Mohamed ben Salman en Algérie : la grande controverse
Dr Abderrahmane MEKKAOUI (Maroc)
Politologue, spécialiste des questions sécuritaires et militaires. Membre du Collège des conseillers internationaux du CF2R.
Embarrassant est le déplacement de Mohamed Ben Salman, dit MBS, en Algérie, berceau de plus d’un « millionde moudjahids », le 3 décembre dernier. En effet, les observateurs auront remarqué que le séjour algérien de l’homme fort de Riyad n’aura pas respecté tout ce que prévoit le protocole algérien. Pas de gerbe de fleurs pour le soldat inconnu et encore moins d’audience avec le Président Abdelaziz Bouteflika, diminué certes, à cause d’une « grippe aigüe » survenue au dernier moment. Une déconvenue alors qu’une heure avant la parution dudit communiqué, la chaîne d’information Al-Arabiya, voix saoudienne autorisée, vantait cette rencontre qui devait « durer deux heures, le plus long entretien du président algérien ces dernières années. Il n’accorde plus que dix minutes de rencontre à ses invités à cause de son état de santé», poursuivait la chaîne. Autant dire, comme l’a bien titré le quotidien El Watan, que l’Algérie devait composer avec un hôte encombrant.
En effet, le pouvoir algérien, qui a toujours su être gré à ceux qui l’assimilaient au « Front arabe du refus », est tombé le piège qui lui a été tendue par la monarchie saoudienne en mal d’aura, en tournant le dos à une opinion publique frondeuse à l’idée d’accueillir le représentant d’une puissance sunnite qui a assis sa suprématie via une « diplomatie du chéquier » à défaut d’un wahhabisme triomphant.
En Algérie, ceux qui savent que le pays gère encore le reliquat terroriste issu de la décennie noire ne pouvaient se résoudre à l’accueil de MBS à bras ouverts. Surtout lorsqu’on évalue encore les dégâts causés par « les printemps arabes » pas plus loin qu’en Libye, pays limitrophe, sans parler des processus de déstabilisation engagés à coups de milliards de dollars au Moyen-Orient, comme c’est le cas en Syrie et au Yémen.
A l’occasion de cette visite, Alger se serait-il pris à rêver d’un quelconque rôle de médiateur dans le conflit factice qui oppose chiites aux sunnites, afin de rapprocher Téhéran et Riyad ? Les observateurs avertis en doutent. Car l’Algérie qui se rêve en puissance régionale « incontournable » n’a pas les moyens de ses ambitions en raison d la vacance du pouvoir. Surtout face à la première puissance de l’OPEP qui fait la pluie et le beau temps quant au prix des produits pétroliers. D’ailleurs, force est de souligner que les multiples sollicitations d’Alger auprès de Riyad n’ont pas réussi à convaincre les Al-Saoud de procéder à un changement d’attitude susceptible de permettre à l’économie algérienne, par trop dépendante des hydrocarbures, de se refaire une santé. Et même les investissements saoudiens attendus par la nomenklatura d’Alger n’auront pas été au rendez-vous, seul geste qui aurait pu conduire l’actuel exécutif algérien à tirer un trait sur le passif…
A l’issue de cette visite, Ahmed Ouyahia, le chef de gouvernement algérien qui, par deux fois, a reçu MBS ne saurait se soustraire à la réalité. Le chéquier saoudien n’aura pas été aussi généreux qu’ailleurs. Les quelques projets lancés à l’occasion de ce voyage n’ont pas excédé les 100 millions de dollars… contre 15 milliards de dollars dépensés par Riyad pour l’acquisition du système antimissile américain Patriot ! Et dire qu’officiellement la relance de la coopération économique bilatérale a dominé l’agenda de MBS en Algérie. Il restera à Ouyahia le loisir de tirer les conclusions qui s’imposent. La visite du prince saoudien en Algérie n’a finalement servi que de marchepied pour une hypothétique remise en selle diplomatique de MBS, très affaibli par l’affaire Kashoggi, sans véritable contrepartie. Bref, Alger s’est couché face à l’Arabie.