entre quatre types de salafistes-jihadistes :
– Daech et ses provinces extérieures ;
– Al-Qaïda « canal historique » et ses mouvements affiliés ;
– les autres groupes salafistes-jihadistes – notamment ceux présents au Pakistan – et leurs alliés ;
– les individus et les réseaux « inspirés » par l’idéologie salafiste-jihadiste.
Le CSIS reconnaît qu’il existe une lutte d’influence entre ces différentes formations même si elle est très peu ressentie aux plus bas niveaux, des combattants pouvant passer d’une organisation à une autre selon la situation sur le terrain ou les succès rencontrés par un mouvement local qui gagne alors en prestige. Ainsi, la très grande majorité des combattants de la première heure de Daech appartenaient auparavant à Al-Qaïda « canal historique » ; et les « provinces extérieures » de l’organisation Etat islamique ont essentiellement recruté des activistes de mouvements affiliés à la nébuleuse de feu Ben Laden.
Les théâtres d’opérations
La Syrie et l’Irak ne forment qu’un seul théâtre d’opération pour les salafistes-jihadistes. C’est le seul front sur lequel ils ont connu, depuis 2016, un revers qui a permis aux forces gouvernementales syriennes et aux Forces démocratiques syriennes (FDS) – emmenées par les Américains – de reprendre le contrôle de la majorité des territoires perdus. Il n’en reste pas moins que quelques enclaves sont toujours aux mains des mouvements rebelles et que l’insécurité demeure forte dans les deux pays, Daech étant capable de mener des opérations Hit & Run ou des attentats d’importance à peu près n’importe où.
Si l’on en croit les chiffres avancés par le CSIS, les salafistes seraient localement entre 53 000 et 85 000, ce qui est possible sachant que le Pentagone parlait en août 2018 de 31 000 activistes sur zone uniquement pour Daech.
Les autres foyers de plus en plus actifs sont l’Afghanistan, le Sahel, le Nigeria, la région des grands lacs africains, le Maghreb, la Libye, le Sinaï, le Yémen, la Somalie, le Bangladesh, et l’Extrême-Orient. Accessoirement, des opérations peuvent être menées ailleurs dans le monde – en particulier en Fédération de Russie – par des groupes ou des indépendants[2], Daech continue d’appeler, par sa propagande toujours active, ses adeptes à passer à l’action sur des cibles diverses et variées, parmi lesquelles la France occupe toujours une position de choix.
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Malgré des pertes importantes, en particulier parmi leurs cadres, les mouvements salafistes-jihadistes sont augmentation et représentent un péril bien réel. Cela est du au fait que l’idéologie salafiste-jihadiste se présente comme la seule capable d’apporter la « révolution » et de changer la face du monde dans les années à venir. En effet, les salafistes-jihadistes ont LA SOLUTION : l’application rigoriste de la charia qui réordonnera des sociétés qu’ils considèrent comme totalement décadentes et en voie de perdition. Ce discours trouve un grand écho au sein des jeunesses déshéritées du monde arabo-musulman comme chez de nombreux individus des banlieues des grandes métropoles occidentales où les frustrations sont nombreuses. Cette population constitue un immense vivier où les cadres opérationnels des groupes terroristes peuvent venir choisir leurs nouvelles recrues. Le pire, c’est qu’il y a bien plus d’entrants que de sortants…
[1] https://www.csis.org/analysis/evolution-salafi-jihadist-threat
[2] L’appellation « loup solitaire » a été tant galvaudée que l’auteur préfère parler d’activiste « indépendant » qui n’a pas de lien direct avec aucune organisation terroriste. Il ne fait que s’inspirer de la propagande salafiste-djihadiste et, pour donner plus de retentissement à son acte, fait « allégeance » à Daech qui apprend souvent la nouvelle par la presse. L’organisation Etat islamique a admis qu’elle revendiquait désormais des opérations terroristes avec lesquelles elle n’avait aucun lien.